Tahar Bekri, Mon pays, la braise et la brûlure

Par |2025-06-29T08:28:44+02:00 29 juin 2025|Catégories : Critiques, Tahar Bekri|

Les fron­tières entre temps et espace se défont dans l’incessante quête de la mémoire de la terre natale. Je te porte pays, écrit Tahar Bekri, avant de com­mencer les poèmes suiv­ants par Tu me por­tais, s’adressant aus­si directe­ment à son pays qu’il l’aurait fait s’il avait dia­logué avec lui.  L’histoire du poète et celle de sa terre nourri­cière sont chevil­lées au cœur d’un livre que l’on lit comme une émou­vante tra­ver­sée des années, par-delà l’absence et de l’exil.

L’histoire indi­vidu­elle et col­lec­tive est là à chaque page, avec des rêves, des espérances et aus­si les décep­tions qui sont venues les démen­tir. Le pays imprègne chaque vers, avec tout ce qui se tisse d’une vie, d’un chemin. Si la scène de l’histoire est envahie par des briseurs de rêves, ceux-ci ne sauront emporter tout à fait ni les désirs ni les images.  Je te porte pays, répète Tahar Bekri. Car rien ni per­son­ne ne peut anéan­tir ce qui est inscrit au fond de soi. Le poète affirme et réaf­firme un amour indé­fectible pour son pays, mal­gré les souf­frances qu’entraînent empris­on­nement, perte, désillusion.

 On sent tout au long du recueil la puis­sance et l’intensité de ce qui souf­fle en braise incan­des­cente. La con­ci­sion des vers exalte une res­pi­ra­tion hale­tante et l’émotion qu’il y a à touch­er ce passé dont sou­venirs et sen­sa­tions ne se sont jamais évanouis. La route sen­tait la mer/ Le chèvrefeuille et l’huile d’olive / Les vélos se bous­cu­laient malins et habiles / Sfax, Gabès, Tunis ou encore le fes­ti­val de Tabar­ka et la ren­con­tre avec Ravi Shankar. Les bribes de l’enfance, transe au mau­solée de Sidi Boul­ba­ba ou lait en poudre à l’école pri­maire, puis celles de la vie estu­di­antine avec les clubs de lit­téra­ture et les théâtres ponctuent les poèmes comme les étapes d’une tra­jec­toire. On y retrou­ve la pas­sion d’un monde en devenir, un monde qui serait meilleur et ouvri­rait for­cé­ment des hori­zons nou­veaux. Puis dans le four­gon avec trois jeunes cama­rades / Vers la prison du 9 avril /Ensuite vers Bor­dj Errou­mi dit le Nad­hour / La cel­lule et la petite cour / Tu con­naî­tras Habib et Habib et Sli­mane / Fèves aux besti­oles dans la gamelle.

Tahar Bekri, Mon pays, la braise et la brûlure, Edern édi­tions, 2025, 64 pages, 15 € 20.

Langue tou­jours incar­née, ombres et lumière, drames intimes et col­lec­tifs… Est-ce le pas­sage du temps et l’éloignement qui don­nent para­doxale­ment aux sen­sa­tions et aux paysages une force par­ti­c­ulière ? Ou est-ce parce qu’on les porte en soi, faute de les avoir autour de soi, ou de pou­voir oubli­er ce qui brûle et que la mémoire ressus­cite avec un sur­croit de présence ?

Ce recueil est en effet à la fois nar­ratif et auto­bi­ographique. Le poète y rend vie à une Tunisie qui n’a jamais cessé d’habiter son cœur. L’imparfait des verbes con­fère à de nom­breuses pages une touche de nos­tal­gie, comme un rap­pel lanci­nant de ce qui relève désor­mais de la trace. Pour­tant le poète ne cesse pas d’être habité par sa terre au présent. Il y a des êtres / Comme des rayons de soleil / Néces­saires à la vie / Ouvre le jour / Pour leur dire / Le monde est une mer­veille Car au-delà des ombres qui veu­lent chas­s­er la lumière, le monde est mou­ve­ment. C’est aus­si ce que rap­pelle la très belle cou­ver­ture d’Annick Le Thoër avec l’intensité des couleurs qui restent au cœur de la braise en sommeil.

Présentation de l’auteur

Tahar Bekri

Tahar Bekri est né en 1951 à Gabès (Tunisie). Depuis 1976, il vit à Paris où il est maître de con­férences à l’université de Paris Ouest-Nan­terre. Il a pub­lié une ving­taine d’ouvrages (poésie, essais, livres d’art) en français et en arabe. Sa poésie est traduite dans plusieurs langues et fait l’objet de travaux universitaires. 

Bibliographie 

Poésie

  • Poésie de Pales­tine (Éd. Al Man­ar, 2013)
  • Au sou­venir de Yunus Emre (Elyzad, 2013)
  • Je te nomme Tunisie (Ed. Al Man­ar, 2011)
  • Salam Gaza (Edi­tions Elyzad, 2010)
  • Les dits du fleuve (Ed. Al Man­ar, 2009)
  • Le livre du sou­venir, car­nets (Elyzad, 2007)
  • Si la musique doit mourir (Ed. Al Man­ar, 2006)
  • Les Songes impa­tients (Ed. ASPECT, 2004)
  • La brûlante rumeur de la mer (Ed. Al Man­ar, 2004)
  • La Sève des jours, CD (Edi­tion Sonore Artalect, 2003)
  • L’Horizon incendié, (Ed. Al Man­ar, 2002)
  • Marcher sur l’oubli, entre­tiens avec Olivi­er Apert et poésie (Ed. L’Harmattan, 2000)
  • Les Songes impa­tients (Ed. L’Hexagone, Mon­tréal, 1997, épuisé)
  • Jour­nal de neige et de feu (en arabe) (Ed. L’Or du temps, 1997, épuisé)
  • Les Chapelets d’attache, Ed. Amiot, 1993 ; 2ème Ed. L’Harmattan, 1994)
  • Poèmes à Sel­ma (en arabe) (Ed. Hiwar, 1989 ; 2ème Ed. L’Harmattan, 1996)
  • Le Cœur rompu aux océans (Ed. L’Harmattan, 1988)
  • Le Chant du roi errant (Ed. L’Harmattan, 1985)
  • Le Laboureur du soleil (Ed. Silex, 1983 ; 2ème Ed. L’Harmattan, 1991)

Poésie (livres d’art)

  • Les Chapelets d’attache, Livre en verre, Lau­rence Bourgeois
  • L’Horizon Incendié, Pein­ture de Mohamed KACIMI
  • L’exil d’Ibn Hazm, Aquarelle de Luis DAROCHA
  • La brûlante rumeur de la mer, Pein­ture de Joël Leick
  • Les insom­nies du pigeon voyageur, pein­tures d’Anne Slacik, 2005
  • Atlantis, poésie, édi­tion bilingue ( arabe-français), gravures orig­i­nales de Didi­er Bour­guignon, ouvrage d’art lim­ité à 12 exem­plaires, juin 2004.
  • Atlantis, sculp­tures et moulages de Didi­er Bour­guignon (Ed. Tran­signum, 2004)
  • Poèmes bilingues, litho. de Lafab­rie (Ed. Lafab­rie, Paris, 1978)
  • La Quête de la lumière, pho­tos de Essaâ­di (Paris, 1984)
  • Les Chevaux de la nuit, les lignes sont des arbres, la Mai­son, litho. de Lafab­rie (Ed. Lafab­rie, 1984)
  • Le chant du roi errant, pein­tures de There­sia Schuller, Düs­sel­dorf, 1993
  • Poèmes à Gas­ton Miron, pein­tures de J.-L. Her­man (Ed. La Séranne, 1996)
  • Le pêcheur de lunes, lith­o­gra­phies de B. Lafab­rie (Ed. Lafab­rie, 1998
  • Dante, vespérales, pein­tures de J. — P. Thomas (Ed. La limace bleue, 2001)
  • Lis­bonne, tombeau de Pes­soa, pein­ture de Wan­da Mihuléac (Vice-ver­sa, 2002)
  • Le Vent sans abri, gravures de Wan­da Mihuléac, cal­ligra­phies de A. Ham­mou­da (Ed. Sygnum, 2002)
  • Afghanistan, dessins de Michel Mousseau (Ed. Les petits clas­siques du grand pirate, 2002)
  • Orage, Zéphyr, pein­tures de Mohammed Kaci­mi (Ed. Al Man­ar, 2002)

Essais

  • D’encre et d’exil, Deux­ièmes ren­con­tres inter­na­tionales des écri­t­ures de l’exil ; Entre­tiens avec Tahar Bekri, André Brink, Colette Fel­lous, Ned­im Gursel, Alia Mam­douh, Leila Seb­bar, Vas­silis Vas­si­likos (Ed. BPI-Cen­tre Pom­pi­dou, 2003)
  • De la lit­téra­ture tunisi­enne et maghrébine (Ed. L’Harmattan, 1999)
  • Lit­téra­tures de Tunisie et du Maghreb, (Ed. L’Harmattan, 1994)
  • L’œuvre romanesque de Malek Had­dad (Ed. L’Harmattan, 1986)

Poèmes choi­sis

Autres lec­tures

Tahar Bekri, Mon pays, la braise et la brûlure

Les fron­tières entre temps et espace se défont dans l’incessante quête de la mémoire de la terre natale. Je te porte pays, écrit Tahar Bekri, avant de com­mencer les poèmes suiv­ants par Tu […]

image_pdfimage_print
mm

Cécile Oumhani

Poète et roman­cière, Cécile Oumhani a été enseignant-chercheur à l’Université de Paris-Est Créteil. Elle est l’auteur de plusieurs recueils dont Passeurs de rives, Mémoires incon­nues et La ronde des nuages, paru chez La Tête à l’Envers en 2022. Elle a pub­lié plusieurs romans dont L’atelier des Stre­sor, Les racines du man­darinier, ou encore Tunisian Yan­kee chez Elyzad. Elle a reçu le Prix européen fran­coph­o­ne Vir­gile 2014 pour l’ensemble de son œuvre.

Sommaires

Aller en haut