Céline Escouteloup n’a pas que du soleil dans la bouche. Elle a aus­si des étoiles. Et le goût du sang de la vie, uni pour débor­der au goût du sang de la mort. Voilà une poésie qui cherche des accords entre l’u­nivers et le regard, entre la chair et les con­fins. Le haut et le bas, les mots qui vont ou non les lier ; cette ten­sion-là pour que le vers advienne.

 

“La grande nappe de l’univers
Et toutes ces étoiles, toutes ces miettes

Et si on débar­ras­sait sim­ple­ment la table et les cou­verts, une fois
le repas fini ? Reviendraient-elles plus nombreuses ?”

 

Le soleil dans la bouche abor­de égale­ment les rivages de la philoso­phie. “Je pro­pose un sys­tème d’as­sur­ances pour les gens qui marchent vers la lumière.”, écrit Céline Escouteloup en ouver­ture de son recueil avec des accents durassiens. Elle dit les com­mence­ments tou­jours recom­mencés de l’être dans le va-et-vient du rien et com­pose avec le silence qui est l’an­ticham­bre de la soli­tude. Ce silence auquel l’homme [à longueur de temps croit couper la parole].

 

“Dans la chair
Dès le pre­mier cri

Nous por­tons vis­sé au corps
Notre inachève­ment
Jusqu’au silence.”

“Chaque matin, il s’ag­it d’é­car­quiller le visage
Et de rem­plir le néant d’un charme engourdi”

 

L’écri­t­ure de Céline Escouteloup, tour à tour feu­trée et qua­si toni­tru­ante, en apho­rismes aux marges de l’ef­face­ment ou en longues pros­es sonores émail­lées de bégaiements dit les tâton­nements d’une âme prise dans les étaux du doute, ses hési­ta­tions à éclore. Le dernier texte du livre, Lui tor­dre le cou, rassem­ble tout cela, comme une con­fes­sion où Dieu lui-même est pris à témoin. Mais que peut-on atten­dre d’un être qui [n’a pas sup­porté de pren­dre corps] ? Et qu’il faut sur­veiller en per­ma­nence ? Le dérè­gle­ment de la vitesse de l’écri­t­ure vient peut-être de là, de cette impuis­sance partagée à pren­dre forme. Les oiseaux mêmes ont brisé leur chant, comme les rossig­nols de Cio­ran qui se met­tent à rot­er, et se cog­nent en hurlant dans la prison des ascenseurs.

 

Extrait :

Toi, tu m’as vue

 

Le regard loin­tain arrêté dans le temps. Mor­dre la neige, se hasarder sur le seuil et der­rière moi la cham­bre moite, comme il fait froid, comme il fait chaud.
Ouvrir ta fenêtre hissée sur la pointe des pieds

N’y voir rien y voir fort
N’en rien dire mais crier brillant
Sen­tir sous soi la jambe entière se dérober
Comme une chaise frêle en bois vieilli

Oser un petit pas de danse avec la terre instable
Les ongles enfon­cés dans le verre
Les yeux qui roulent en chantant
La bouche pleine de salive
Fenêtres qui claque­nt, qui grin­cent, qui trem­blent, trop ouvertes
Mais com­ment seraient-elles trop ouvertes ?
Toi tu m’as vue. Je ne sais pas mais tu m’as vue. Je ne sais rien, c’est que je mys­tère mais tu m’as vue, toi. Emer­veil­lé, peur, tu m’as dévis­agée d’un coup. Il ne tient plus debout, mon sourire. Que reste-t-il ? Nos deux peaux ? Elles s’ai­ment à se fendre. Il reste, peut-être, quelques vête­ments, un masque véni­tien dou­blé d’un sou­venir de vaporet­to, comme il fait froid, comme il fait chaud.

 

Le soleil dans la bouche est le deux­ième recueil de Céline Escouteloup. Il est pub­lié aux édi­tions Unic­ité. Cette jeune auteure a aus­si pub­lié dans plusieurs revues dont Ver­so, Les Cahiers du Sens, Décharge, Poésie/Première, Les écrits du Nord.

 

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Dominique Boudou

Je suis né à Paris en 1955 et vis à Bor­deaux depuis un demi-siè­cle où je me laisse cul­tiv­er par mon jardin. J’ai survécu au méti­er d’instituteur grâce à de nom­breux chemins de tra­verse. Ceux de la lit­téra­ture m’ont con­duit à écrire quelques livres. Des romans (2) et des recueils de poésie (7). Par­mi mes dernières paru­tions : Poète de la face nord aux édi­tions Recours au Poème, Dans la durée des oiseaux aux édi­tions du Cygne et Vos voix sur mon chemin avec des images de Vir­ginie Van­der­notte chez Dou­ble Vue édi­teur dans la col­lec­tion Voleur de feu. Les toutes nou­velles édi­tions Aux cail­loux des chemins pub­lieront mon texte Choses revues dans Bor­deaux et ailleurs à la fin de l’année en cours.