Éric Chassefière, 5 poèmes

Par |2023-05-06T08:09:41+02:00 4 mai 2023|Catégories : Éric Chassefière, Poèmes|

AU PARTAGE DU CORPS

 

Le vent, le vent tou­jours, la parole des arbres, l’oiseau qui se pose, le corps qui s’ouvre, 
la caresse du vent, sa fleur loin­taine, l’onde légère de ces voix dans le silence proche ; 
ce qu’on entend du vent, la nais­sance d’un feuil­lage, le chant caché de la tourterelle, 
vol déployé à la cime de l’ab­sence, tout ce grand mou­ve­ment des choses, cette 
fragilité, cette imper­ma­nence du désir, déposant alpha­bet de l’om­bre sur la peau, 
toute cette nuit se libérant d’elle-même, cette obscu­rité qui se fait lumière, clarté 
sim­ple du pre­mier rêve, pre­mier dessin du corps dans la pen­sée. Cette lumière qui 
cache pour mieux révéler, sen­tir comme nous y prenons vis­age, comme le vent s’en 
fait la main qui éclaire, dégageant ce front, ces yeux, de l’en­core pénom­bre du miroir. 
Se laiss­er sculpter par ce vent et cette lumière, là, sous le por­tique des vieux arbres, à 
guet­ter l’ap­pari­tion dans les mots de la pen­sée. Mots que ce vent, cette clarté du vent, 
ce flux de l’om­bre dansante sur la peau, sont pre­miers à accueil­lir au partage du corps. 
Ces mots, les dire si bas, en garder si longtemps le sens caché, que c’est le vent qui 
par­le et oublie. Laiss­er en nous respir­er cette nature qui nous porte, écouter à perte 
de silence, faire que les mots écoutent, par­lent d’é­couter. Tenir l’é­clat, la lèvre, la 
pierre douce du chemin.

 

*

PREMIER ÉVEIL

 

 

Ces hauts frênes dressés dans le vent, feuil­lages tout miroi­tant de lumière, prennent 
trans­parence du souf­fle qui les ani­me. Tout n’y est que vibra­tion de ciel, légèreté de 
silence de la peau, clarté caressée aux veines de l’om­bre. Ce vent, sen­tir comme il 
embrase l’é­coute, comme la flamme en est légère à la couleur, l’ef­face­ment s’y fait 
source de l’ap­pari­tion ; comme la main y trem­ble qui, à l’in­con­nu de ce silence partout 
enlaçant le corps, trace ligne d’é­coute et de parole, s’y invente le déli­cat chemin de 
l’oiseau ; comme tout, dans ce vent, respire en tout, le loin­tain se cache dans le 
proche, la dis­tance est écri­t­ure de la lisière. Longtemps ne plus enten­dre que le silence 
du vent, ne plus voir que l’im­mo­bil­ité du bal­ance­ment qu’il imprime aux choses, 
respir­er de la même trans­parence, du même désir de don­ner souf­fle à l’in­stant qui 
nous tra­verse, pren­dre vérité de l’ar­bre qui est en nous. Sen­tir comme l’ar­bre nait du 
vent, comme son mur­mure est celui des mots. Venir, à la source légère du premier 
éveil, écrire le silence, l’om­bre, la pierre, tout ce que le vent pense et oublie. Éveiller 
pour que l’om­bre trem­ble, se sou­vi­enne l’é­clat, la fleur.

 

*

CE CIEL

 

Intense lumière de l’après-midi. Le vent tou­jours, la légèreté de l’ombre,
de la couleur qui se mêle à l’om­bre à la sur­face de cette eau vibrante, ani­mée de mille 
mou­ve­ments con­traires, mince ruban de ciel cer­nant l’en­fance, où tou­jours viennent 
se per­dre les pas ; douceur de cette berge bor­dant l’eau calme, que con­stelle l’ombre 
des frênes et des peu­pli­ers, qui en est aus­si le mur­mure dans le silence de l’herbe 
d’été. C’est là qu’en­tre le cours pais­i­ble du canal et le tumulte du petit bois d’absence 
creusé de pénom­bre, on vient repos­er son pas, gliss­er avec les ombres légères des 
oiseaux, traçant aux méan­dres de l’herbe la mou­vante pro­fondeur de la lumière qui 
les porte. Ce ciel venu bat­tre la terre, pareil à celui, tout près, que l’eau reflète, il faut 
s’y laiss­er appa­raitre avec ces oiseaux, par instant venant au-dessus du champ donner 
bal­let de leur présence. Sen­tir comme la lib­erté du regard, en ces instants de transe 
joyeuse, allège le corps et libère l’e­sprit. Voir ces lignes loin­taines d’ar­bres légers, de 
mon­tagnes enneigées de rocaille, de nuages aux falais­es dressées sur l’horizon. 
Habiter de son pas, foulant l’herbe baignée de ciel, tout ce grand cer­cle de la 
sen­sa­tion, s’y per­dre comme autre­fois l’en­fant au terme des chemins du soir.

 

*

LES DEUX ARBRES

 

Som­bres sil­hou­ettes des deux frênes jumeaux irra­di­ant le ciel de l’im­mense vit­rail de 
leurs bran­chages joints : tout n’y est que pro­fond déploiement de l’e­space, feuillage 
de ciel, bal­ance­ment de la pen­sée, vert pâle venu se mêler d’ar­gent quand le soleil du 
soir, en de rares instants, vient caress­er de ses rayons les flu­ides grappes du feuillage. 
Se laiss­er éclair­er par la rosace des deux arbres, sen­tir, cette lumière qui fil­tre à travers 
les branch­es, comme la source en est pro­fonde, le tracé déli­cat, comme à chaque 
instant l’ar­bre dou­ble redes­sine son loin­tain, en refait lisière, présence de ce 
bal­ance­ment qui en accorde les mou­ve­ments, comme la voix dans le silence en est 
unique, le dessin dans la lumière équili­bré. Sen­tir, ces deux arbres, comme ils n’en 
font qu’un, cha­cun enc­los dans le désir de l’autre, comme dans le vent du soir s’en 
joignent les souf­fles, comme est un l’ar­bre de ciel qui les unit. Voir s’il­lu­min­er le toit, 
savoir que l’om­bre est miroir, nuit l’ou­vert de la fleur.

 

*

ÉCRIRE

 

Chat léger au trait de la berge, venu entre nuit et nuit s’écrire dans la lumière. Son 
pas, on ne l’en­tend pas ; le vent est silence, qui emporte mots et chemins. Marcher 
du même pas léger, des mêmes mots silen­cieux du corps, de la même dis­tance dans 
le regard. N’en­ten­dre qu’avec le corps ces mots que seul rythme le pas, écrire du 
rythme de son pas sur cette terre aux mille chemins d’en­fance, écrire dans l’é­cho du 
£vent, la fleur de silence de l’é­coute, l’eau calme de l’om­bre cares­sant le ciel, écrire 
comme on lance la pierre, écrire à l’a­vant de soi-même, sans répit per­dre et retrouver, 
ramass­er et relancer la pierre. Le chemin est en nous, on n’en­tend pas sa voix dans 
le vent ; le vent est la voix, le silence de la voix, des mots qui par­lent la voix. 
Longtemps arpen­ter la berge, puis s’in­staller là, au creux du temps, dans la distance 
légère du matin. Écrire l’om­bre, le silence, la trace, comme ce chat dont l’apparition 
fut dans son efface­ment même. Savoir que les mots renais­sent ailleurs, que devenir 
est mémoire, le vol de l’oiseau, silence, chant qui s’accomplit.

 

Présentation de l’auteur

Éric Chassefière

Né en 1956 à Mont­pel­li­er, Éric Chas­se­fière est astro­physi­cien, spé­cial­iste de l’étude des planètes, et his­to­rien des sci­ences. Il est Directeur de recherche au CNRS, et a
été Pro­fesseur chargé de cours à l’École Poly­tech­nique. Il écrit depuis l’enfance, et a pub­lié une cinquan­taine de recueils de poésie. Il a obtenu le prix Xavier Grall en
2022. Il est mem­bre du comité de lec­ture de la revue Inter­ven­tions à Haute Voix, chroniqueur réguli­er pour la revue Diérèse, et mem­bre du comité de la revue en
ligne Francopolis.

Bib­li­ogra­phie

Ses derniers recueils pub­liés sont, chez Rafael de Sur­tis : Sen­tir (2021), La part d’aimer (2022), Paler­mo (2023), chez Alcy­one : L’arbre chante (2021), La part silen­cieuse (2023), chez Sémaphore : Le jardin d’absence (2022), Faire par­ler son âme (2023), chez Encres vives : Le partage par la musique (2019), Moments poé­tiques (2021).

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