Cette revue bilingue en noir et blanc, sans note de lec­ture, sans pho­to (sauf celle – superbe – de James God­dard en page de cou­ver­ture) n’est ani­mée que par deux rédac­teurs : Paul Stubbs et Blan­dine Lon­gre qui font un tra­vail remar­quable. Elle met en place un dis­posi­tif qui intè­gre un max­i­mum de formes et de voix lit­téraires : romanciers, nou­vel­listes, poètes, dra­maturges, penseurs… Tous se font écho, se con­fron­tent, se mêlent, se con­tre­dis­ent et surtout affir­ment libre­ment, sans thème imposé, leur sin­gu­lar­ité. Il ne s’agit plus, en effet, de s’enfermer dans des clas­si­fi­ca­tions sco­laires et arbi­traires, dans des mémoires restric­tives fonc­tion­nant par oppo­si­tion, mais de choisir, par­mi la diver­sité des reg­istres et des gen­res, ce qui fait encore actu­al­ité et moder­nité. Le cat­a­logue des édi­tions Black Her­ald Press (huit mono­gra­phies ont d’ores et déjà paru, notam­ment celles signées par Anne-Sylvie Salz­man, Blan­dine Lon­gre, Jos Roy… et cinq numéros de The Black Her­ald sont disponibles) envis­age la lit­téra­ture comme un dis­posi­tif capa­ble de tout absorber et inté­gr­er, notam­ment la diver­sité des voix qui réson­nent dans toutes les langues du monde.

 

Ce qui s’intègre et se donne à lire, ce sont les cli­vages, les écarts, l’abondance de la matière, des prob­lé­ma­tiques et l’éveil alerté dans le refus du mono­logue intérieur. Il s’agit bien d’approfondir et de recréer tous les enjeux, ceux qui défont le con­fort des acquis et invi­tent à une relec­ture de textes plus ou moins anciens (et oubliés) et à en décou­vrir de nou­veaux, écrits par des écrivains encore peu con­nus, clan­des­tins. Ces écrivains de généra­tions et d’horizons esthé­tiques dif­férents ouvrent un espace qui se déplace dans des rup­tures et des con­ti­nu­ités. Le lecteur est invité à une bib­li­olo­gie (j’emprunte ce mot à Philippe Beck (1). Autrement dit, le lecteur est invité à une com­mu­ni­ca­tion et à un partage, à l’amour d’une affinité entre des textes ne par­lant pas de la même chose. La mémoire ne cesse de s’étendre dans le présent du passé et le présent du présent.

 

Ce numéro 5 s’ouvre par un poème aux longues laiss­es de David Gas­coyne : Et le sep­tième rêve est le rêve d’Isis. Il date de 1933 : le pre­mier poème authen­tique­ment automa­tique que j’ai écrit, suiv­ant la recette ortho­doxe du Sur­réal­isme pré­cise Gas­coyne et il se con­clue par un extrait du Réal­isme total du poète tchèque Egon Bondy. Entre ces deux écrivains, influ­encés par Dada et le sur­réal­isme, une série de con­tribu­teurs qui m’étaient pour cer­tains – j’ai un peu honte de l’avouer – totale­ment incon­nus. J’ai ain­si décou­vert les textes de Pierre Cen­dors, de Peter Oswald, de Philippe Annocque, de David Spit­tle et de Paul Stubb. Deux autres textes ont attiré mon atten­tion, l’entretien inédit avec Cio­ran mené par Ben­salem Him­mich et un extrait, très con­testable : Le Dou­ble Rim­baud de Vic­tor Segalen. Mais ce sont, avant tout, les poèmes de Jos Roy : Aspho­dèles que je voudrais saluer ici. Ils con­stituent un petit ensem­ble d’une rigueur prosodique remar­quable. Ils agis­sent, comme les poèmes de son pre­mier recueil : De suc & d’espoir (Black Her­ald Press) par ful­gu­rance et défla­gra­tion. Ils bous­cu­lent nos cer­ti­tudes et nous for­cent à lire (et non pas à relire). Ils mêlent, avec élé­gance, sens et sen­sa­tion, musique et pen­sée. Ils captent tout un espace sous ten­sion et jouent sur les para­dox­es, comme ici, ce poème, immo­bile dans le mouvement :

 

Il y a dans les asphodèles
une his­toire de cham­bre divisée
dans la cham­bre des lits jumeaux
un corps sur chaque lit errant & immobile
on est là sans savoir si les murs ourdissent
un com­plot de ren­con­tre ou de séparation
                                        hiverprintempsété
                                       la direc­tion s’essouffle
& les collines dans la cham­bre se salent d’une odeur
qui tangue entre le fade & le sucré
une ligne de flam­beaux éclair­erait les pôles ennemis
d’un immense désir farouche

 

(1) : Philippe Beck : Poésie mon­di­ale, entre­tien avec Pas­cal Boulanger et Paul Louis Rossi, La Poly­graphe n° 13/14, mai 2000. Cet entre­tien avec Philippe Beck a été repris dans mon essai : Fusée & pap­er­oles, L’Act Mem, 2008.

Chez Recours au Poème édi­teurs, Pas­cal Boulanger a pub­lié un recueil : Sep­tem­bre déjà, 2014

 

 

 

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