Béatrice Pailler, Peau d’Enfance, extraits

Par |2021-03-05T18:55:08+01:00 5 mars 2021|Catégories : Béatrice Pailler, Poèmes|

Bes­ti­aire

Enfin, je l’ai vu,
Là, au recul du temps,
Ni fille ni garçon.

Sous de vieux jours,
Sous de vieux pleurs,
Dans une niche creusée,
Il était là, 
Rond de chagrin,
Ni fille ni garçon.

La paix le cou­vrait mieux que l’oubli.
Repous­sant le tombereau des heures, 
Mon regard essuya le chagrin.
Eut-il froid ?
Eut-il peur ?
L’enfant s’éveilla.
Dépli­ant ses membres,
Il con­sen­tit à être,
Ni fille ni garçon.
L’enfant avait :
Tête d’oiseau,
Yeux de loup
Qui, sans paupière,
Bril­laient glauques.
À son front bossué perçait l’avenir.
Des larmiers de vin baig­naient sa face,
Déposant à ses joues de douces humeurs.
Il sec­oua la tête.
Ploya le mar­bre de son col.
Ouvrit son bec sur un silence.
Pen­dant qu’il riait en carpe,
De sa bouche
Des bêtes tombèrent,
Mates sur son poil,
À sa poitrine et son ventre.

Je regar­dais l’enfant.
Mes yeux s’usaient à son visage.

Alors, il se leva.
De son corps, pleurèrent carabes et lucanes.
Une sala­man­dre clav­ic­u­laire chuta.
Un cou­ple de ser­pents se coula,
L’un à sa gorge l’autre à ses reins,

Son flanc de loutre lui­sait huilé de blanc.
Une human­ité incongrue
Par  jeu ornait son buste ;
Deux mains y soupi­raient d’aise.
Dans la four­rure qui le vêtait,
Les ver­mis­seaux de ses doigts se tordaient.
Paumes ouvertes,
Il m’invita.

J’entrai dans son rêve,
Lui con­nais­sait tout du mien.
Par mon âme,
Il s’envola.

….

          Sous la veilleuse des persiennes,
          Rayé de lune,
          L’enfant dort.

         Plus loin que le jour n’a su le faire,
         Le som­meil l’emporte.
         Près de lui, tête à tête,
         Il a gardé l’album étrange. 

        Je suis la chambre.
        Je suis le lit.
        L’enfant dort.
        Il est ma nuit.

       Enfin, 
       Sur le seuil,
       Ils sont venus
       Fauves buvant à nos berges. 

 

Brousse

          Passe la pluie,
          Sèche le temps

 

 Les branch­es ploient
Sous l’eau des fruits.
L’été s’y noie.

Le chaume crisse
Plus rien de vert.
De blanc et de rouge
Le pré, tendu,
Chif­fonne ses reliefs.
Près des corps gris de  soif,
L’herbe tète un sem­blant d’ombre.

L’été croît,
L’eau s’y cache.
Sous les branches
La soif.
Feu de brousse :
Le verg­er blanc d’odeurs.
La lumière tremble
L’enfant la trouble.
Mirage d’été,
Je trem­ble sur l’air.

Loin des corps gris de soif,
Dans l’été troublé
Le pré s’invente.

          Aux pas des géants
          La brousse se grise.
          L’herbe  tète le vent.

 

Bouteille

          Fétu bar­que sur mer d’été,
          Craque en paille
          L’herbe têtue.

Ciel car­relé,
La ter­rasse sue.
L’été tombe en masse.

Sous l’auvent,
Il  y a le temps :
Son grain immobile.
Il y a l’été :
Son cri blanc.  
L’enfant insulaire
Façonne le cri,
Trace au blanc,
Du jaune, du bleu.

Ombre de verre,
Fil­lette par­mi ses sœurs,
Les déjà vides,
Les presque bues,
Elle attend.
Là sur la cire de l’été,
Près des guêpes ivres,
Elle attend,
Glacée d’hier,
Et s’embue.

Petite à ma main,
Pleine à demi,
Col d’écume
Sen­tant l’amer,
Je l’ai choisie.
De demi pleine la voilà vide.
Guêpe,  je dérive.
Au naufrage,
Suis navire.
Enfant blond,
Mous­su d’or,
Robin­son est mon île.

Sous l’œil glauque des  culs,
L’été à dessin s’embouteille :
Hail­lon blanc en habit verre.

Petite à ma main,
Je l’ai choisie.

Sur l’été, je la jette.

 

Baig­nol & Farjon

          La pluie pose ses leurres.
          Mouch­es au vivi­er des lumières.

Bris-ciel
Chaque goutte
Lucides à ma main,
Usent le réel
Polis­sent mes yeux.

De l’arc
La  couleur

La lumière
Mord
Au blanc

Voleur d’espace,
Les crayons maraudent.

 

Brouil­lon

          Soleil en sueur
          Et l’heure écrite 
          Tire la langue

Brou d’encre
Sur blanc marbre
La feuille a du caractère.

Aux lig­nages,
Se pêche en gros :
La mer à outrance,
Un fretin de lettres.

 La plume gratte,
Chalut.
La plume bave,
Filets.

Mots déri­vant,
La page
Drosse au bleu,
Brouillonne
Ses pleins.

          Délit d’encre
          L’heure crisse
          Suante :
          Brou solaire
          Sur peau d’enfance

 

 

Présentation de l’auteur

Béatrice Pailler

Je suis rémoi­se (née en 1966) et j’ai exer­cé à Reims pen­dant vingt ans le méti­er de libraire. Je me con­sacre main­tenant à l’écriture, en alter­nant prose et poésie, et unique­ment à celle-ci, mais dans la diver­sité des échanges et rencontres.

Mon écri­t­ure prend sens dans la langue. Je m’en imprègne et la trans­forme, la tra­vaille, pour façon­ner mon lan­gage poé­tique. Mon but est d’approcher de ce que j’appelle « la poé­tique du monde » qui est pour moi indis­so­cia­ble de la créa­tion et de la lumière. C’est pourquoi, je les place toutes les deux au cen­tre de mon écri­t­ure. C’est la lumière intrin­sèque de la créa­tion que je cherche à faire partager. La créa­tion, tel un ailleurs où les élé­ments sont omniprésents air/terre/feu /eau, où la respiration/le souf­fle du végé­tal et de l’animal s’animent. J’instaure des passerelles entre homme et ani­mal : l’animal dans l’homme et vice ver­sa. Je puise dans l’ensemble de la créa­tion : de nature ou humaine. Le corps est présent, avec le geste et le mou­ve­ment ain­si que sen­ti­ments et inter­ro­ga­tions du vivre. La lumière est là et l’ombre l’accompagne. Ombre qui n’est pas moins belle, juste dif­férente : une lumière qui ne se dit pas, qui ne se dit plus.

Je tente d’exprimer ce qui m’habite par le biais d’une écri­t­ure qui n’est pas sans vio­lence. Une écri­t­ure de con­traste et de rup­ture ; sen­suelle, elle fait appel à tous les sens et invoque le char­nel pour mieux inter­roger l’infini.

Recueils parus à ce jour :

 SACRE, mai 2019, aux Édi­tions Racine & Icare.
Goûte L’Eau, nov.2018, avec six encres de Claude Jacques­son aux Édi­tions de la revue A L’INDEX col­lec­tion Les Plaquettes. 
ALBEDO, mars 2018, Aux Édi­tions Encres Vives. 
Mou­ve­ments, Pan­ta Rhei,  Poésie en voy­age 4èmetrimestre 2017 aux Édi­tions La Porte. 
 Jadis un ailleurs, recueil réu­nis­sant : L’heure métisse et Motifs /collection Poètes des Cinq Con­ti­nents / sep.2016, aux Édi­tions L’Harmattan. 

 

Livres d’Artiste

Par­tic­i­pa­tion aux livres d’artiste de Maria Desmée, expo­si­tions mars-avril 2019 & 2020 à Amiens, bib­lio­thèque Aragon et à Saint Ger­main en Laye.

 Par ailleurs, je par­ticipe aux revues Souf­fles, Tra­ver­sées, Décharge, Les Amis de L’Ardenne, À L’INDEX, Lichen, le Cap­i­tal des mots,  ARPA, Haies Vives, Écrit(s) du Nord et Poésie pre­mière et Les hommes sans épaules…

 

Autres lec­tures

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