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Nohad Salameh, Le mandala et autres poèmes

 

Lorsqu’on a la maladie du lieu
on perce un trou quelque part en son corps
et l’on y pénètre
n’ayant pour halte qu’un totem
en forme d’astérisque
alors le dedans se réduit au mandala
avec des parois en peau
et la pendule qui se remet en marche
remontée par le bec d’un oiseau.
Aussitôt on cesse de déchiffrer les mots
que l’on prononce à son insu
afin de gommer les impuretés d’un dehors
daté de l’an zéro de l’Hégire.
 

∗∗∗

Celle venue d’Orient
escortée de ses phénicies
ses alphabets
et ses dieux d’outre-ciel
arbore la fracture de la terre
et la déchirure de vos regards.

Celle surgie des vergers d’Ève
avec ses oracles
ses nostalgies douloureuses
et la fureur des songes
progresse d’un pas de désert
vers le Centre
où se concentrent
l’exil et la mémoire de la rose.

La voyageuse de minuit
qui pose ses ailes sur vos aubes
toute entière tannée par les couchants
incante en vos sommeils
un chant d’espace
par excès d’errances
et appel d’air.
 

∗∗∗

D’un vol preste de cigogne
je reviens tenir compagnie
à ceux qui dorment, les mains nouées
sous les jardins de l’épouvante.

De transparence en transparence
je patine vers mon halo premier.
Sans fracas
ni brisure
je chute dans la durée paresseuse du sable.

Je m’endors sous la trame des bouvreuils
- tout mon souffle pour lisser la pierre
et je m’écris au hasard sur les lentes parois
d’où se penche le temps.

Revenante
de mer en mer
d’absence en absence
les chevilles ravivées de soleil et d’encens.
J’enjambe pêle-mêle des fortifications
d’absinthe et de ronces
afin de devenir l’épiphanie du retour.

 

∗∗∗

Lorsqu’on a la maladie du lieu
on perce un trou quelque part en son corps
et l’on y pénètre
n’ayant pour halte qu’un totem
en forme d’astérisque
alors le dedans se réduit au mandala
avec des parois en peau
et la pendule qui se remet en marche
remontée par le bec d’un oiseau.
Aussitôt on cesse de déchiffrer les mots
que l’on prononce à son insu
afin de gommer les impuretés d’un dehors
daté de l’an zéro de l’Hégire.
 

∗∗∗

La douleur : notre fruit
plus écarlate que le sel.
Nous aimions comme on pleure en rêve
absents
et le cœur posé à côté de nous
sur la margelle.

Nous fûmes chute inopinée
peur merveilleuse
avec les pieds par-dessus tête :
flamme florale
saisie dans toute sa ferveur.

D’autres annonciations viendront
quand se rétrécira le monde
et que retentira l’ordre
de s’effacer ensemble
sans masques ni parures
échappant à nos chairs
tel un feu à l’envers.
 

Présentation de l’auteur

Nohad Salameh

L’un des poètes les plus marquants du Liban francophone.  Née à Baalbek. Après une carrière journalistique dans la presse francophone de Beyrouth, elle s’installe à Paris en 1989. De son père, poète en langue arabe et fondateur du magazine littéraire Jupiter, elle hérite le goût des mots et l’approche vivante des symboles. Révélée toute jeune par Georges Schehadé, qui voyait en elle «  une étoile prometteuse du surréalisme oriental », elle publie divers recueils dont les plus récents sont : La Revenante, Passagère de la durée (éditions Phi, 2010) et D’autres annonciations (Le Castor astral, 2012). Elle a été saluée par Jean-Claude Renard pour son « écriture à la fois lyrique et dense, qui s’inscrit dans la lignée lumineuse de Schehadé parmi les odeurs sensuelles et mystiques de l’Orient ». Elle a reçu le prix Louise Labé pour L’Autre écriture (1988) et le Grand Prix de poésie d’Automne de la Société des Gens de Lettres  en 2007. Elle est membre du jury Louise Labé.

Nohad Salameh

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Nohad Salameh, Baalbek les demeures sacrificielles

Ils sont rares, trop rares, les livres de Nohad Salameh. Celui-ci, paru à L'Atelier du Grand Tétras, s'offre comme une somme des paroles de l'enfance, en même temps que celle de la femme grandie là, dans cette ville du Liban, anciennement nommée Héliopolis, « Cité du Soleil » nom donné au Baalbek de l’époque hellénistique, car les Grecs associaient Hélios, dieu du Soleil, à Adad, divinité mésopotamienne de l'Orage et de la Fertilité. 

Autant dire que cette ville se confond avec les visages de l'énonciatrice, tout comme elle motive la langue, les langues, car le texte est proposé dans ce volume en arabe traduit par Antoine Maalouf et en anglais par Suzanna Lang.

Héliopolis, éternelle et multiple dans le souvenir de la poète, qui dans une prose poétique tout en retenue cisèle le poème telle une orfèvre le joyau brut du langage. Le texte liminaire met le lecteur sur ce chemin de la réminiscence, mais aussi d'une somme, celle d'une vie où les racines plongée dans le sol de l'enfance ont aidé à pousser au-delà du territoire qui a nourri la croissance de l'être. 

Le corps brodé de brisures, saupoudré de génie, de lait et de luxure, compose un paysage sur le ligne du songe. Et l'œil, lame de fond, avaleur de ciels, hèle le poète qui arpente le domaine des dieux.

Nohad Salameh, Baalbek les demeures sacrificielles, avec les traductions d'Antoine Maalouf pour l'arabe et de Suzanne Lang pour l'anglais, collages de Nohad Salameh, L'Atelier du Grand Tétras, 2021, 144 pages, 15 €.

Ce poète, père réel, et père du songe demeuré tel qu'autrefois, main tendue pour guider la petite fille et lui transmettre l'amour des mots, mais aussi 

...Jupiter-Hélios, Soleil des soleils, fils aîné de l'Immense, quêteur d'un brin de caresse, tu vides le jour de ses éclairs, tandis que la cité, oblique à même ton épaule, verse sa récolte de pavots et de blé sur les crêtes stériles.

Premiers textes du  chapitre liminaire titré "L'Invitée d'Hélios", où il n'est pas difficile de constater que le masculin prédomine, du père au fils, du symbole solaire qui imprègne le nom d'une ville dédiée à la vie des hommes. A cet égard l'emploi du  substantif "brisures" dès la première ligne est éloquent. La narratrice est l'Invitée d'Hélios, et elle a grandi dans sa demeure, celle de cette chaîne d'instances masculines dont dépendent les femmes. Le titre du recueil revient alors en mémoire, "Les demeures sacrificielles". "L'invitée d'Hélios" s'efface, devient observatrice, énonciatrice du songe dans le songe, elle décrit cet univers dans lequel elle a grandi et qu'elle a quitté lorsque la guerre l'a chassée de sa terre natale. Plus aucune allusion au féminin dans les deux premières parties du poème. La poète reste alors en retrait et se laisse entrevoir parfois dans le pronom personnel de la première personne, de manière lointaine, comme si elle n'osait pas mêler sa propre énonciation aux réminiscences de ces instants où elle a existé en essayant de trouver une place dans cet univers  patriarcal. Elle se souvient et dans une poésie descriptive absolument somptueuse elle devient la parole qui rapporte cet univers masculin, exactement comme toutes les femmes sont le corps qui enfante les hommes. Créatrices et observatrices, la genèse des êtres et des langues leur appartient.

La poète décrit Baalbek avec le regard de l'enfant qui voit ce monde riche de soie et de symboles odorants de l'orient évoluer autour d'elle. Dans les deux premières parties se succèdent l'évocation de la ville, ses odeurs, ses couleurs, restituées dans l'épaisseur d'une langue poétique d'une grande puissance, riche de symboles et d'images. Une seconde partie intitulée "Ceux qui vivent à l'étroit dans la rose" décrit la vie des habitants de la ville, fidèles à ce rythme séculaire qui ponctue les jours des sociétés qui portent encore la prégnance de ces souches ancestrales. Le titre bien entendu laisse planer l'ambivalence entre le sens littéral ou imagé voire métaphorique du substantif "rose" : quintessence du féminin, une rose évoque bien entendu la ville mais aussi la femme. Et du matin au soir la vie des hommes étendue dans des gestes alourdis de figures mythiques, dans une évocation tissée de symboles qui laisse entrevoir combien est fragile la certitude d'exister, et combien est prégnante la peur de la mort. Comme si une quête incessante et vaine présidait à l'édification de leur existence, chaine séculaire de traditions visant à rassurer ces éternels enfants enfermés dans la rose perdue d'une mère qu'il a fallu quitter. 

Jusqu'au dernier matin
ils tentent de forcer la chambre close
où s'arrête la mer.
La nostalgie aux plis du ventre
ils se souviennent de leur couleur d'ombre
qui jetait sur leur chair
l'étoffe de la finitude.

Puis dans la dernière partie un "je" prend le relai. Il s'affirme dans cette troisième partie du recueil, "Gardienne du troupeau du désert". Le féminin affleure alors, se fait jour, dans l'évocation des paysages et la présence de l'entité féminine, gardienne de la sagesse, déesse effrayante au point qu'on la cache, qu'on la relègue à une place où elle doit se taire, comme la narratrice qui peu à peu pourtant libère son verbe et devient cette poète immense et gardienne de ce troupeau du désert que sont les mots. Comme passent les année sur la ville et dans la vie de l'enfant, le texte peu à peu dégage cette femme des décombres du songe et de la geôle séculaire érigée par les hommes. Elle s'énonce et devient déesse, de sa parole, apprise dans le silence abandonné aux femmes. Au sacrifice se substitue la transcendance poétique, au masculin du poème le verbe enfin appartenu, celui de Nohad Salameh, qui enfin s'énonce dans le dernier poème du recueil.

Accablante et troublante ainsi qu'une croyance.
Je te thésaurise au fond de moi, cité qui me donnas
le jour. Attentive à compter et recompter sans
cesse tes soleils, je mesure la valeur de ton inégalable
monnaie - bonheur réitéré lorsque tes
bras pluriels, fatigués d'élévation, de bienvenue
et d'accueils le long des journées, se déterminent
à lâcher ce fardeau de complaisance au profit
d'un regard de tendresse. Et soudain, tous les
dieux ici présents tombent à ma rencontre depuis
les chapiteaux - averse d'olives à l'heure de la
cueillette.

 

Présentation de l’auteur

Nohad Salameh

L’un des poètes les plus marquants du Liban francophone.  Née à Baalbek. Après une carrière journalistique dans la presse francophone de Beyrouth, elle s’installe à Paris en 1989. De son père, poète en langue arabe et fondateur du magazine littéraire Jupiter, elle hérite le goût des mots et l’approche vivante des symboles. Révélée toute jeune par Georges Schehadé, qui voyait en elle «  une étoile prometteuse du surréalisme oriental », elle publie divers recueils dont les plus récents sont : La Revenante, Passagère de la durée (éditions Phi, 2010) et D’autres annonciations (Le Castor astral, 2012). Elle a été saluée par Jean-Claude Renard pour son « écriture à la fois lyrique et dense, qui s’inscrit dans la lignée lumineuse de Schehadé parmi les odeurs sensuelles et mystiques de l’Orient ». Elle a reçu le prix Louise Labé pour L’Autre écriture (1988) et le Grand Prix de poésie d’Automne de la Société des Gens de Lettres  en 2007. Elle est membre du jury Louise Labé.

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Marc Alyn & Nohad Salameh, Ma menthe à l’aube mon amante, correspondance amoureuse

C’est magique, c’est plus haut que tous les discours, tentés pour dire « je t’aime » ! Cette correspondance entre deux immenses poètes que sont Nohad Salameh et Marc Alyn danse avec l’impossible : dire l’amour.

Les mots dans ce cas révèlent leur impuissance à restituer le paysage incandescent de la relation amoureuse, sa puissance verticale qui unit l’espace céleste aux corps, les âmes à la terre, pour réaliser le but ultime de nos incarnations : aimer, déployer les dimensions d’aimer, prendre soin d’aimer, faire grandir aimer, et devenir soi-même plus sage et plus humain en suivant ce chemin initiatique.

Les consonnes labiales qui ponctuent le titre disent la femme, menthe, mon amante… phonologie redondante qui évoque bien sûr la pénultième du mot « aime », mais aussi l’éternel féminin considéré dans toutes ses dimensions, à commencer par la feMMe première, la Mère, MaMan, retrouvée dans une infime parcelle du visage de l'aMante cette Menhte, Mienne, Ma feMMe, concaténation de toutes... Dans l’appareil tutélaire déjà l’aMour affleure. On ouvre notre cœur, notre âme. Lecteur, nous nous laissons porter, entraîner. Nous attendons ceci, qui va advenir lors de notre immersion dans les pages de cette correspondance : les mots de l'amour.

Marc Alyn & Nohad Salameh, Ma menthe à l'aube mon amante, correspondance amoureuse, éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2019, 409 pages, 26 €.

Sur fond de guerre l’espace épistolaire dessine cette relation naissante qui sera si puissante que les amants jamais ne se sépareront. Malgré cette violence, cette folie des hommes, la haine et les combats, ce sentiment pure et immanent qu’est l’amour, ce socle qui sauvera notre humanité, recouvre tous les drames, vainc l'adversité, et tient à bout des épreuves. Ici il est vécu par deux êtres qui sentent que plus rien ne sera pareil, que l’un et l’autre devront compter avec l’un et l’autre. C’est cette magie, ce miracle, que chaque mot des poètes énonce. Quand bien même la forme de la lettre consacre la prose comme modalité énonciative dominante, ici entrecoupée par des vers, chaque signifiant est travaillé comme un orfèvre taille une pierre précieuse, et ouvre les dimensions pluri-sémantiques du langage.  Et cette prose est d’autant plus puissante que la guerre menace à chaque instant de séparer les amants. Alors transparaissent les inquiétudes, les angoisses, et l’immense soulagement à chaque fois exprimés avec une intensité grandissante lorsqu'il est question de retrouver l’être aimé.

L’univers feutré et limpide des amants, cocon de paix dans la tourmente, transparaît dés l’adresse de chaque missive, où apparaissent des périphrases, des surnoms, des mots qui disent cette transfiguration de l’être aimé, propre à la recollection proustienne. L’absence dessine aussi sûrement la silhouette de la personne fantasmée et réelle tout à la fois à qui ces mots s’adressent. Alors l’espace épistolaire devient le lieu de l’édification de cette relation, qui s’instaure aussi dans et par le langage… La présence du destinataire, constitutive des caractèristiques énonciatives du genre épistolaire, permet une actualisation du discours encore plus prégnante, et contribue à renforcer l'émotion amenée par le texte.

 

Nohad Salameh et Marc Alyn.

Elle lui dit « Marc, mon monde concret » et signe « Nouchette ».

 

Tu ne cesses de me parler à l’oreille et je continue de frôler l’infini à tes côtés dans les jardins et les souks de Bagdad, sur les gradins de Babel et parmi les vetsiges de Ninive ! L’Histoire est désormais sertie dans notre histoire : brûlure et ivresse qui, tour à tour, nous pourfendent et nous illuminent. (...)  Il a fait pleine nuit en moi aussitôt que tu t‘es dérobé à ma vue ».

 

Lui, l’appelle « Nohad, ma fiancée du bout du monde ».

 

Après déjeuner, chez Anne, 42 rue Bonaparte, dans l’immeuble où vécurent Sartre, Philippe Dumaine et Gaston Criel. Elle vient d’écrire un recueil qui reprend le vieux mythe platonicien de la séparation, en deux corps distincts de l’être primordial. Elle évoque la quête désespérée de ces deux fragments d’un même individu en vue de se rejoindre, s’étreindre, reconstituer leur primitive unité. Orphée cherche Eurydice. Eurydice trie l’unievrs dans l’espoir de trouver Orphée. Quête immense ! Le monde en est le théâtre, mais aussi l’histoire, car ils peuvent vivre, non seulement dans des pays étrangers, mais à des époques différentes. c’est le thème que j’ai moi-même traité, non sans émotion, à la fin des Poèmes pour notre amour, lorsque tout semblait perdu :

A force de mourir et vivre sans être
à des siècles parfois de distance, le temps
nous fera-t-il le don de nous aider à naître
ensemble pour unir nos corps à cœur battant ?

Je suis revenu à pied par la Seine, un œuil sur les livres des quais. Au Sarah-Bernhardt, quand je suis passé, un couple plus jeune occupait notre place…
Je te caresse, je t’embrasse, je t’aime.

 

Marc »

 

L’Histoire, avec « sa grande Hache »  ainsi que l’évoque Michel Leiris dans W ou le souvenir d’enfance, menace à chaque instant de briser des vies, de détourner des trajectoires, d’aspirer des visages. L’amour ici va venir à bout de toutes les épreuves, de tous les retournements. Et puis, il y a le temps, celui d’attendre le courrier, qui laisse un espace salutaire à l’imaginaire, celui du fantasme, celui du désir, et concourt à l’édification de ces échanges. Ainsi la joie de recevoir la trace d’une plume tenue par une main que l’on connaît, qu’on a serrée dans la sienne, n’en est que plus prégnante et perceptible dans les choix lexicaux opérés par les amants. Images et métaphores tissent des réseaux sémantiques d’une rare beauté. Aucune commune mesure avec les mails, qui remplacent majoritairement les lettres manuscrites… Et combien de correspondances finalement se perdront sur l‘interface d’un disque dur, ou pire, seront affecées avec leur support ! Et puis les paramètres de présentation diffèrent, un peu comme un texte abordé dans la globalité d’un livre, ou lu sur un écran… Il y a le paratexte, il y a les éléments incontournables de l’objet livre, de même que ceux de la lettre, qui différent de ceux du mail… La lettre, son écriture sur l’espace vierge du papier, son attente, et sa découverte, lorsque l’on a devant soi l’enveloppe encore scellée qui contient les mots, la lettre dans sa dimension physique, dit hors de toute lecture combien on tient à la personne aimée.

Combat d’une littérature qui a cherché tant de périphrases, tant d’images et d’échappatoires pour restituer la puissance des ressentis humains, en face de la violence et de la haine, et dans le recherche d’un discours qui puisse rendre compte de ce qu’est l’amour, en distiller l’émotion, l’envergure, la substance, dire la rencontre, dire ce sentiment ressenti près de qui on aime, et on est aimé… Gageure. Ma menthe à l’aube mon amante apporte une pierre à l’édifice des possibles.

 

Pour engourdir, et tromper la douleur de ton absence, je me drogue au travail : écrire, imaginer, n'est-ce pas la meilleure façon de demeurer en contact avec toi à travers les espaces ? Nos rêves coïncident mystérieusement et nous évoluons sans peine de l'un à l'autre, portés par le même élément. Est-il nécessaire de t'expliquer ce que tu devines si bien sans l'aide des mots, ma Nouche, grâce à ton intuition foudroyante de voyante ? L'amour est le point central, le soleil, la pierre de touche dont dépend l'ensemble de l'édifice ; sans lui, le monde n'est qu'un désert obscur. Je n'ai jamais écrit que pour préparer en moi sa venue. (Lettre 40)

Présentation de l’auteur

Nohad Salameh

L’un des poètes les plus marquants du Liban francophone.  Née à Baalbek. Après une carrière journalistique dans la presse francophone de Beyrouth, elle s’installe à Paris en 1989. De son père, poète en langue arabe et fondateur du magazine littéraire Jupiter, elle hérite le goût des mots et l’approche vivante des symboles. Révélée toute jeune par Georges Schehadé, qui voyait en elle «  une étoile prometteuse du surréalisme oriental », elle publie divers recueils dont les plus récents sont : La Revenante, Passagère de la durée (éditions Phi, 2010) et D’autres annonciations (Le Castor astral, 2012). Elle a été saluée par Jean-Claude Renard pour son « écriture à la fois lyrique et dense, qui s’inscrit dans la lignée lumineuse de Schehadé parmi les odeurs sensuelles et mystiques de l’Orient ». Elle a reçu le prix Louise Labé pour L’Autre écriture (1988) et le Grand Prix de poésie d’Automne de la Société des Gens de Lettres  en 2007. Elle est membre du jury Louise Labé.

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Présentation de l’auteur

Marc Alyn

Marc Alyn, né le 18 mars 1937 à Reims, en Champagne, reçoit vingt ans plus tard, le prix Max Jacob pour son recueil Le temps des autres (éditions Seghers). Auparavant, il avait fondé une revue littéraire, Terre de feu, et publié un premier ouvrage, Liberté de voir à dix-neuf ans. Ses poèmes en prose, Cruels divertissements (1957) seront salués par André Pieyre de Mandiargues, tandis que l’auteur doit revêtir l’uniforme et partir pour l’Algérie en guerre. De retour à Paris, en 1959, il donne articles et chroniques aux journaux :  Arts, La Table Ronde et le Figaro littéraire parallèlement à des essais critiques sur François Mauriac, Les Poètes du XVIe siècle et Dylan Thomas. En 1966, il fonde la collection Poésie/Flammarion  où il révèlera Andrée Chedid, Bernard Noël, Lorand Gaspar, publiant ou rééditant des œuvres de poètes illustres : Jules Romains, Norge, Robert Goffin, Luc Bérimont. Sa création personnelle s’enrichit alors d’un roman, Le Déplacement et de deux recueils : Nuit majeure et Infini au-delà, qui reçoit le Prix Apollinaire en 1973. 

A partir de 1964, il s’éloigne volontairement de Paris et vit dans un mas isolé, à Uzès. De ce port d’attache au milieu des garrigues, il accomplit de nombreux voyages en Slovénie (où il traduit les poètes dans deux anthologies, et étudie les vers tragiques de Kosovel), à Venise, puis au Liban où il rencontrera la femme de sa vie, la poétesse Nohad Salameh, qu’il épousera des années plus tard. De ses périples marqués par la guerre à Beyrouth, naîtra sa trilogie poétique Les Alphabets du feu (Grand Prix de poésie de l’Académie française) laquelle comprend : Byblos, La Parole planète, Le Scribe errant.

Revenu enfin à Paris, Marc Alyn connaîtra de douloureux problèmes de santé (cancer du larynx) qui le priveront quelques années de l’usage de sa voix. Contraint de substituer l’écrit à l’oralité, l’auteur entreprend alors une œuvre où la prose prédomine, sans perdre pour autant les pouvoirs du poème. Le Piéton de Venise (plusieurs fois réédité en format de poche), Paris point du jour, Approches de l’art moderne inaugurent une série d’essais fondés sur la pensée magique irriguée par l’humour :  Monsieur le chat (Prix Trente Millions d’amis), Venise, démons et merveilles. Notons enfin les poèmes en prose : Le Tireur isolé et les aphorismes, Le Silentiaire, Le Dieu de sable et Le Centre de gravité. En 2018, paraissent les mémoires de Marc Alyn sous le titre : Le Temps est un faucon qui plonge (Pierre-Guillaume de Roux).   

 

Autres lectures

Marc ALYN, Le temps est un faucon qui plonge

Avec Le temps est un faucon qui plonge, les éditions Pierre-Guillaume de Roux nous offrent de disposer, grâce à ces mémoires de Marc Alyn, du matériau complet composé par le poète. [...]

Marc Alyn, L’Etat naissant

L’Etat naissant, comme une évidence ou une contradiction ? Qui ne connait pas Marc Alyn, dans le petit monde parfois trop cloisonné de la poésie française contemporaine. Né en 1937 à Reims, de son [...]

Marc Alyn, Forêts domaniales de la mémoire

Marc Alyn rêvait jeune « d’une poésie verticale, toujours en marche ». Son vœu est exaucé. Qui mieux que les forêts peut rendre compte des « ressources infinies du Temps » ? Surtout lorsque, « domaniales », leur titre de [...]




Entretien avec Nohad Salameh

ENTRETIEN avec NOHAD SALAMEH autour de Marcheuses au bord du gouffre

Vous venez de faire paraître, chère Nohad, un bel essai aux éditions La Lettre volée, intitulé Marcheuses au bord du gouffre, onze figures tragiques des lettres féminines. Votre dernier recueil de poèmes, Le Livre de Lilith, paru à L’Atelier du Grand Tétras, est une célébration de la Femme à travers ses multiples empreintes. A l’heure d’un féminisme dénonciatif, de l’écriture inclusive et de ce que les journalistes nomment « la libération de la parole », que représentent vos Marcheuses et la figure de la Femme à la source de votre inspiration ?
Nohad SALAMEH, Marcheuses au bord du gouffre, La Lettre Volée, 2018, 216 pages, 22 €

Nohad SALAMEH, Marcheuses au bord du gouffre, La Lettre Volée, 2018, 216 pages, 22 €

 Mon essai procède, en premier lieu, d’une démarche intérieure, fruit d’une longue période de réflexion, de documentation, de questionnement, bref, d’une intense plongée en moi-même. Car, comme le formule quelque part une grande voix de ce siècle : « Ecrire exige de   mettre sa peau sur la table ». L’objectif de ma quête ne consiste pas à révéler des créatrices déjà largement consacrées, mais à raviver la lumière autour d’un ensemble de figures féminines liées entre elles par un parcours tumultueux, fatal, aboutissant à un destin brisé. Attiser la lumière, c’est-à-dire contribuer à leur fournir un supplément de visibilité et leur permettre de continuer d’exister. Par conséquent, ma tâche, d’ordre poétique autant que critique, se définirait plutôt comme un effort de participation. Car comment définir l’acte d’écrire sinon par une détermination farouche de franchir son propre seuil pour accéder à celui d’autrui avec toute la générosité que requiert un tel « dépassement » ?
Vous évoquez mon plus récent recueil, Le Livre de Lilith ; je reconnais que celui-ci bénéficie d’une parfaite harmonie avec Marcheuses au bord du gouffre : dans cet ensemble de poèmes, la célébration de la Femme à travers ses multiples profils ne s’inscrit nullement dans un contexte de militantisme féministe : il s’agit de mettre en relief les facettes identitaires, culturelles et humaines de l’être féminin à travers une vision poétique. Cette tentative atteint son apogée dans le dernier volet du recueil, « Dames blanches de l’oubli », dédié à Nadja, Camille Claudel et aux captives d’Alzheimer : « Vous avez élu lieu en vos propres épouvantes/au creux d’une Nuit pilleuse de mots/Vous vivez en couple avec ceux qui dorment à l’envers. »
 A l’heure où, comme vous le signalez, l’écriture inclusive soulève un débat acharné, mes Marcheuses au bord du gouffre font face à des problèmes existentiels d’une plus urgente gravité. Faut-il chercher l’égalité homme/femme au niveau du langage ? L’ajout du e, du tiret ou des parenthèses n’aurait modifié en rien le destin douloureux de mes personnages, ne leur conférant nullement un confort intérieur refusé au poète quel que soit son sexe.
 La liste de ces figures n’étant pas exhaustive, comment avez-vous procédé au choix de ces portraits ?
 Il est vrai que l’histoire de la littérature est jalonnée d’innombrables figures tragiques d’hommes et de femmes torturés par la grâce et la douleur d’écrire ; j’en ai évoqué quelques-unes dans la préface de l’essai, mais il reste tant de poètes « maudits » atteints par l’œil sorcier du feu: je pense à Jane Bowles, Carson McCullers, Ingrid Jonker, Virginia Woolf et j’en passe ; côté hommes, une liste exhaustive s’imposerait parmi poètes, artistes et philosophes : Nerval, Nietzsche, Kosovel, André de Richaud, Gérald Neveu, Antonin Artaud, Jean-Pierre-Duprey, René Crevel.. Et si je rallonge la liste, je serai amenée, avec Roger-Arnould Rivière à évoquer l’existence « comme une malédiction ». Partant de ce martyrologe où s’inscrivent en rouge les noms des créateurs brûlés par le laser de l’absolu, j’ai privilégié la femme poète, par solidarité, non par sectarisme. De plus, l’étude critique des écrits littéraires nés de la femme couvre un domaine à présent immense, presque inexploité, hélas. Le malentendu cependant ne semble pas en voie de se résoudre rapidement. Comme je citai à la première page de ma préface, la formule prophétique de Rimbaud : «… elle sera poète, elle aussi », le prote s’est empressé de corriger en ces termes : « … elle sera poétesse, elle aussi ». ..

 

Quels seraient les points communs à toutes ces femmes ?
Tous ces êtres d’exception sur lesquels se porte mon choix furent guettés par le déséquilibre et la mort : tous périrent deux fois - au cours et à la fin de leur brève existence. Certaines se hasardèrent à charmer le Malheur qui surgit sans se faire prier; d’autres lui fermèrent à moitié la porte et il s’introduisit par l’entrebâillement. Mais le dénominateur commun se situe au niveau de l’écriture, poésie et prose, toujours fulgurante, sans oublier que la quête de l’inatteignable était leur vrai recours : toutes ces femmes voulurent ouvrir les vannes du rêve et elles furent noyées.
Nohad SALAMEH, Le Livre de Lilith, L’Atelier du Grand Tétras, collection Glyphes, 2016, 80 pages, 13 €

Nohad SALAMEH, Le Livre de Lilith, L’Atelier du Grand Tétras, collection Glyphes, 2016, 80 pages, 13 €

Vous soulignez, me semble-t-il, dans tous vos portraits, la dimension du corps brûlant de s’élever vers le spirituel. La réalité alchimique est-elle fondamentale dans cette époque matérialiste ?
L’écriture du « dedans » porte en elle-même une charge substantielle de spiritualité. Sans doute le brasier verbal que nous injectons dans l’encre s’investit-il d’un pouvoir magique de transmutation destinée à réaliser le Grand Œuvre. L’écriture est un corps qui tend à exploser ses limites. Ces guerrières à la fois décodées et sublimées par la marche imminente à la mort, que j’ai côtoyées au long des pages, bénéficient d’une dimension initiatique qui les transfigure : elles revêtent un relief de « surfemme »  pour qui « la vraie vie est ailleurs » ou absente, d’où leur progression, consciente ou fantasmée, vers le Labyrinthe.
Une seule de ces figures n’est pas poétesse, c’est Milena Jesenskà. Elle ne laissa pas d’œuvre propre, hormis celle qui passa, par son inspiration, dans les écrits de Kafka. Sur cette base, vous pouviez faire le portrait de multiples autres femmes. Envisagez-vous d’autres portraits à publier dans l’avenir ?
Il existe des femmes hors normes qui furent poètes immatériellement par et à travers leurs quêtes et cheminements : orages et silences. Le Poème ne se réduit pas uniquement à une résidence dans le territoire du texte écrit : parmi les milliers de poètes/poétesses ayant existé, combien parvinrent à insuffler dans le mot l’intensité du flux mélodique ? Dans l’introduction à Marcheuses au bord du gouffre, je me suis expliquée quant à la présence de Milena Jesenskà aux côtés des autres « calcinées » ; elle existe par les lettres que lui adresse Kafka et son rôle comme inspiratrice inégalée d’une œuvre où s’inscrit la crucifixion de tout un siècle. Milena n’est pas là en tant que poète : elle est le poème de Kafka.
Lorsque vous évoquez la troublante Unica Zürn, épouse de l’artiste Hans Bellmer, vous écrivez : «  On ne vit pas impunément aux côtés d’un grand artiste : à son tour, Unica éprouve, elle aussi, le besoin de s’exprimer à travers dessins et anagrammes. » Cela m’évoque votre situation, vous-même partageant la vie du poète consacré Marc Alyn. Pouvez-vous parler de ce rapport créateur ? 
Unica Zürn fut à la fois la victime et le chef-d’oeuvre de son époux Hans Bellmer. Cette femme/enfant dénudée jusqu’à l’os, amputée d’elle-même dès l’enfance, prisonnière de ses extravagances cérébrales, se découvre créatrice à travers les tourments que lui fait subir l’ascèse érotique de Bellmer, dont elle est simultanément la poupée, la pute, la déesse. Le salut d’Unica, aux yeux de son créateur/destructeur, ne saurait surgir que de l’expression artistique : il l’initie, l’encourage à aller plus loin dans ses dessins et anagrammes, lui trouve des galeries d’art, sollicite ses amis les plus proches afin de lui apporter soutien et confort. L’enfer de cette marionnette déjà brisée dès sa prime jeunesse se situe au fond de son univers mental désarticulé.
 Personnellement, mon entrée en poésie remonte aux années 80 ; elle fut couronnée par le Prix Louise Labé en 86, bien avant mon mariage avec Marc Alyn. D’ailleurs, nos œuvres ne se confondent nullement, tant d’un point de vue thématique que stylistique. En ce qui concerne notre rapport créateur, il débouche depuis trente ans sur la voie de la sérénité. Chacun de nous met tout en œuvre afin de maintenir cet équilibre susceptible de donner relief et longévité à cette forme singulière d’extase créatrice. D’ailleurs, serait-il très impudique de révéler que partager la vie d’un écrivain d’envergure permet de devenir à la fois soi et l’autre, c’est-à-dire accepter parfois de se perdre pour mieux se trouver.
Avez-vous, dans cette liste des onze, une figure préférée ?  
Une voix irrépressible se dégage des onze cris que poussent mes chères naufragées. Une voix inextinguible, dévorante, prête à mordre ceux qui l’entendent : un appel au secours du langage pour s’épargner le supplice du silence. C’est cet appel, incarné par chacune des grandes blessées du cœur ici réunies, , que je retiens et privilégie ; car n’est-ce pas l’intensité orale de l’écrit qui habilite le texte d’Ingeborg Bachmann, Sylvia Plath ou Marina Tsvetaieva à vivre durablement, malgré la mort ?
Dernière question : l’enjeu de la poésie, s’il existe, demeure-t-il inchangé en 2018 qu’aux époques où vécurent vos Marcheuses ou depuis la nuit des temps ? Et si non, à quoi doivent répondre les poètes et poétesses actuels ?
 Je pense qu’aux époques où vécurent mes Marcheuses, la poésie possédait davantage de repères, de visibilité et de viabilité ; d’abord, parce que l’extension du livre écrit n’était pas encore entravée ou doublée par le numérique. Aussi la lisibilité et la transparence marquaient-elles d’une griffe souveraine la structure du texte. Que nous propose-t-on de lire le plus souvent, en 2018 ? Des recueils à n’en plus finir publiés en nombre hallucinant, le plus souvent à compte d’auteur : collages de mots ou de phrases hirsutes grappillées  dans les livres des autres. D’où l’absence quasi-totale de pulsation intérieure et la sensation de froideur que nous ressentons à travers la lecture.

Présentation de l’auteur

Nohad Salameh

L’un des poètes les plus marquants du Liban francophone.  Née à Baalbek. Après une carrière journalistique dans la presse francophone de Beyrouth, elle s’installe à Paris en 1989. De son père, poète en langue arabe et fondateur du magazine littéraire Jupiter, elle hérite le goût des mots et l’approche vivante des symboles. Révélée toute jeune par Georges Schehadé, qui voyait en elle «  une étoile prometteuse du surréalisme oriental », elle publie divers recueils dont les plus récents sont : La Revenante, Passagère de la durée (éditions Phi, 2010) et D’autres annonciations (Le Castor astral, 2012). Elle a été saluée par Jean-Claude Renard pour son « écriture à la fois lyrique et dense, qui s’inscrit dans la lignée lumineuse de Schehadé parmi les odeurs sensuelles et mystiques de l’Orient ». Elle a reçu le prix Louise Labé pour L’Autre écriture (1988) et le Grand Prix de poésie d’Automne de la Société des Gens de Lettres  en 2007. Elle est membre du jury Louise Labé.

Nohad Salameh

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Comment définiriez-vous la quête poétique qui a jalonné votre vie ? Il me paraît difficile, voire impossible,  d’ôter au Poème sa légitimité, laquelle se définit par l’authenticité. C’est à l’intérieur de cette sphère vitale [...]

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Rencontre avec Nohad Salameh

Comment définiriez-vous la quête poétique qui a jalonné votre vie ?
Il me paraît difficile, voire impossible,  d’ôter au Poème sa légitimité, laquelle se définit par l’authenticité. C’est à l’intérieur de cette sphère vitale que germe le texte. Hors de ce lieu de vie, toute écriture se réduit à un piétinement morne dans le règne du copié/collé et des métaphores gratuites. Quand on écrit, on s’écrit soi-même, devenant simultanément le moule et le contenu ; notre langage se développe alors au rythme d’une double pulsation : cérébrale et charnelle. Le poète habite ses mots et les irrigue en y incorporant la chaleur de son sang, toute la sève de son regard intérieur. En ce qui me concerne, je me suis efforcée, dès le départ, d’injecter dans l’encre l’essence de mon propre Moi, autrement dit de rester  le plus proche possible de ce que j’appellerai l’écriture du dedans.
Que vous a permis la parole poétique ?       
 Nous portons en nous-mêmes, à l’état embryonnaire, la marque en creux d’un appel.  Tout se passe comme si voie et voix se mêlaient pour dessiner le tracé du chemin à suivre. En somme, on naît poète ; on ne fait pas choix du poème, on le reçoit, héritier légitime habilité à donner forme et corps au dit, à étendre son royaume. La parole poétique, lorsqu’elle émerge  des profondeurs, nous autorise à bousculer les stéréotypes où s’emprisonne l’identité et à faire usage d’une grammaire renouvelée, en quelque sorte autonome.  
Si chaque individu reproduit, sur le plan biologique, des caractères acquis transmis de naissance en naissance, peut-être certains dons de l’esprit se communiquent-ils lorsque le terrain et les circonstances se révèlent favorables ? Le fait que mon père était lui-même poète ne m’a-t-il pas favorisé l’accès à  la parole poétique, fût-ce dans une  autre langue ? J’aime  cette idée d’un feu que l’on se partage entre fugitifs dans les forêts de la nuit.
Votre œuvre a été encouragée par Georges Schehadé. Quelle influence ce poète a-t-il eue sur vos poèmes ?
Dans les années soixante, le poète et dramaturge libanais Georges Schehadé occupait des fonctions au Service de Coopération culturelle et technique de l’ambassade de France, à Beyrouth. C’est dans son bureau  encombré de papiers et de livres qu’il me recevait de temps à autre afin de jeter un regard vigilant sur les poèmes que je lui soumettais et dont il évaluait les premières lueurs ; son œil  d’oiseau picorait les textes avec avidité avant de s’emparer d’un vers ou d’une métaphore heureuse, émettant parfois une suggestion de détail toujours élégante : « Vous êtes sur la bonne voie », me rassurait-il enfin. Aussi puis-je affirmer avec reconnaissance que Schehadé me  fut un guide éclairant et subtil, dont l’œuvre n’a pas cessé de rayonner malgré ses dimensions relativement modestes : un seul recueil augmenté d’un petit nombre d’inédits, d’année en année.
Quelque temps  après, lorsque je devins journaliste, mon lien avec l’épouse française du poète contribua  à sceller notre amitié : Brigitte dirigeait dans la zone ouest de la capitale libanaise un centre d’art d’avant-garde, lequel constitua bientôt une espèce de pont  entre Paris et Beyrouth. C’est en partie grâce à son esprit vif et inventif que le Liban connut alors une riche effervescence picturale.
Plus tard encore, lors d’un long séjour parisien, tandis que mon pays vivait les pires moments de la guerre civile, Brigitte me demanda de l’assister à sa galerie, rue des Tournelles, à Paris, me proposant le petit logement, proche du sien,  destiné aux amis…
Quand  il m’arrive de songer aux Schéhadé, une certaine tendresse s’empare de moi et ne me quitte pas de longtemps. S’y ajoute le bonheur d’avoir été, sans doute, l’unique journaliste libanaise à avoir obtenu pour mon journal Le Réveil une page d’entretien  avec le  très secret poète des transparences et de la métamorphose.
Vous êtes née et avez vécu au Liban puis à Paris. Vous interrogez la question du territoire dans votre œuvre. N’est-ce pas parce que la poésie a une dimension supérieurement politique que le monde-marketing l’ignore ?
N’est-il pas vrai que nous appartenons toujours à une géographie, à un lieu, à une Histoire ? Mais quel soleil, quel air respirons-nous lorsque nous sombrons, navire au fond du mot : est-ce l’oxygène de la terre d’origine ou celui du pays d’adoption ? Dans mon recueil Les Lieux visiteurs, le Nous de l’angoisse, face  à l’exil et à l’errance imposés par les mutations géographiques, se traduit par quelques interrogations majeures :
Où se situe le Lieu ?
Où commence et finit notre fuite vers le non-dicté
affiché aux portes de l’île ?
Où s’édifie la Résidence : sous la flèche de l’aube
qui déjà nous vit depuis des saisons
ou contre le mur lézardé lorsque le noir
se découpe en palmes bleues ? 
Cette préoccupation du territoire s’impose d’emblée à l’esprit de tout écrivain à double appartenance car elle s’investit de dimension identitaire. Toutefois, si nous partons du fait que toute poésie implique un engagement total, il convient d’y inclure l’acte d’assumer la part du politique -  à condition qu’elle concerne le destin foncièrement humain de chacun de nous.
En m’impliquant  directement dans le conflit libanais à travers la rédaction d’un journal de guerre, Les Enfants d’avril,  et mes chroniques parues à  Beyrouth dans le quotidien Le Réveil  lors des années d’occupation  syrienne, mon JE identitaire, fusionnant  avec le NOUS  collectif, demeurait fidèle à l’écriture du dedans :  le cri et l’écrit se rejoignaient pour devenir cri/écrit.  Au nom de l’inactuel, le poète résiste à la destruction du réel ; la poétique atténue les ravages du politique.
La poésie contemporaine se méfie du lyrisme. Certains affirment qu’il ne doit pas exister en poésie, d’autres qu’il faut user d’un « lyrisme aride ». Que traduit selon vous cette question du lyrisme ?        
Bien entendu,  nous condamnons  tout épanchement bavard né d’un débordement émotionnel gratuit, sans cohérence ni consistance, n’ayant aucune attache avec ce que les Andalous entendent par Canto Jondo, le chant profond.  Il n’en va pas de même lorsqu’il s’agit de ce filet incantatoire fusant des entrailles du texte, que les poètes arabes nomment tarab  en raison de cette forme de volupté qu’il procure chez le lecteur. Car toute poésie dénuée de cet élément vital demeure désincarnée, vouée à la décrépitude et à une abstraction décourageante.   On comprend pourquoi en Orient la poésie, traditionnellement irriguée par cette luminosité du chant de l’origine, est parvenue à conserver  jusqu’à présent ses hauts  suffrages, tandis qu’en Occident, elle tend à  perdre son pouvoir de fascination.
Vous êtes une femme, orientale, et un poète (peut-être préféreriez-vous que l’on dise « une poète », « une poétesse » ?) Cette double condition a-t-elle été pour vous un combat ?
Je pense que le foisonnement de l’être ne saurait dépendre d’une syntaxe jouant sur les oppositions du féminin et du masculin. Pourquoi les articles le ou la modifieraient-ils un esprit vraiment créateur ? Par ailleurs, certains termes se révèlent usés, dépréciés, éventés, comme cette appellation poétesse dont le suffixe me semble receler, qu’on le veuille ou non, une nuance péjorative.
Quant à mon statut de femme orientale porteuse du don de poésie, il n’eut jamais rien d’écrasant: j’ai  grandi  et  évolué  dans  une métropole qui fut toujours la plaque tournante du Levant, le point de mire du monde arabe environnant. Beyrouth  est l’unique capitale orientale qui ait choisi  – sans tourner le dos à ses racines – de se nourrir du meilleur de la civilisation occidentale : l’impact et l’influence de la présence française au Liban jusqu’en 1945 furent considérables pour le développement d’une culture alternative. Personnellement, j’appartiens à la génération des écrivains femmes  qui a laissé loin derrière elle les temps d’obscurantisme où le Moi féminin de l’écriture ne pouvait émerger sans se heurter aux limites des interdits et des tabous sociaux.
Vous êtes la femme du poète Marc Alyn, et avez composé une œuvre  en  parallèle de la sienne propre. Cependant, est-ce tellement « en parallèle » ?   Vos œuvres et vos poèmes se marient-ils aussi ?
D’emblée, Marc Alyn s’est employé à sauvegarder la singularité de mes écrits en m’encourageant à préserver couleurs, parfums et rythmes de mon paysage natal et mental. Il est vrai que je porte constamment en moi l’Orient dans toute sa dimension mystique ; l’évoquer, c’est effectuer un retour à la mémoire de l’enfance sans pour autant créer une distance infranchissable avec mon quotidien d’écrivain français vivant à Paris.
Assurément, on ne vit pas avec un homme de haute culture littéraire, lecteur de fond, sans partager quelque peu sa curiosité intellectuelle. A son contact, j’ai élargi le champ de mon savoir sans perdre ma spontanéité. Conjuguer la rigueur et la présence n’est pas une entreprise de tout repos. L’essentiel consiste à habiter chaque texte de manière incontournable au lieu de n’y apparaître que de loin en loin, ainsi qu’un fantôme invisible. J’espère posséder ainsi en permanence la conscience du mot juste ou de la métaphore en péril.
Quant à nos œuvres respectives, elles demeurent fort  nettement différentes dans la forme, les thèmes, le mode d’approche des idées ; cependant, il nous arrive de nous rejoindre grâce à la similitude d’expériences partagées que je traite, pour ma part, dans l’optique de la vie quotidienne, tandis que Marc cherche plus volontiers le fil occulte reliant choses et gens selon une perspective métaphysique.
Que pensez-vous de la situation du Poème aujourd’hui en France ?
Le Poème souffre actuellement  d’une fondamentale difficulté d’être en raison des interdits qui le frappent : c’est un acte gratuit dans une société où la finance fait la loi.  Sa situation dépend étroitement de celle des éditeurs, de plus en plus menacés, et des libraires indépendants en voie d’extinction. Cet état de fait conduit à remettre en question la longévité du recueil de poèmes papier, à la fois concurrencé et peut-être  prochainement sauvé par l’édition électronique. Déjà,  grâce aux multiples sites, aussi bien en France qu’à travers le monde, nous assistons au sacre du visuel et à l’universalisation du mot écrit. Mais ce procédé de diffusion contribuera-t-il pour autant à l’extension du nombre des lecteurs du fait qu’ils bénéficient  à présent  de la gratuité et d’une facilité  d’accès à la poésie en train de se faire? Ma réponse sur ce plan se traduit par l’affirmative - et peu importe où niche la poésie, du moment qu’elle conserve sa faculté d’envol !  
Je cite ce poème que j’aime tant :
La douleur : notre fruit
plus écarlate que le sel.
Nous aimions comme on pleure en rêve
absents
et le cœur posé à côté de nous
sur la margelle.
Nous fûmes chute inopinée
peur merveilleuse
avec les pieds par-dessus tête :
flamme florale
saisie dans toute sa splendeur.
D’autres annonciations viendront
quand se rétrécira le monde
et que retentira l’ordre
de s’effacer ensemble
sans masques ni parures
échappant à nos chairs
tel un feu à l’envers.
Quelles annonciations prévoyez-vous puisque ce vers donne son titre à votre dernier livre paru au Castor astral ?   
Ceux qui ont eu l’occasion de lire mon florilège, D’autres annonciations, notamment le prologue, savent que le titre ne s’investit d’aucune signification d’ordre religieux bien que mon prénom soit celui d’une des rares prophétesses citées dans la Bible, Noadia… Certains prêtent à la poésie des origines magiques, ce qui expliquerait l’irrévélé  de certains textes.
Au seuil de ce choix de poèmes allant de 1980 à 2012 - c’est-à-dire, tout au long des mutations de mon Moi littéraire et conceptuel  -  j’ai  déployé  ce titre-espace  susceptible  d’accueillir mes métamorphoses intérieures tout en demeurant ouvert à des évolutions ultérieures. Le lecteur attentif notera le mouvement de balancier de ma courbe lyrique orientée vers un espace (Beyrouth), un temps (la guerre civile), puis dans la période d’après 1980, vers  le retour au lieu natal (Baalbek) : le Poème tapi en moi se régénère avec suffisamment de force pour rompre le cordon ombilical  et progresser, libre, dans une nouvelle vie.
Merci Nohad Salameh.




Nohad Salameh, La voyageuse de minuit

 

Celle venue d’Orient
escortée de ses phénicies
ses alphabets
et ses dieux d’outre-ciel
arbore la fracture de la terre
et la déchirure de vos regards.

Celle surgie des vergers d’Ève
avec ses oracles
ses nostalgies douloureuses
et la fureur des songes
progresse d’un pas de désert
vers le Centre
où se concentrent
l’exil et la mémoire de la rose.

La voyageuse de minuit
qui pose ses ailes sur vos aubes
toute entière tannée par les couchants
incante en vos sommeils
un chant d’espace
par excès d’errances
et appel d’air.
 

∗∗∗

 

D’un vol preste de cigogne
je reviens tenir compagnie
à ceux qui dorment, les mains nouées
sous les jardins de l’épouvante.

De transparence en transparence
je patine vers mon halo premier.
Sans fracas
ni brisure
je chute dans la durée paresseuse du sable.

Je m’endors sous la trame des bouvreuils
- tout mon souffle pour lisser la pierre
et je m’écris au hasard sur les lentes parois
d’où se penche le temps.

Revenante
de mer en mer
d’absence en absence
les chevilles ravivées de soleil et d’encens.
J’enjambe pêle-mêle des fortifications
d’absinthe et de ronces
afin de devenir l’épiphanie du retour.

∗∗∗

 

Lorsqu’on a la maladie du lieu
on perce un trou quelque part en son corps
et l’on y pénètre
n’ayant pour halte qu’un totem
en forme d’astérisque
alors le dedans se réduit au mandala
avec des parois en peau
et la pendule qui se remet en marche
remontée par le bec d’un oiseau.
Aussitôt on cesse de déchiffrer les mots
que l’on prononce à son insu
afin de gommer les impuretés d’un dehors
daté de l’an zéro de l’Hégire.
 

∗∗∗

 

Ne t’attarde pas davantage :
viens avant l’aube - Pâque précoce
allonge-toi contre mes paupières
aux lisières de l’infini.

Mes mains se font plus denses
confondues à tes doigts.
Nous pénétrons nos propres limites
avec un toucher d’immortels.

Repose-toi
sans laisser de blessure
dans le lit du miroir
qui s’échappe d’un bond
au premier reflet.

Surtout
garde-toi de prendre la mesure de la mort
tant que vacille en nous
le feu grégeois du désir.

∗∗∗

 

La douleur : notre fruit
plus écarlate que le sel.
Nous aimions comme on pleure en rêve
absents
et le cœur posé à côté de nous
sur la margelle.

Nous fûmes chute inopinée
peur merveilleuse
avec les pieds par-dessus tête :
flamme florale
saisie dans toute sa ferveur.

D’autres annonciations viendront
quand se rétrécira le monde
et que retentira l’ordre
de s’effacer ensemble
sans masques ni parures
échappant à nos chairs
tel un feu à l’envers.
 




Nohad Salameh, Le mandala

 

Lorsqu’on a la maladie du lieu
on perce un trou quelque part en son corps
et l’on y pénètre
n’ayant pour halte qu’un totem
en forme d’astérisque
alors le dedans se réduit au mandala
avec des parois en peau
et la pendule qui se remet en marche
remontée par le bec d’un oiseau.
Aussitôt on cesse de déchiffrer les mots
que l’on prononce à son insu
afin de gommer les impuretés d’un dehors
daté de l’an zéro de l’Hégire.
 

Présentation de l’auteur

Nohad Salameh

L’un des poètes les plus marquants du Liban francophone.  Née à Baalbek. Après une carrière journalistique dans la presse francophone de Beyrouth, elle s’installe à Paris en 1989. De son père, poète en langue arabe et fondateur du magazine littéraire Jupiter, elle hérite le goût des mots et l’approche vivante des symboles. Révélée toute jeune par Georges Schehadé, qui voyait en elle «  une étoile prometteuse du surréalisme oriental », elle publie divers recueils dont les plus récents sont : La Revenante, Passagère de la durée (éditions Phi, 2010) et D’autres annonciations (Le Castor astral, 2012). Elle a été saluée par Jean-Claude Renard pour son « écriture à la fois lyrique et dense, qui s’inscrit dans la lignée lumineuse de Schehadé parmi les odeurs sensuelles et mystiques de l’Orient ». Elle a reçu le prix Louise Labé pour L’Autre écriture (1988) et le Grand Prix de poésie d’Automne de la Société des Gens de Lettres  en 2007. Elle est membre du jury Louise Labé.

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Nohad Salameh, Ne t’attarde pas davantage

 

Ne t’attarde pas davantage :
viens avant l’aube - Pâque précoce
allonge-toi contre mes paupières
aux lisières de l’infini.

Mes mains se font plus denses
confondues à tes doigts.
Nous pénétrons nos propres limites
avec un toucher d’immortels.

Repose-toi
sans laisser de blessure
dans le lit du miroir
qui s’échappe d’un bond
au premier reflet.

Surtout
garde-toi de prendre la mesure de la mort
tant que vacille en nous
le feu grégeois du désir.

Présentation de l’auteur

Nohad Salameh

L’un des poètes les plus marquants du Liban francophone.  Née à Baalbek. Après une carrière journalistique dans la presse francophone de Beyrouth, elle s’installe à Paris en 1989. De son père, poète en langue arabe et fondateur du magazine littéraire Jupiter, elle hérite le goût des mots et l’approche vivante des symboles. Révélée toute jeune par Georges Schehadé, qui voyait en elle «  une étoile prometteuse du surréalisme oriental », elle publie divers recueils dont les plus récents sont : La Revenante, Passagère de la durée (éditions Phi, 2010) et D’autres annonciations (Le Castor astral, 2012). Elle a été saluée par Jean-Claude Renard pour son « écriture à la fois lyrique et dense, qui s’inscrit dans la lignée lumineuse de Schehadé parmi les odeurs sensuelles et mystiques de l’Orient ». Elle a reçu le prix Louise Labé pour L’Autre écriture (1988) et le Grand Prix de poésie d’Automne de la Société des Gens de Lettres  en 2007. Elle est membre du jury Louise Labé.

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Nohad Salameh, D’autres annonciations

Les poèmes de Nohad Salameh ici réunis proviennent de ses recueils parus entre 1980 et 2012. S’ajoutent des inédits provenant d’un ensemble intitulé Danse de l’une.

Dans ce dernier titre, comme dans celui de l’anthologie perce une conception de la poésie clairement verticale. Ici, la poésie affirme ce qu’elle est fondamentalement : une manière autre (par rapport à celles qui semblent dominer aujourd’hui) et cependant pleinement légitime d’aller vers la réalité avec les outils de l’intuition, du sens et de ce que Daumal appelait l’évidence absurde. Nohad Salameh écrit l’amour (lieu même de la rencontre avec le plus de réel formant les mondes) et l’exil. Née au Liban, elle a dû quitter ce pays marqué par la tragédie. Mais il faudrait écrire amour et exil avec des majuscules tant ces poèmes dépassent la simple expérience humaine ou personnelle ; plutôt, tant cette expérience personnelle traduit l’expérience de tout l’humain : ils sont en effet expression symbolique, imagée, du sacré – que nous ne confondrons évidemment pas avec le religieux, bien que ce soit maintenant souvent le cas, en cette époque de réduction accélérée du langage. Il y a cette présence du Liban et ce perpétuel émerveillement d’être humain :

D’autres annonciations, Nohad Salameh

Nohad Salameh, D’autres annonciations, Castor Astral, 2012, 201 pages, 15€

Il fait un fracas de fêlures, là où chacun quête son silence à la clarté de l’ombre. Car il n’est vérité qu’au seuil du minéral. Il fait un fracas de roses et d’aubes, là où le cœur perd son plumage pour apprivoiser les comètes. Mais moi je transporte ton œil contre mon cou comme une mouette.

Ainsi ma route commence avec le cercle, et je cheminerai endormie, armée d’un souvenir d’orphéon.

Les rues deviendront lanternes magiques projetant les affres de la mémoire. Oiseau de bon augure, ton œil réclame le retour à une enfance millénaire.

Ici, l’amour n’est pas seulement un lien conjoncturel entre deux individus mais élévation le long d’une échelle menant à l’Origine.

En moi tout appartient à l’écorce
je me confonds pêle-mêle avec mes silhouettes
   antérieures
et module du dedans ma plaie
avivée par l’attente.

Contre ma poitrine
une pendule rouge cassée
par la diablesse de l’érable.
Je fais corps avec les autres
mais possède le sel mauve
qui restaure la paix du royaume
ainsi que le pouvoir de déchirer les eaux.

Je te le dis :
le feu est vert à l’intérieur de la flamme.

Avec Les enfants d’avril, poèmes parus entre 1980 et 1990, Nohad Salameh écrit depuis les guerres du Liban et ses villes martyrisées. Beyrouth, le sacrifice.

28 juillet (19 heures)

Beyrouth, lourde fleur de guerre, plus dense que chargement de myrrhe, repose à même nos épaules, métissée de dieux de marbre et de siècles magnétiques. Cité en marche vers l’étoile du midi, elle suscite la convoitise pour le bronze de ses fontaines et la volière de son regard. Louange aux boucles noires de ses édifices, au front fêlé des façades, à son martyre, à sa souveraineté d’aimer, à son ventre enfantant l’éternel supplice !

La poésie de Nohad Salameh donne à saisir ce que « l’occident » – européen du moins – semble oublier : la chair de ce qu’est une guerre, tout autre chose que ces images froides regardées par le prisme des téléviseurs/internet. Car l’européen de ce début de 21e siècle… mange en regardant le spectacle de la guerre. On peine à le croire. Et pourtant. Honte sur nous. Sur ce que nous acceptons de devenir. Sans doute ce devenir, cette incroyable position de l’homme européen attablé devant des corps démembrés explique-t-elle par exemple que des artistes et intellectuels aient pu, à la fin du siècle passé, appeler (oui, appeler), à ce que l’on… bombarde une ville au cœur de l’Europe. Des populations. Des hommes, des femmes, des enfants. En regardant de près, on retrouvera les initiateurs de cet appel (au meurtre) à la tête de bien des institutions culturelles françaises. On croit rêver. Le sentiment d’être toujours en 1942. Folie de nos vies en dehors de la vie, comment expliquer cela sinon. La guerre réelle, c’est la guerre loin de l’image de la guerre :

Le fantôme de l’Apocalypse bat des ailes sur les quartiers. L’éclatement des vitres lacère nos visages. La cité se profile sous les paupières : mandariniers couronnés de faucons. Mais là-bas, veillant au seuil, un sphinx médite sur les bouleversements du Temps.

Que nous rejoignent les frères et sœurs du thym, perchés sur l’épaule des collines, la clé de nos serrures en main ; peut-être nos rameaux verts suffiront-ils à détourner leurs armes ?

Plus loin :

Il pleut même des roses sur les joues des blessés. Mais nous ignorons quelle heure il est, quel temps il fait dehors, quel jour nous sommes : plus de calendrier, de montre ni d’horloge. Rien que la mer qui ferme son cruel éventail.

Lire cette poésie, c’est vivre le Liban, et pas seulement le Liban de la guerre, car le Liban n’est pas que guerre, c’est aussi et avant tout un pays et une humanité merveilleux :

Je parle d’un pays parfumé à la cardamome
sucré de pluies
mariné dans le soleil
d’un pays qui d’un mot invente
mille royaumes comme ces lacs sauvages
en voyage au fond des Tarots.

Je parle d’un pays
où les mains font connaissance
sur les bancs des églises
sous les fraîches coupoles des mosquées
et dessinent les voix lactées de la voyance.

 

Je parle d’un pays
où les enfants survolent les orangers
à l’heure où la lune est pleine
et se répandent en cœurs d’artichauts
dans l’appel de leurs mères.

Ici les filles dansent leur mort
dans le marc du café
et ne retiennent que le langage des abricots
au moment où les Madones
aussi chaudes que les granges
et les averses de juillet
respirent en leur corsage
riveraines des hauteurs
et des vergers aquatiques.

 

Si elles dorment parfois en forme de nuage
ou d’arc-en-ciel
en imitant la rumeur des cavernes
et les diseuses de bonheur
c’est afin de laisser un sillage
une empreinte
un tatouage sur l’aile d’un oiseau.

Le Liban du souvenir mais aussi celui du retour.
Fermant ce recueil, l’on pense, allez savoir pourquoi, à la poésie chorégraphique de Pina Bausch. Son Sacre du Printemps. Les couleurs, peut-être. La force d’âme, sans aucun doute.

Présentation de l’auteur

Nohad Salameh

L’un des poètes les plus marquants du Liban francophone.  Née à Baalbek. Après une carrière journalistique dans la presse francophone de Beyrouth, elle s’installe à Paris en 1989. De son père, poète en langue arabe et fondateur du magazine littéraire Jupiter, elle hérite le goût des mots et l’approche vivante des symboles. Révélée toute jeune par Georges Schehadé, qui voyait en elle «  une étoile prometteuse du surréalisme oriental », elle publie divers recueils dont les plus récents sont : La Revenante, Passagère de la durée (éditions Phi, 2010) et D’autres annonciations (Le Castor astral, 2012). Elle a été saluée par Jean-Claude Renard pour son « écriture à la fois lyrique et dense, qui s’inscrit dans la lignée lumineuse de Schehadé parmi les odeurs sensuelles et mystiques de l’Orient ». Elle a reçu le prix Louise Labé pour L’Autre écriture (1988) et le Grand Prix de poésie d’Automne de la Société des Gens de Lettres  en 2007. Elle est membre du jury Louise Labé.

Nohad Salameh

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Nohad Salameh, Visiteurs aux portes du jardin

 

1.

Pareils à ces arbres qui voyagent dans les textes
ils se mettent en marche à la lueur des amandiers
pressés d’atteindre l’eau qui flambe
depuis un millénaire
dans un village en mal d’oiseaux
et qui à contre-orage repart à vide.
Visiteurs aux portes du Jardin
leur cercle s’élargit
comme des chats miroitants
que dessine la peur sur les murs
des cathédrales abandonnées.

2.

Toujours la même ligne infranchissable
toujours la même errance le même mort
la même griffe la même blessure
une botte sur le cœur
et cette lune qu’ils tiennent serrée entre les dents
et ce soleil qu’ils renversent dans une tasse de sang
pour lire l’avenir
tandis que leurs yeux de liège continuent
d’étayer le dernier rempart.

3.

De quel eucalyptus sont-ils originaires ?
de qui sont-ils la quête
la traversée le songe ?
Flûtes traversières
ils se saoulent d’eux-mêmes
et s’étalent semblables à des algues.

4.

Visiteurs
ils s’envolent et redeviennent la Ville
crépusculaire ou étoilée
puis ils écrivent leur nom
sur un quignon de pain
ou l’écorce d’une mandarine
en attendant un renfort de lauriers-roses.

 

 

Présentation de l’auteur

Nohad Salameh

L’un des poètes les plus marquants du Liban francophone.  Née à Baalbek. Après une carrière journalistique dans la presse francophone de Beyrouth, elle s’installe à Paris en 1989. De son père, poète en langue arabe et fondateur du magazine littéraire Jupiter, elle hérite le goût des mots et l’approche vivante des symboles. Révélée toute jeune par Georges Schehadé, qui voyait en elle «  une étoile prometteuse du surréalisme oriental », elle publie divers recueils dont les plus récents sont : La Revenante, Passagère de la durée (éditions Phi, 2010) et D’autres annonciations (Le Castor astral, 2012). Elle a été saluée par Jean-Claude Renard pour son « écriture à la fois lyrique et dense, qui s’inscrit dans la lignée lumineuse de Schehadé parmi les odeurs sensuelles et mystiques de l’Orient ». Elle a reçu le prix Louise Labé pour L’Autre écriture (1988) et le Grand Prix de poésie d’Automne de la Société des Gens de Lettres  en 2007. Elle est membre du jury Louise Labé.

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