D’où vient M. Quelle, et qui est-il ? Selon la tra­di­tion biblique, si bien inter­rogée par la poésie d’Edmond Jabès, la ques­tion est dans le Nom. Et si on le prononce, ce nom, comme le souhaite Pier­rick de Cher­mont, « Quouelleu », alors la ques­tion « où » est au coeur. 

On pour­ra si l’on veut écouter la racine hébraïque « El » (Dieu) à la fin. M. Quelle a aus­si un prénom, c’est « point » et c’est tout. On ne lui en deman­dera pas davantage.

Lui-même con­fron­té à sa pro­pre énigme, cet habi­tant des limbes habite le monde en poète.

Pier­rick de Cher­mont est l’inventeur, comme le rap­pelle Gwen Gar­nier-Duguy dans sa post­face, de ce per­son­nage poé­tique aban­don­né aux masques changeants d’un paysage urbain (« les solides par­al­lélipédiques de la ville »), qui promène tran­quille­ment, en cul­ti­vant les sax­ifrages, l’absurde de sa  con­di­tion par­fois fade (au sens ver­lainien) – « un grand human­isme mauve » –  ou même tiède (mais qui donc a vomi M. Quelle hors de ce monde ?) En effet, M. Quelle inter­roge bien ce monde-ci, qui se décou­vre dans les instan­ta­nés d’une poésie infin­i­ment sub­tile et drôle, tra­ver­sée de ful­gu­rances. Le ques­tion­nement ensom­meil­lé de ce Mon­sieur Plume réin­ven­té — plume de Phénix — devient trans­fig­u­ra­tion ou révélation.

M. Quelle est capa­ble d’étonnantes trans­gres­sions, de « ver­tiges spir­ituels » comme celui qui con­siste à « franchir l’infranchissable fron­tière de la page d’un livre », grâce à la voix d’un lecteur, puisque « être sans voix, nous con­damne à l’illusion. » Sachons enten­dre l’appel au sec­ours. Explo­rateur d’espaces incon­nus, d’autres vies, M. Quelle explore « le mys­tère de ses pro­pres pas », car le poète restera tou­jours étranger à lui-même, et saura se laiss­er cueil­lir par les chemins iden­tiques qui sont tou­jours nouveaux. 

Pier­rick de Cher­mont, M. Quelle, L’Atelier du grand tétras, avril 2024.

L’appel d’un pays incon­nu et fam­i­li­er, un pays à habiter, le con­duit vers d’étonnantes décou­vertes, comme la vis­ite de trois cata­ma­rans au coin supérette, où l’on peut voir une réplique bur­lesque de l’appel d’Abraham à Mam­bré. Dans les limbes de cette nuit mys­tique, « les anges hési­taient à inter­venir ». L’hésitation, — « est-ce que j’existe ?» — est au cœur de la philoso­phie de ce recueil, dont chaque page est une décou­verte, une sur­prise, un émer­veille­ment ou un sourire, un débar­que­ment inattendu.

Cette con­di­tion heureuse ou mal­heureuse de l’homme, notre con­tem­po­rain M. Quelle ne saurait l’incarner jusqu’au bout. Veut-il devenir singe, ou moine, ou vapeur ? Il est trop fan­tôme pour pren­dre vrai­ment corps. Et puisque dans ce monde les vérités ne tien­nent qu’un jour, qu’en une page on « com­met le men­songe sans avoir besoin de savoir ce qu’est la vérité », l’appel à la sainte mis­éri­corde que Pier­rick de Cher­mont fait enten­dre à la fin de son recueil n’en a que plus d’urgence et de profondeur.

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Vincent Puymoyen

Vin­cent Puy­moyen est né en 1970 à La Rochelle et enseigne actuelle­ment à Brest, sa ville d’adoption. Avec la poésie, ses pro­jets actuels con­cer­nent actuelle­ment le roman noir, et le réal­isme mag­ique, il tra­vaille égale­ment à un cycle de réc­its met­tant en scène un enquê­teur mené moins par sa rigueur pro­fes­sion­nelle que les limbes de son incon­scient. Poésie Anatomies bur­lesques, dans la Revue lit­téraire, édi­tions Léo Scheer, numéro 76, jan­vi­er 2019 « Con­ju­gale embardée » et autres poèmes dans la revue en ligne Le recours au poème, n°204, sep­tem­bre 2020 Flaques océaniques, Encres blanch­es n°807, Encres vives, jan­vi­er 2021 « Effrac­tion du print­emps » dans la revue Poésie pre­mière, n°80, sep­tem­bre 2021 Hautes fréquences, Encres blanch­es, Encres vives, décem­bre 2022. Roman Cycle de romans policier/réalisme mag­ique « les enquêtes de Gonzo », aux édi­tions Ova­dia 1. Le car­ré par­fait, édi­tions Ova­dia, avril 2023 2. Le manoir, édi­tions Ova­dia, avril 2023 3. Con­stance ou le ver­tige, édi­tions Ova­dia, novem­bre 2023