La dix-neu­vième livrai­son de la revue POESIEDirecte a pour thème le désir. Née il y a main­tenant 12 ans, sous l’im­pul­sion de Flo­rentin Benoît d’En­tre­vaux, de Gaël de Bouteiller et de Gaë­tan de Mag­neval, le pre­mier numéro, placé sous le signe du silence, a vu le jour en l’an 2000. Le trio a, depuis, tra­vail­lé régulière­ment à l’émer­gence d’un esprit poé­tique réu­nis­sant des voix dans une cer­taine com­mu­nauté de pen­sée telles celles de Bernard Gras­set, d’Athanase Vantchev de Thra­cy, de Gérard Lemaire, de Jean-Luc Max­ence, de Gérard Pfis­ter, de Gilles Baudry, de Rémi Pelon, de François Cass­ingé­na-Trévedy, d’Is­abelle Solari pour n’en citer que quelques uns.
Chaque numéro s’or­gan­ise autour d’un thème, et ce sont ain­si l’in­car­na­tion, l’at­tente, la faib­lesse, le souf­fle, le nom, le regard ou le chemin qui sont alors invo­qués comme lieu d’in­vi­ta­tion à pren­dre poésie comme on prend la parole, en direct. Car le nom, peut-être pro­gram­ma­tique, de la revue, inter­roge : POESIEDirecte. Ça claque comme un upper­cut. Comme une réac­tion poli­tique soucieuse d’une dis­tinc­tion d’avec la poésie indirecte.
Aux vues des pub­li­ca­tions de cette revue grand for­mat (21x29,7), par “poésie directe” sem­ble s’en­ten­dre un lieu de pub­li­ca­tion de poèmes. Façon d’af­firmer que le lieu priv­ilégié de la poésie réside dans le poème, con­tre tous les détourne­ments du terme même de poésie qui ont, au cours du demi-siè­cle passé, asséné que la poésie était partout et que cha­cun était poète, par­ti­c­ulière­ment à par­tir du moment où il ne fai­sait pas des vers. A par­tir de là, il n’est pas éton­nant que la poésie ne fut plus per­cep­ti­ble nulle part et qu’elle se dilua dans l’in­con­scient col­lec­tif des habi­tants de ce temps. Au point d’être perçue comme une forme répul­sive lorsqu’elle con­tin­u­ait de s’ex­primer avec exi­gence, cette exi­gence étant dev­enue la mar­que d’une ver­ti­cal­ité insup­port­able aux idéolo­gies sociales qui tra­vail­laient alors pour le prof­it de quelques uns, à coup de “la poésie est partout” et de “tout est art”, à faire croire que tout le monde était poète quand la créa­tion poé­tique avait tou­jours été dévolue à la capac­ité d’ascèse et d’ab­né­ga­tion d’in­di­vidus y con­sacrant leur vie.  Il n’est pas indis­pens­able d’aller à la messe pour ren­con­tr­er Dieu. Mais enfin il y a une cohérence à prier dans une église pour s’ap­procher de son cœur silencieux.
Aus­si, la dimen­sion “directe” de POESIEDirecte s’en­tend prob­a­ble­ment par la voca­tion qu’a la parole d’être à l’o­rig­ine d’essence poé­tique, et la revue sans doute cherche-t-elle à retrou­ver ce lien direct avec la con­struc­tion du monde à par­tir de l’on­tolo­gie pre­mière du langage.
Le dernier numéro s’ar­tic­ule ain­si autour de l’axe du désir, et nous y lisons en pre­mier lieu trois intens­es poèmes de Matthieu Bau­mi­er. Depuis plusieurs mois, peut-être même quelques années, nous voyons émerg­er la voix poé­tique de Bau­mi­er qui frater­nise en ses séries de Mystes avec l’en­gage­ment du grand Rober­to Juar­roz dans sa Poésie Ver­ti­cale. Ici et là, de mois en mois, de revues en revues, nous voyons éclore les Mystes de Bau­mi­er, qui telles des paroles div­ina­toires con­stru­isent la poé­tique d’un chemin vital prat­i­ca­ble depuis le lieu qua­si prophé­tique de l’après fin du monde. Parole orac­u­laire, pro­jet tra­vail­lé par une con­science et un dévoue­ment peu com­muns tant sem­ble insur­montable le dés­espoir depuis lequel le poète prononce ses visions, dés­espoir qu’il s’ap­plique pour­tant le plus fidèle­ment pos­si­ble à pass­er au rythme du cœur pour un retis­sage du corps d’hu­man­ité. Voix émer­gente, dis­ais-je. Mais émergeant depuis les pro­fondeurs mil­lé­naires de la nuit de l’être. Voix majeure.

 

Mystes 3

 

Sommes-nous cer­tain de demeurer
vivants
égarés sur les récifs de ce temps ?

Il y a ici-bas un arbre dressé
les bras en croix
et une per­le clouée, crucifiée.

Il y a ici-bas, la trace argentée
des racines, la rosée
et pour­tant

Sommes-nous cer­tains de demeurer
vivants
échoués con­tre l’é­cluse de l’Absent ?

 

Les poèmes de Flo­rentin Benoît d’En­tre­vaux leur suc­cè­dent, avec leur tes­si­ture sobre et leur habit de pau­vreté volon­taire comme en cet hum­ble poème le style de l’espérance

 

Main­tenant
le dernier temps
nous presse
d’avoir du style

le style de l’espérance

d’avoir la distinction
du haut désir
n’avoir au fond
que char­ité

l’heure est venue
d’avoir du style
et de l’allure
l’al­lure de l’Esprit

Et d’être simple

 

Nous y lirons ensuite, avec prof­it, les poèmes de Philippe Bis­sara, d’Anne-Gersende van Gaver, d’O­livi­er de Bois­gelin, de Jean-Pierre Denis,  de Sabine d’Hard­ev­il­liers, sans être exhaustif.
Une atten­tion par­ti­c­ulière nous retien­dra au superbe poème d’Alain San­tacreu, Le Saint Sénaire. Ne serait-ce que pour lire ce grand poème, nous invi­tons le lecteur à faire l’ac­qui­si­tion de ce numéro 19 de POESIEDirecte.
Enfin, nous salu­ons la présence de Mon­seigneur Dominique Rey, Evêque de Fréjus-Toulon, qui offre ici 3 poèmes remar­quables dont ce précieux

 

Chu­chote­ment
 

Mur­mure des choses
qui furent dites out­re temps,
dans la béance de l’instant.
Le goût du vent
et de sa prose
m’emporte vers autre chose
que le présent.

 

 

Con­tact :
Flo­rentin Benoît d’En­tre­vaux “Le petit cou­vent”, 07400 Saint-Martin-sur-Lavezon.

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