Lili Frikh, Un mot sans l’autre — dialogue avec Philippe Bouret

Par |2024-02-07T05:01:44+01:00 6 février 2024|Catégories : Critiques, Lili Frikh|

Atten­tion, pas motus, et bouche décousue ! Un mot sans l’autre, paru chez Mars‑A, est un livre fort, plus fort que le café le plus fort, mais en aucun cas fort de café. C’est un livre dif­fi­cile à lire parce qu’il ne triche pas comme sait si bien le faire le genre humain entre autres en lit­téra­ture et poésie.

Ac-couchée sur le divan du psy­ch­an­a­lyste, mais aus­si poète et écrivain, Philippe Bouret, Lili Frikh nous donne en un peu moins de cent pages les clés de com­préhen­sion qui ouvrent grandes les portes de ses travaux d’écri­t­ure et graphiques. Ici la con­fis­erie poé­tique, cette per­ver­sité con­sumériste du sys­tème marc­hand, n’est pas de mise. Lili prévient : quand elle écrit c’est dans le vide. Il n’y a pas de chaise pas de table pas de papi­er pas de stylo…C’est aveu­gle. Et plus loin, lorsque sor­tant oppor­tuné­ment du retrait qu’il s’im­pose, Philippe Bouret pose la ques­tion écrire à par­tir de l’o­ral­ité ?elle pré­cise : oui, j’écris à voix haute. Ecrire à voix haute, ce n’est pas lire ou relire à voix haute. J’écris avec la voix qui prononce, dans le souf­fle de l’o­ral­ité. Le pas­sage de cette voix dans l’e­space lit­téraire a été et reste une véri­ta­ble tra­duc­tion. Le papi­er fige la voix, l’embaume, le livre con­sacre sa mort, ou la ren­voie dans la lec­ture per­for­mance où trop sou­vent la forme colonise le fond. Le livre est une ampu­ta­tion, un livre ça coupe, alors que par­ler, nous dit Lili, c’est pour tenir dans le vide, pas sur la page. Elle nous ramène au mys­tère de la créa­tion, ce vis­céral besoin sans cause diag­nos­tiquée de dépass­er les normes, ces tue l’amour néces­saires dans toute leur effroy­able dual­ité, parce que con­state Philippe Bouret vous êtes plus une amoureuse qu’une artiste. Et l’artiste, surtout quand il se vend au genre con­tem­po­rain en oubliant les mots perd pour Lili sa capac­ité de résis­tance et de souf­france ; l’oblig­a­tion à ver­balis­er dans l’indi­ci­ble, l’ef­fon­drement n’est pas plastique.

Lili Frikh, Un mot sans l’autre, Edi­tions Mars‑A, 15 euro.

Lili Frikh nous instru­it de la jouis­sance de la voix d’a­vant les mots, flu­ide cir­cu­lant dans.  l’e­space du corps que la sor­tie en langue mor­ti­fie. Elle nous rap­pelle aus­si la putasserie des créa­teurs de ten­dances qui vont faire un tour de bidonville pour détecter et s’emparer des trou­vailles de la mis­ère matérielle. Quand le fond humain est d’un côté et l’oeu­vre de l’autre, le crime est par­fait. Pour se guider, sur son chemin, l’au­teure plaide pour le renou­velle­ment de l’in­con­nu qui existe comme tel et fait par­tie de vivre, la plongée dans l’in­soupçon­né de nous-même car ça per­met de laver les œuvres, et oui faut laver les œuvres pour qu’on ne les prenne plus pour des objets d’art. Il nous appar­tient de ne pas faire bas­culer les mots tout de suite dans la langue, ne pas les pros­tituer trop vite, les laiss­er par­ler avant de les égorg­er dans le miroir. 

Un mot sans l’autre est une œuvre de salubrité publique sur la mis­ère d’écrire en poète. Le poète n’a jamais été celui qui veut être mal­heureux et crev­er de faim . La mis­ère n’a jamais été une reven­di­ca­tion, pas plus que la souf­france, seule­ment la con­séquence d’une résis­tance. Pour chang­er la donne, il faudrait que le refus de, la lib­erté de, la résis­tance à , soient côtés en bourse. UN MOT SANS L’AUTRE est un cours de philoso­phie sans les affé­ter­ies abscons­es de trop de philosophes dont les anti­ennes sécu­laires n’ont rien cor­rigé de la nature humaine. Ain­si relève Lili Frikh, la décon­struc­tion lin­guis­tique n’est chargée que de la part con­ceptuelle de la langue et passe totale­ment à côté du souf­fle anal­phabète qui tra­verse la total­ité du lan­gage et unit tous les mots de tous les pays de tous les hommes. Un mot sans l’autre est l’ou­vrage indis­pens­able pour com­pren­dre com­ment échap­per à la dic­tature du por­trait sur la vérité du vis­age, savoir qui on est et où et coment on va en poésie. Enfin. Quand Rim­baud par­lait de chang­er la vie, c’é­tait pour plus de vie, pas pour moins de vie. Dont acte. 

Présentation de l’auteur

Lili Frikh

Lili Frikh fait des études de philoso­phie et oublie Après “Lalala”, album “CHOC” dans Le Monde de la musique réal­isé par Jean-Claude Van­nier chez Poly­gram Paris et sa Pein­ture sans Pein­ture Prix de l’Élan Créa­teur, elle pub­lie en 2012 un pre­mier livre, Bleu, ciel non com­pris avec une pré­face d’Alain Bor­er, édi­tions Gros­Textes. Suiv­ront Car­net sans bord2017(Mention spé­ciale du prix René Ley­naud), Tôle frois­sée 2018 (Sélec­tion SGDL) à La rumeur libre édi­tions et La vie mon­stre 2019, à La Boucherie lit­téraireExtrême­ment sen­si­ble aux nou­velles don­nées de créa­tion,  elle enreg­istre entre Écrire et Par­ler, un album d’ambiant élec­tron­ique et poésie, Tu t’appelles com­ment. À paraître aux Édi­tions f4, Berlin 2022.

Après Lalala, album « Choc » dans Le Monde de la musique, réal­isé par Jean-Claude Van­nier, Poly­gram et sa Pein­ture sans Pein­ture Prix de l’Élan Créa­teur avec Vir­gin Kimono,  Elle com­mence un dia­logue sans lim­ite entre par­ler et écrire et pub­lie un pre­mier livre BLEU/ciel non com­pris, pré­face Alain Bor­er, éd. Gros Textes, 2012. En 2017, elle sort Car­net sans bord à La Rumeur libre édi­tions, Men­tion spé­ciale du Prix René Ley­naud et Tôle frois­sée, sélec­tion du Prix des Décou­vreurs en 2018. En 2019, elle prononce les con­di­tions de l’écriture dans La Vie Mon­stre à La Boucherie lit­téraire. Extrême­ment sen­si­ble aux nou­velles don­nées de créa­tion, elle écrit sans sup­port à tra­vers un album d’ambiant élec­tron­ique et poésie Tu t’appelles com­ment ? réal­isé par Brieuc Le Meur. Une ren­con­tre et un tra­vail artis­tique sus­pendus dans le temps. À paraître aux Édi­tions f4, Berlin 2020.

 

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Jean Azarel

Jean Azarel est né en 1954 « dans l’octobre blond du Saint Lau­rent » (Mon­tréal / Cana­da). Réside dans la baie d’Audierne (Fin­istère). Poète. Dans la fil­i­a­tion d’un père jour­nal­iste, poète et écrivain, gri­bouille des petits romans policiers et des his­toires de cow­boys et indi­ens dès l’âge de 8 ans. Après un long silence, retour à l’écriture en 1997 dans la veine poé­tique. Écrivain éclec­tique, il est lau­réat du prix Xavier Grall 2024, final­iste du Goncourt de la biogra­phie Edmonde Charles-Roux 2023.

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