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Alain Brissiaud, Livres pauvres

La terre blanchie sous le pas
réprouve la trace laissée
air
l’air suffoque dans le paysage
comme aboiement le feu
dit l’ivresse tendue du retour

  

La terre cogne contre la porte
mais tu restes muet
de l’eau
l’eau des poussières inaudibles disent
l’improbable
tu sais cela

 

De la terre coule de tes yeux
dessinant une brèche
ligne
au fond du ciel
entachée

 

Terre immobile
bascule sous l’horizon
laisse venir
s’emparer des failles du langage
tes mains ne peuvent y parvenir
indécence

Me force à garder le visage ouvert
attentif
tenace comme la langue
la terre épouse le vent d’ici
où si peu de réalité

 

La terre marche sous ton pas
saisissant dialogue entre chemin
et
désir quand les mots
deviennent langue
alors l’espace a la taille de tes mains

 

La terre se penche
au chevet des pierres
surplomb improbable
discontinuité de la parole

 

Il y a une lecture de la terre
happée par le vent d’ici
failles et ruissellements
la façonnent

Reviens
reviens
terre d’encre
ultime tentative
mémoire bouche coupée
oubliée
qu’importe

 

Qui nous apporte un rêve
une tentation
sous l’ourlet de l’âme
abîmée
quelle chute pour cette
rédemption

  

Juste un regard
ivre
supplicié donne à voir
le désordre des choses
qui nous lient

  

Ce naufrage est une vapeur de feu
un frémissement de la peau
alors vient le silence
comme pierre sortie de
terre

  

Et nous prends
tout
brassée d’indulgences feintes
descendue des collines poussières
cailloux
innocence

 

Terre au souffle écorché
l’écho des apparences
noie la suie de tes yeux
délaye le souvenir
destructions et carnages
ce que l’on sait
ignorance

 

Ravins terre
meurtrie
talus     haies    broussailles
quand soudain muet
vient l’oubli

 

La terre qui se voit
archipel boueux
joliesse de ces moments
ensevelis

 

Terre improbable
tu cherches le repos
en vain
nue
elle est celle que tu ne vois pas

 

Alors
tu lèves ton regard
songe qui est un signe
où s’ensevelissent
les derniers incendies

demeurent les mots tombés à terre

 à rebours

Le poème est un ciel               

qui s’assombrit

en cours de route

Même décousu le poème

pousse au cœur de l’homme

avec une constance fiévreuse

Paroles de voix
sonnent et se souviennent
dessinent le chemin
vers toi
à la parole absente

viennent à mesure
de la marche
et buttent
sur la pierre
dans la vérité
de cet instant

il écrit
l’écriture du mot
ramassé accroupi
dans le souffle
effacé
il écrit

gratté
gommé
avec l’étoile du bâton
avec les ongles
en venir à bout

aujourd’hui ce silence
demain le cri
au-delà
un éboulement

Je feuillette l’album de photos de ma mère.
Ma grande soeur, Marie- Hélène paraît toujours fragile et Françoise la plus jeune, tellement espiègle.

Mon père pose debout, très droit, sérieux. Jamais il ne regarde vers l’arrière et s’enferme dans le silence.
Ma mère, une femme douce, disparaît souvent à l’intérieur jusqu’au lointain.

Les photos mentent et jouent.
D’elles s’échappe la tristesse.
Alors, mon regard se perd ; demain est déjà si loin.

Tu piétines sous le monde comme les pierres
et tes rêves basculent vers la nuit.

Cette jouissance s’ouvre sur un chemin de cendres.

Juste, tu enlaces mes membres apeurés.

Nous n’étions tenus que par la nuit
ainsi marchant
jusqu’au jour
séparés de peu
et pourtant si pleins de la tendresse
des choses simples

à ce moment
sans le savoir

vibrant lointain
oui
si loin

Partie de voix
cède
au ciel qui s’enflamme

le manche de la nuit s’en empare
et succombe
avec le silence comme équipage

mais bientôt
nous marchons sur la terre hostile

pour l’ultime embardée

Eau de roche ne veut pas venir
elle dort sous le siège
du grand cinéma

sa frayeur rejoint le ciel incertain
sous la nuit que je lui porte

alors de grandes idées l’encerclent
de leurs doigts féconds

plus tard nous reprenons
cette impensable discussion

je suis comme le livre
diras-tu

près de la bouche

Déjà je cours
juste au devant tu cris lâchez-moi
lâchez-moi
bras de fer dans le bois de bouleaux
vers quelle immensité
indéchiffrable immensité
et tu hurles le visage muet
parole contre parole
trop humain ton beau visage désaccordé

déjà ce visage
l’immensité persona
couché sur le soleil
tu cris lâchez-moi lâchez-moi
te lâchent
sous l’arbre
brutalisée
ta pauvre chevelure cette immensité
en finir juste un murmure
venez
venez voir
je suis trop faible j’exhibe ma sotte mélancolie

nos yeux désemparés

répétition répétition
ce petit corps en fuite
gisant au sol ainsi
ficelle d’herbe

immensité
Deux discordes accordées
mêlées
à ne plus voir
qui rançonne l’autre

deux vies mêlées
qui se chassent
ça n’est pas possible
une dérive
retournée ça n’est pas possible
tous les accords affirmés
ajoutés l’un à l’autre
sonnent et tressaillent
se raccrochent aux accords donnés

alors tu hurles
ta haute voix aux anges
aux anges survoltés
la vie
la vie
aux papillons ôtée raccommodée
aux mille instants saturés
et toute l’énergie vole de l’un à l’autre
ne laisse pas de paix les hauts les bas
ta voix
ta voix d’amour vie vie donne donne
voix voix ne laisse pas en paix
s’envole aux flots donnée

pur esprit

Il pleut sur ta voix c’est le matin
nous allons et venons dans la chambre
tout contre le miroir
j’ai entendu ton rêve frissonner
au creux de ma peau

avons-nous le temps

assise derrière ma main tu souris
comme un éclat de ciel
entre les branches
sans bruit le livre chute au bas du lit

aurons-nous le temps

dire l’autre parole de l’errance
sur quelles rives débarquer nos vies
est-ce la vérité cela
tes yeux se troublent et puis s’effacent
comme un unique bien

le temps donné

L’autre rive à bord de l’embarcation
suffoque de lumière
nous sommes allés chercher le passeur
l’éreintement
sa main tient fermement la corde
tirée de l’eau
des éclats de voix dansent dans l’air
les hommes marchent en silence jusqu’à la nuit
et s’éteignent un à un

abandonnés de ce coté-ci du monde
seule la terre liquide nous accueille
elle nous prend dans sa main et nous agite en riant
pauvres rien que de nous

nous sommes sous la voix en dessous
dans la contrainte du mot
un ciel de cendres nous tient lieu d’église
où nos corps désossés flottent au vent

 

Présentation de l’auteur

Alain Brissiaud

Né à Paris en 1949. Librairie et éditeur depuis 1973. Vit entre le Vaucluse et Paris. Le temps qui lui est aujourd’hui donné est partagé entre l’écriture et la vie.

 

 

 

Alain Brissiaud

Autres lectures

Alain Brissiaud, Jusqu’au cœur

Au-delà des obédiences, des écoles et des mouvements, des mesures et des règles édictées, des discours et des gloses, existe la poésie. Elle échappe à toute tentative d’exégèse, car miraculeusement elle distend le [...]

Carole Carcillo Mesrobian, Alain Brissiaud, Octobre

« L’impossible distance irréductible de l’existence » Un échange épistolaire poétique pour dire « l’impossible distance irréductible de l’existence ». Là où des lettres de feu pourraient suffire, et les exemples sont légion [...]




Carole Carcillo Mesrobian & Alain Brissiaud, Octobre

Les poèmes de l’une et de l’autre pour un échange poétique et épistolaire qui  abolit le vide du temps et de la nuit. De questionnements en interrogations faire éclore l’essentiel, le poème.

Se donne à entendre la difficulté de se comprendre car l’essentiel est aussi dans ce qui ne peut se dire et qui se vit dans l’attente et l’absence :

Viendras-tu me chercher

il n’y a plus d’automne capable de tomber

les feuilles de ma peine

viendras-tu me chercher…

 

 

Carole Carcillo Mesrobian & Alain Brissiaud, Octobre, PhB éditions, 2021, 10 €.

Cette quête de l’autre se fond dans les paysages arides de l’automne et habite le silence :

 

Partout ailleurs

subsiste opaque

la densité sépulcrale

du silence

 

L’automne cette saison de transition entre l’été et l’hiver, entre le ravissement jubilatoire de la vie, du désir et la froideur hivernale recouverte du silence.

Au-delà de la quête amoureuse, une quête existentielle et ce constat, le monde est souvent inhabitable, si peu traversé d’amour car «  si fragile si pauvre est notre foi ». Le poète est bien «  funambule de papier » ; les mots pour tenter d’effacer le vide.

La nuit est très présente, la nuit de l’amour, la nuit du doute et de l’absence et les mots et la poésie toujours pour conjurer cette absence et s’y désaltérer.

Présentation de l’auteur

Alain Brissiaud

Né à Paris en 1949. Librairie et éditeur depuis 1973. Vit entre le Vaucluse et Paris. Le temps qui lui est aujourd’hui donné est partagé entre l’écriture et la vie.

 

 

 

Alain Brissiaud

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Présentation de l’auteur

Carole Carcillo Mesrobian

Carole Carcillo Mesrobian est née à Boulogne en 1966. Elle réside en région parisienne. Professeure de Lettres Modernes et Classiques, elle poursuit des recherches au sein de l’école doctorale de littérature de l’Université Denis Diderot. Elle publie en 2012 Foulées désultoires aux Editions du Cygne, puis, en 2013, A Contre murailles aux Editions du Littéraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sursis en conséquence, Qomme questions, à Jean-Jacques Tachdjian par Vanina Pinter, Carole Carcilo Mesrobian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Florence Laly, Christine Taranov,  Editions La chienne Edith, 2018.

Parallèlement paraissent des textes inédits sur les sites Recours au Poème, Le Capital des mots, Poesiemuzicetc., , ainsi que des publications dans les revues Libelle, et L’Atelier de l'agneau, Décharge, Passage d'encres, Test n°17, Créatures , Formules, Cahier de la rue Ventura, Libr-critique, Sitaudis, Créatures, Gare Maritime, Chroniques du ça et là, La vie manifeste.

Elle est l’auteure de la quatrième de couverture des Jusqu’au cœur d’Alain Brissiaud, et de nombreuses notes de lecture et d’articles, publiés sur le site Recours au Poème.

Autres lectures

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Alain Brissiaud, Chemin de montine, inédits

 

Tu ne sais pas où loger tes pensées
ronces que cela
étourderies
descendant le chemin tu songes
à ces choses
qui surgissent venues
et t’obligent à dire
parler
pour comprendre avec eux
tous

qui sont-ils
si nombreux
recouverts de feu de terre
d’or diront-ils
non
pas cela
ceux qui passent ont plus que de l’or
juste le visage d’homme
et toi
tu veux tenir tout au bout de ta main
leurs beaux regards bariolés

 

Ce n’est pas rien le maintien
la belle allure
derrière la haie cortège de flammèches
tu songes à mettre en ordre tes pensées
ronces que cela
personne ne t’attend ils passent
juste

une autre fois il pleuvait
allongée  près de moi
dans le silence
ta peau reflétait une lumière crue
il n’y avait plus de dehors

et cette pluie plus forte plus puissante à mesure
sonnait dans le ciel
donnait tout d’elle
elle était notre toit de fortune
nous ne pouvions comprendre

tes yeux vibraient de la folie

 

Devant le miroir
nous avons déjeuné de pain
doucement
à nous dévisager

étions-nous ces amants si pâles

dis-moi
es-tu celle rêvée

 nous dormions séparés par la glace
depuis ce jour d’autrefois
au premier temps
de toi
si vite oublieuse de ma présence

 je pioche  dans ta mémoire
indistinctement
sans rien attendre
ni voir
la main tendue aux vents

 

 

Tu t’approches
lui montrant la vallée
et soudain
il connut l’irruption de la douleur
se souvenait-il
mais comment oublier
ce qu’il était venu chercher

pourquoi
être allé si loin

rejetant le passé
il dit encore quelque chose
qu’il est épuisé
qu’il veut rester dans la lumière
et ne peut se poser

dire sa marche
et au-delà

aussi
partir vivre comme on va mourir

 

 

 

Présence de ton corps au bord de l’arbre
dans le cri des corneilles
sur la lisière
où tu t’avances vêtue de lait de braises
tu lis un poème
alors des couteaux de larmes viennent
irriguer tes rêves

tu songes au regard que je te porte
celui
qui te traverse
et te mène au lieu du langage

quelle vérité que cela

 

Où sont nos compagnons
le sais-tu
l’ocre du ciel
et l’herbe douce

nouveau temps 

de quoi ont-ils besoin
je tremble sous le figuier méditant
sur ces choses 

l’hiver reverdit
le temps se sépare
pourquoi nous ont-ils laissé ce qui se perd

Ils ont bu à la santé de ce moment
de ce temps
qui continue à venir
ils ont trinqué
comme on rit d’un rien
pour oublier
comme pendant un discours
une messe

quand le temps se fige
accroché aux souvenirs
et personne ne s’étonne

 

 

personne n’est vraiment triste l’on se tient l’un à l’autre
sans pouvoir se quitter

on chanterait presque
alors
circule un gobelet de vin
il est chaud de chacun
vit dans chaque main
fiévreux comme un enfant

après
nous sommes seuls dans la blancheur de ce moment
démunis
à dire tout un long jour des choses bêtes

 

Ce soir
que reste-t-il
de ton regard

peut-être la transmission de ton regard
la terreur du vide
cette mémoire qui se refuse
teigneuse
comme un bouquet d’absence au monde

peut-être
la contrainte de ce lieu
impossible et calm
qui nous obsède et nous encercle

ce nouvel état de la vie

plus tard longtemps après
tu vins jouer dans mon sommeil

comme hors de toi
retournée

 

 

 

 

Cet autre rêve dans la chaleur
assoupi derrière le muret
tu viens vers moi
indélicate
et merveilleuse
tête à l’envers
me donner ton odeur
ta déchirure

plus tard
assise sur le seuil
au lieu d’éclats
enragée
une brèche à la taille

tu me regardes même vieillir

insolence de ce moment

et puis ce temps nouveau
bouquet d’absinthe
roule
sans rien de ce qui fut
même plus la mémoire
tout a sauté
sombré par le fond

 

 

 

Temps d’ivresse
ta lèvre est un cœur
de silence
tu tais la fièvre
tu fais l’ensevelie
tu es la corde

alors

je n’écris plus de beaux poèmes
plus de lumière
je te regarde aller venir

juste j’attends ce moment

le rire que tu portes
sera notre fardeau

 

 

 

 

Présentation de l’auteur

Alain Brissiaud

Né à Paris en 1949. Librairie et éditeur depuis 1973. Vit entre le Vaucluse et Paris. Le temps qui lui est aujourd’hui donné est partagé entre l’écriture et la vie.

 

 

 

Alain Brissiaud

Autres lectures

Alain Brissiaud, Jusqu’au cœur

Au-delà des obédiences, des écoles et des mouvements, des mesures et des règles édictées, des discours et des gloses, existe la poésie. Elle échappe à toute tentative d’exégèse, car miraculeusement elle distend le [...]

Carole Carcillo Mesrobian, Alain Brissiaud, Octobre

« L’impossible distance irréductible de l’existence » Un échange épistolaire poétique pour dire « l’impossible distance irréductible de l’existence ». Là où des lettres de feu pourraient suffire, et les exemples sont légion [...]




Carole Carcillo Mesrobian, Alain Brissiaud, Octobre

« L’impossible distance irréductible de l’existence »

Un échange épistolaire poétique pour dire « l’impossible distance irréductible de l’existence ». Là où des lettres de feu pourraient suffire, et les exemples sont légion en littérature, nos deux auteurs, Carole Carcillo Mesrobian et Alain Brissiau, ont choisi l’espace poétique de la page journalière pour exprimer l’amour total, impossible donc sacré, l’amour en l’absence des corps retenus entre les mots : leurs mots propres, les mots de l’autre  enchâssés dans ses propres mots, jour après jour. Poésie donc pour aimer à corps perdu.

Les mots habillent et déshabillent ; ils révèlent ainsi les corps absents, les brûlent dans l’incandescence d’Octobre, le mois des vendanges tardives :

Viendras-tu me chercher
Il n’y a plus d’automne capable de tomber
les feuilles de ma peine
Viendras-tu me chercher

dit la femme au terme d’un poème lettre ; et lui répond en italique :

La nuit je cherche
L’eau de tes yeux
Juste cela

 

Carole Carcillo Mesrobian, Alain Brissiaud, Octobre, PhB éditions, Paris, 2020, 64 pages, 10 euros.

Carole Mesrobian fait de l’énigme de l’agencement des mots la matière de son écriture ; sa poésie cérébrale, bien connue aujourd’hui, s’ordonne dans le choc des formules impossibles à résoudre (jamais dans l’aporie, leur résolution est seconde) ; les mots de Mesrobian chantent, grincent hors des règles conventionnelles… L’agencement mystérieux des sens ouvre des perspectives vastes, comme le ferait une sculpture de Moore renvoyant le vide fonder la forme. Voyez, lisez ce « Il n’y a plus d’automne capable de tomber les feuilles de ma peine. » Le vide de l’automne donne forme à la peine. Le sens est littéralement hors du champ syntaxique. Pourtant quelle force ! il y a dans cette poétique le souffle vital, natif, une forme de transcendance.

Alain Brissiaud, lui, argumente en poésie, mais jamais lourdement ; on sent une douleur sourdre dans l’acte d’aimer qui s’exprime frontalement dans sa poésie, avec une belle élégance :

 

cette nuit derrière la maison
le grand pré
s’est mis à briller plus fort

 cela au moins j’en suis sûr

 

L’allusion est directe ; dirait-on « à la fin de l’envoi, je touche », pour paraphraser Rostand/Cyrano. Elle, est bien ce grand pré dès lors que le regard amoureux de l’homme en a décidé ainsi ; il voit briller l’amour là seulement où il peut être, dans le ressenti, loin de l’aimée, la perdue :

 

notre amour n’est pas perdu
qui a écrit cela

 qui

 

Quel cri ! Vient octobre épistolaire, mois des gelées revenues, deuxième peau des poètes : deux lettres/poèmes se répondent pages 26 et 27 du recueil : celle de l’homme d’abord, de la femme ensuite ; les deux poèmes hurlent octobre ! Lui parle :

 

Langage d’octobre[…] et soudain tu es là
dans le silence
venue de loin si fatiguée
la robe déchirée
la voix éteinte
dans la bénédiction de la mémoire
où respire nos blessures
ce vieux pays

 

Il sent la fatigue d’elle qui a  fait un si long voyage dans sa mémoire à lui ; sa robe est déchirée par toutes les tempêtes bleuies sous le crâne et sa voix est éteinte ; seuls l’écriture scandée, les enroulements de la mémoire – ce vieux pays – dans la chair des mots disent l’histoire. Histoire vécue rêve le lecteur ? Histoire volée à l’imagination plaident les claviers ?

La femme répond ce même jour avec les phrases sculptées, j’insiste, de Carole Mesrobian : c’est une bataille, un combat de mots pour défaire les chemins  trop sûrs, pour agencer les couleurs, les bruits :

Octobre

[…]

Descendre jusqu’au fleuve
peut-être où oublier
le tablier d’absences qui empèse ma robe
et regarder aller sa splendeur rugueuse

 

Amour rêvé, amour des lettres. L’échange poétique épistolaire, qui conte l’amour distant dans l’espace et le temps, mais toujours présent dans les entrailles et le cœur, dit que tout amour est magie, qu’ainsi il échappe…

 

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur

Carole Carcillo Mesrobian

Carole Carcillo Mesrobian est née à Boulogne en 1966. Elle réside en région parisienne. Professeure de Lettres Modernes et Classiques, elle poursuit des recherches au sein de l’école doctorale de littérature de l’Université Denis Diderot. Elle publie en 2012 Foulées désultoires aux Editions du Cygne, puis, en 2013, A Contre murailles aux Editions du Littéraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sursis en conséquence, Qomme questions, à Jean-Jacques Tachdjian par Vanina Pinter, Carole Carcilo Mesrobian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Florence Laly, Christine Taranov,  Editions La chienne Edith, 2018.

Parallèlement paraissent des textes inédits sur les sites Recours au Poème, Le Capital des mots, Poesiemuzicetc., , ainsi que des publications dans les revues Libelle, et L’Atelier de l'agneau, Décharge, Passage d'encres, Test n°17, Créatures , Formules, Cahier de la rue Ventura, Libr-critique, Sitaudis, Créatures, Gare Maritime, Chroniques du ça et là, La vie manifeste.

Elle est l’auteure de la quatrième de couverture des Jusqu’au cœur d’Alain Brissiaud, et de nombreuses notes de lecture et d’articles, publiés sur le site Recours au Poème.

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Né à Paris en 1949. Librairie et éditeur depuis 1973. Vit entre le Vaucluse et Paris. Le temps qui lui est aujourd’hui donné est partagé entre l’écriture et la vie.

 

 

 

Alain Brissiaud

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Carole Carcillo Mesrobian et Alain Brissiaud, Octobre

Octobre a pour titre un mois, celui qui « a épousé le déclin des vendanges » (page 35). Il ouvre et ponctue plusieurs pages, comme un signe temporel et symbolique. Il marque le rythme et le sens du livre.

Entre la première phrase d’Octobre :

 

Tu dis que le rouge
Attrape les rêves
Et délie les lèvres sombres du doute  (page 9)

 

et la dernière :

 

Sinon plus rien n’existe ainsi que ne fut rien  (page 63)

Carole Carcillo Mesrobian et Alain Brissiaud, Octobre, PhB éditions, 2020, 63 pages, 10€.

se jouent et se livrent le corps-à-corps, le bouche-à-bouche, le mot-à-mot de deux poètes dont le cheminement amoureux est empreint de lyrisme et de liberté, de souffrance aussi. Il engage la vie, comme tout amour qui voudrait n’être que passion mais se nourrit autant de lumière que de ténèbres.

Carole Carcillo Mesrobian et Alain Brissiaud gardent mémoire – par et avec les mots – d’une errance sur des chemins qui se croisent, se confondent, se superposent, s’écartent, se coupent. Ils pénètrent les esprits et les corps, traversent les paysages, voilent la « nudité du jour » (page 59) et découvrent « l’obscurité sous l’étole de nuit » (page 63).

Écrire à l’autre, c’est écrire à soi-même.

Publier Octobre, c’est quitter les sentiers de l’intime pour emprunter la grande route qui conduit à la ville où habite un lecteur inconnu trouvant dans ce livre jouissance de la poésie et méditation sur l’amour.

Carole Carcillo Mesrobian et Alain Brissiaud inventent une relation épistolaire tout en s’inscrivant dans l’héritage d’une tradition de la littérature. Je songe à la correspondance de Simone de Beauvoir et Violette Leduc, à la complicité de Gustave Flaubert et Louise Colet, à la relation déséquilibrée de Guillaume Apollinaire et Louise de Coligny-Châtillon (Lou), à la sublime langue d’Héloïse et Abélard aussi, que je cite avec émotion : « Vous savez, mon bien-aimé, et nul n’ignore tout ce que j’ai perdu en vous » (lettre deuxième d’Héloïse à Abélard, 1133).

Dans Octobre, la fluidité du texte respecte l’équilibre entre deux poètes en miroir qui écrivent avec subtiles variations de vocabulaire et de registres, glissements incertains de la forme et du fond, projections d’images, face au risque – exaltant et dangereux – de plonger dans l’abîme/abyme qui figure et défigure.

La poésie épistolaire de Carole Carcillo Mesrobian et Alain Brissiaud est une composition discontinue de fragments, comme autant d’éclats d’un discours argumentatif avec ses élans de démonstration, de persuasion, son substrat de doute intérieur aussi, qui mine et démine toute tentative d’un sur-jeu narratif.

D’aucuns verraient en l’amour un sujet asséché. A tort, car il est inépuisable. L’amour a cette fonction puissante de mettre toute existence en perspective et en question. Il faut en avoir connu les joies, les transes, les dérives et les blessures pour porter avec justesse la voix de celui-ci. Si Octobre est le fruit d’un dispositif littéraire – les auteurs ne dévoilent rien sur sa genèse, et ils ont raison –, il est aussi, je n’en doute pas, un entremêlement d’expériences vécues, observées ou rêvées. C’est pourquoi lire ce livre, dont la langue est belle, provoque en moi un authentique plaisir.

A la manière de Roland Barthes dans ses Fragments d’un discours amoureux (Éditions du Seuil, 1977), j’esquisserais une liste arbitraire de quelques figures que je décèle dans Octobre : disparition (page 9), divagation (page 16), silence (page 17), oubli (page 27, page 45), passage (page 31), rêve (page 40), incendie (page 61), et bien d’autres encore.

Écrire pour aller.
Écrire pour revenir.
Écrire pour s’en aller enfin.
Il ne reste que la poésie. Car tout poème est un acte d’amour.

Présentation de l’auteur

Carole Carcillo Mesrobian

Carole Carcillo Mesrobian est née à Boulogne en 1966. Elle réside en région parisienne. Professeure de Lettres Modernes et Classiques, elle poursuit des recherches au sein de l’école doctorale de littérature de l’Université Denis Diderot. Elle publie en 2012 Foulées désultoires aux Editions du Cygne, puis, en 2013, A Contre murailles aux Editions du Littéraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sursis en conséquence, Qomme questions, à Jean-Jacques Tachdjian par Vanina Pinter, Carole Carcilo Mesrobian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Florence Laly, Christine Taranov,  Editions La chienne Edith, 2018.

Parallèlement paraissent des textes inédits sur les sites Recours au Poème, Le Capital des mots, Poesiemuzicetc., , ainsi que des publications dans les revues Libelle, et L’Atelier de l'agneau, Décharge, Passage d'encres, Test n°17, Créatures , Formules, Cahier de la rue Ventura, Libr-critique, Sitaudis, Créatures, Gare Maritime, Chroniques du ça et là, La vie manifeste.

Elle est l’auteure de la quatrième de couverture des Jusqu’au cœur d’Alain Brissiaud, et de nombreuses notes de lecture et d’articles, publiés sur le site Recours au Poème.

Autres lectures

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Présentation de l’auteur

Alain Brissiaud

Né à Paris en 1949. Librairie et éditeur depuis 1973. Vit entre le Vaucluse et Paris. Le temps qui lui est aujourd’hui donné est partagé entre l’écriture et la vie.

 

 

 

Alain Brissiaud

Autres lectures

Alain Brissiaud, Jusqu’au cœur

Au-delà des obédiences, des écoles et des mouvements, des mesures et des règles édictées, des discours et des gloses, existe la poésie. Elle échappe à toute tentative d’exégèse, car miraculeusement elle distend le [...]

Carole Carcillo Mesrobian, Alain Brissiaud, Octobre

« L’impossible distance irréductible de l’existence » Un échange épistolaire poétique pour dire « l’impossible distance irréductible de l’existence ». Là où des lettres de feu pourraient suffire, et les exemples sont légion [...]




Alain Brissiaud, 1000 retours

pour ma fille Marie

Maintenant sur la voie rapide
revenant vers la ville
l’auto s’enfonce dans la mémoire et remonte le temps
Mère courage si lointaine maintenant là gisante cassée
ta vie ne pèse plus bien lourd
nos mains enlacées voudraient tout retenir
juste ça
filer libres
souviens-toi quand tu chantais

ciel ouvert vers les hauts bâtiments et
le rire de jeunes femmes
comme un écho à ton souffle          
mille malheurs          
l’espace est saturé de non sens
vie heurtée
vie contre vie à tout donner

je me tourne vers le mur
au- delà des vitres le ciel est plein de ta voix
ton chevet jaune reflets bleutés agitation sursauts rides maigreur
Mère tu dors dans l’avant mort
légèrement de biais lèvres closes et râles
allant et venant dans la chambre
depuis ce monde je te regarde
ancienne jeune femme me donnant la vie
jaillissant d’entre tes cuisses
pour quel avenir pourquoi

dis
quand ton premier frisson
quel timide jeune amoureux
posant un baiser sur ta bouche 
déjà ce père unique amour

et plus tard débâcle captivité          
le père prisonnier solitude enfants malades
je suis en toi ce soir pour tout voir de ce temps
j’ai voulu connaître où il était           
mettre mes pas dans les siens
comprendre ma propre vie
comprendre  Mère par ta souffrance pour me comprendre
par ce père figé comme un dimanche        
pouvoir me dire « ça va »
partir vers le pont de la photo à sa rencontre
comme il devait aller vers toi
depuis l’autre coté de la ville le dimanche matin
mains d’amoureux doigts serrés
peut-être des caresses sur ta peau 
fantômes tardifs
et si vite père malade retour du corps à la maison

dans le sillage de l’ambulance je refais le compte

je m’épuise à comprendre votre histoire

ton courage sous la peine

que penser

chemin d’Allemagne encore
descendant vers le pré dans la lumière finissante
cherchant ses pas dans les beaux paysages        
Sylvie aide-moi
je dissimule mon émotion
tout retenir pour comprendre*
kommando captivité votre séparation
Bavière air bucolique maisons jolies          

le pont métallique de la photo soudain devant moi           
bouffées manque d’air je perce soudain tes silences
vague sourire             droit digne                  propre
même allure rare maintenant
si loin il disait
« ne fréquente pas ma sœur »        il voulait par delà la distance diriger ta vie
sans rien savoir de tes souffrances
mort des parents traîner Jean à l’hôpital    passer la  ligne         
à son retour tu reprends ta place
en arrière
effacement ta force être une ombre
juste te rendre indispensable
provoquer l’amour
s’attacher l’amour

soudain tu hurles
« maman ! maman ! » son souvenir t’assaille
tes bras tournent sur ta tête
tu appelles depuis l’abîme
« maman ! maman ! »
son absence résonne dans la pénombre
elle te manque tu as peur
perdue si tôt
véritable souffrance   tu en parles comme on caresse
que t’aurait-elle donné
tu es partie si vite t’occuper des autres
fille enfant fille maîtresse

je t’imagine gamine
à quoi rêvais-tu
et jeune femme aimais-tu ton corps 
et plus tard quelles caresses sur ton ventre 
nous n’avons pas parlé rien dit de ces choses
ta jeunesse vendue pour servir les bourgeois
et Jésus bel amant au-dessus de tout       
tu appelles ta mère
tu voudrais cloisonner ton esprit
mais avancer c’est se perdre          

je suis las de tant d’échecs je n’ai rien compris à ta vie
je touche ton front    
je touche ta joue : « ma peau se dessèche »
« pense à ramener la crème »
« qui est là »
étrange ces présences qui volent atour de toi
quelle est cette réalité          

ce soir mes pensées cavalent  
et puis la mort de Claude dans le journal
si soudaine
je n’ai rien compris

cris d’homme maintenant : « arrêtez-ça  arrêtez-ça  »
voix tendues
la souffrance toute entière dans ces cris
quel ancien cruel remord 
quel drame enfoui 
cette folie inonde l’espace de sombres pressentiments
nos rapports se sont détraqués
comment construire nos vies
trouverais-je la paix dans toute cette démence

revenant du pont vers l’hôtel faussement touriste
mon cœur déchiré
incapable à dire mon désarroi
comportement déflagration
mon esprit s’enraye cette nuit

Sylvie je voulais tant m’ouvrir 
couler en toi
apaisé
douloureux d’amour
vers ton ventre m’écouler
mais souillures de ma vie

Mère tu disais
« vas là-bas - je suis usée - tu bouges trop - hors de moi »
maintenant je m’accroche
je jouis de ton usure
reprends-moi reprends-moi
ne me laisse plus
me souvenir de ces nuits de dortoir
le grand me touche sous le drap
le grand me guette dans l’ombre vers le fond attend l’occasion
mettre son sexe dans ma main
par gentillesse disait-il
m’offrir ses névroses
lui aussi manque d’amour
mère pouvais-tu imaginer
et toi père absent que je cherche maintenant

vers la fin tu guettais ses allers et venus vers l’atelier
« Alain - il prend du vin »
« Alain - sors de moi »

<
« Alain - tu vois mon ventre dans le bois »
je sors en courant dans la nuit
fuir

vaines souffrances
ce don de toi payé au prix fort
tu disais tout résoudre par l’amour la prière
tes années défilent comme un livre d’images
dans la lumière du crépuscule
tu sautes sur ta couche rempli de doutes
comme une peau nouvelle un bonheur enfui
ça n’est pas un chagrin un malaise
tes croyances ne sont pas les miennes
pourtant nous attendons la même chose
la même délivrance
ta beauté apparaît maintenant que tu pars
Marie Hélène prie à mon coté
Il fait si chaud
Mère que vois-tu

maintenant sur la voie rapide
vers la maison
la radio joue long way you run 
neige sur le bord de la route
marques de vie manque d’amour
tous à la merci les uns les autres
tous la même vaine histoire

absurde après-midi  

hiver 2004

 

Présentation de l’auteur

Alain Brissiaud

Né à Paris en 1949. Librairie et éditeur depuis 1973. Vit entre le Vaucluse et Paris. Le temps qui lui est aujourd’hui donné est partagé entre l’écriture et la vie.

 

 

 

Alain Brissiaud

Autres lectures

Alain Brissiaud, Jusqu’au cœur

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Carole Carcillo Mesrobian, Alain Brissiaud, Octobre

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Alain Brissiaud, La Parole solide

Lui montrant la vallée derrière la colline
invisible
il connut l’irruption de la douleur
se souvenait-il
mais comment oublier

ce qu’il était venu chercher
pourquoi
être allé si loin
rejetant le passé

il dit encore quelque chose
qu’il est épuisé
qu’il veut rester dans la lumière
 et ne peut se poser

dire sa marche
et au-delà

aussi
partir vivre comme on va mourir

 

∗∗∗∗∗∗

 

Nous dormions séparés par la glace
depuis ce jour d’autrefois
au premier temps
de vous

déjà oublieuse de ma présence

allant  selon votre mémoire
indistinctement
sans rien écouter du remous des blés
derrière la maison
et voir
la main tendue des vents

ni soupir

ô
votre belle indifférence
je la vois maintenant
si nette et
si présente

dans l’altérité du matin finissant

 

∗∗∗∗∗∗

 

Une autre fois il pleuvait
si fort
tu t’es t’allongée  près de moi
dans le silence
ta peau reflétait une lumière crue
il n’y avait plus de dehors

et cette pluie plus forte plus puissante à mesure
sonnait dans le ciel
donnait tout d’elle
elle était notre toit de fortune
nous ne pouvions comprendre
tes yeux
immenses vibraient de la folie

devant le miroir
nous avons déjeuné de pain
doucement
à se dévisager

étions-nous ces amants si pâles

dis-moi
es-tu celle qui n’est pas

 

∗∗∗∗∗∗

 

Tu ne sais pas où mettre tes pensées
ronces que cela
étourderies
descendant le chemin tu songes
à ces choses
qui surgissent venues
et t’obligent à dire
parler
pour comprendre avec eux
tous

qui sont-ils tu songes
à leurs regards
avec eux recouverts de feu de terre
d’or diront-ils
non
pas cela
ceux qui passent ont plus que de l’or
juste le visage d’homme
et toi
tu veux tenir tout au bout de ta main
leurs beaux regards bariolés

étourdie ne pas lâcher
la fraiche blessure
qu’ils t’apportent tenir bon

tu sais
ce n’est pas pour rien le maintien
leur belle allure
derrière la haie cortège de flammèches
tu songes à mettre en ordre tes pensées
ronces que cela
personne ne t’attend ils passent

juste

 

∗∗∗∗∗∗

 

Et si profonde dit-elle de ne s’user
qu’en ta présence
c’est écrit dans tes mains tu sais ces mots parlés
dits et ressassés sans cesse
usés                                                                                                                         
à force d’être là
si près
collés à toi qu’ils se rendent détestables
qui disent quelque chose d’une langue
qui ne se parle pas
vont te broyer te faire disparaitre
déjà tu chavires tu te perds
tu t’absentes

où sont tes mains Jeanne

l’arbre de la cour n’arrête pas le vent
tu le dis dans l’herbe
quand tu cours les mots à nus
tant
ça fait trop mal de ne pas exister

c’est dommage

elle épie
présence ôtée

 

 

 

Présentation de l’auteur

Alain Brissiaud

Né à Paris en 1949. Librairie et éditeur depuis 1973. Vit entre le Vaucluse et Paris. Le temps qui lui est aujourd’hui donné est partagé entre l’écriture et la vie.

 

 

 

Alain Brissiaud

Autres lectures

Alain Brissiaud, Jusqu’au cœur

Au-delà des obédiences, des écoles et des mouvements, des mesures et des règles édictées, des discours et des gloses, existe la poésie. Elle échappe à toute tentative d’exégèse, car miraculeusement elle distend le [...]

Carole Carcillo Mesrobian, Alain Brissiaud, Octobre

« L’impossible distance irréductible de l’existence » Un échange épistolaire poétique pour dire « l’impossible distance irréductible de l’existence ». Là où des lettres de feu pourraient suffire, et les exemples sont légion [...]




Entretien avec Alain Brissiaud : le présent de la Poésie

Alain Brissiaud est un poète discret. Depuis des années il mène un chemin droit et haut  pour porter la poésie de ceux qu'ils a croisés et aimés. Il reste très modeste et effacé lorsqu'il s'agit d'évoquer son oeuvre, déjà importante, non pas en matière de volume, mais pour sa voix, inédite, déjà pérenne, à n'en pas douter. Il écrit depuis l'adolescence sans jamais se soucier d'être publié. Il a été libraire, puis éditeur, notamment de Claude Pélieu. C'est dans la revue Les Hommes sans Epaules qu'il trouve une première fois des lecteurs, et qu'il est révélé. S'en suivront deux recueils, Au pas des gouffres (Librairie-Galerie Racine, 2015), Jusqu'au coeur (Collection Les Hommes sans Epaules/éd. Librairie-Galerie Racine, 2017), et Cantos sévillans, suivis de La lisière (La Porte, 2017)... Il nous a confié ces propos, ainsi que des poèmes inédits. 

Alain, pourquoi la poésie ? 

La poésie questionne le monde, la poésie scrute le monde simplement pour que celui-ci continue d’exister ; c’est une question de survie ! Pourquoi : pour déranger, pour résister, pour éviter la mise à mort, aussi parce qu’à l’origine l’essence même de la poésie est de ne pouvoir autrement répondre à cette question : pourquoi? Le langage poétique s’écoule vers celui qui écoute, elle  irrigue l’autre pour l’associer ; aussi, Ecrire c’est porter attention à l’autre, c’est l’entendre et le comprendre. L’espace du poème se déploie à l’infini de lieu et de temps ; il est au monde, il est tout le monde et donc questionne le monde. La poésie, sans se retourner, questionne le monde depuis l’Origine, allant vers, parcourant le Chemin, nous intimant d’aller à la rencontre de.

Pourquoi les premiers textes antiques, pourquoi Villon, pourquoi Holderlin, pourquoi Baudelaire, pourquoi Artaud, pourquoi Mandelstam et Celan ? Pourquoi tant de souffrances bordant ce long chemin, pourquoi l’errance, pourquoi tant d’amateurs ? Peut-être est-il le lien tendu depuis ces âges anciens jusqu’à ce jour, un chemin  praticable par tous où vibre cette question : pourquoi ? Et ce lien n’est-il pas ce que l’humain tente d’abord de préserver ?  Ce chemin vit de sa propre énergie,  bouscule, pousse et se fraie un passage pour sonder nos vies. Ce lien qui nous rattache aux temps anciens est le lieu même du poème ; voilà pourquoi la poésie.

Un lieu où les archétypes portés par le langage lorsqu’il est soumis au travail de cette distorsion poétique rassemblent tous les humains ?  L’union du sacré et du profane, de la parole et du silence, de l’éphémère et de l’éternité ? Une coïncidence divine ?
 
 Ah, quelles belles utopies ! Oui, ce lieu est au cœur de l’humain, il en est le cœur, assurément. Décidons, osons par le poème nous confronter au vivre ensemble, à la tolérance, au respect de l’autre. Voyez la ferveur qui se dégage d’une lecture publique, voyez les poignants concerts de Léonard Cohen, ne vous ont-ils pas envoutés ? Cette union n’est-elle pas celle du sacré et du profane ? Non, pas une coïncidence divine, plutôt une volonté de chacun de nous à établir une relation  apaisée à l’autre, à l’écoute de l’autre. 
Le poète nous donne à lire son âme sans pudeur, il nous laisse entrevoir sa vraie nature et cela nous ramène à nous-mêmes ; ce que nous montre le poète ce n’est pas de l’ordre du moi mais de l’universel, alors pourquoi ne pas l’écouter ? Là, oui, la parole et le silence se confondent, me semble-t-il. Mais revenons dans le monde réel, celui où règnent la peur et la détresse, le lieu du quotidien… pour dire, et cela ne me parait pas utopique, compte tenu de l’état du monde, qu’il existe une autre voie à celle de son fonctionnement actuel qui est le chemin de l’apprentissage de la parole poétique ; avant tout. Et le lieu en est le cœur de l’homme.
Y a-t-il des voix poétiques qui vous ont suivi, guidé, et pourquoi ?
Quelle belle chance nous avons de pouvoir écouter et lire les poètes en un clic ! Le monde n’a jamais été aussi vaste. Hier, un ami de passage me fait écouter des textes de Vladimir Vissotsky interprétés par Lise Martin ; plus tôt c’était le chant d’Angélique Ianatos sur des poèmes de Dimitra Manda et la sublime musique de Théodorakis…les supports modernes sont si commodes que tous les auteurs nous sont proches. Nous sommes près de la source, abreuvons-nous.
Les poètes veillent sur nous, saisissons leurs mains tendues. Je pense à mon ami Claude Pélieu qui a tant compté pour moi, à Allen Ginsberg le barde bondissant, si bon, si entier, je pense à Paul Celan l’homme-douleur, à Yves Bonnefoy, le patron ou aux vers de  Franck Venaille où je me perds avec bonheur. Demain d’autres viendront à moi, sans cesse, comme un fleuve, il suffit de s’ouvrir. Il ne s’agit pas de feuilleter un catalogue : que retenir d’une vie d’écoute sinon attendre les signaux qui viennent nous surprendre. Courons les librairies, les livres de poésie sont partout, l’édition est vivante, les revues nombreuses. C’est par elles que l’accès est le plus simple. J’ai débuté comme beaucoup en lisant les revues. Une revue compte particulièrement pour moi : celle animée par Christophe Dauphin : Les Hommes sans Epaules, toujours d’une grande richesse. Les revues permettent la lecture d’une incroyable diversité de ton et de forme. Tant d’écrivains me seraient inconnus sans la lecture régulière des revues.
Je suis d’une autre époque et les auteurs qui m’ont aidé à vivre ne sont plus jeunes et pour beaucoup ne sont plus du tout. Mais le poète essentiel, et nous sommes nombreux à le penser,  a été couronné par le Prix Nobel de Littérature, il s’appelle Bob Dylan et c’est bien ainsi.
Oui Bob Dylan a écrit des textes d’une immense richesse ! Alain Ginsberg, Bob Kaufman, et Claude Pélieu, aussi. Ils ont en commun leur engagement, le fait de porter une parole fraternelle et de militer pour une société humaine. Vous avez publié des inédits de Claude Pélieu, et vous avez connu cette époque de la Beat Generation, peut-être pourriez-vous nous en parler ?
 
Oui, j’ai eu la chance de pouvoir publier Claude Pélieu à deux reprises et Allen Ginsberg pour son long poème Iron Horse. J’ai été mis en rapport avec Claude par François Di Dio l’éditeur du Soleil Noir. C’était mes années d’apprentissage… Mais, au-delà de l’époque, des rencontres, des amitiés, de « l’histoire littéraire », c’est un état d’esprit que je souhaite évoquer. Allez sur la chaine Youtube écouter Ginsberg chanter Father Death Blues accompagné de son guide-chant : la souffrance est ce qui est né – l’ignorance m’a désespéré – tristes vérités, à ne pas mépriser (Traduit par Pierre Joris).
La « beat generation » nous a donné des écrivains en phase avec le monde, ancrés dans l’humain au cœur de la nature, des hommes qui ont tenté la réconciliation des hommes, qui ont pratiqué l’unité retrouvée, qui étaient beaux et facétieux, qui étaient du matin sans morale, qui habitaient un lieu où la pensée et la poésie n’étaient qu’un, pacifistes ne se prenaient pas au sérieux, jamais seuls ils étaient tous et toutes, ils souriaient au bord d’un monde prêt à l’Apocalypse, ils étaient l’essence même de l’homme enraciné, du monde de Whitman, solaires soufflant sur les braises de l’aventure, le pas sur la terre au spirituel pratique, ils savaient que la poésie nous mène à ne croire qu’en elle : elle est force, elle est libre. Ces poètes touchaient le plus grand nombre, c’est cela aussi qui est remarquable. Leurs visages nous étaient connus : Ginsberg était une pop-star. Je ne suis pas aveuglé disant cela : la poésie doit retrouver cette place ! C’est pour cela que tout à l’heure j’évoquai Dylan. Mahmoud Darwich, Yannis Ritsos,  Pablo Neruda, Anna Akhmatova… les grandes voix nous manquent, des poètes qui se dressent et se saisissent du pouvoir de la parole et nous guident vers un monde dépouillé de frilosité ayant abandonné ses peurs.
 
Je souhaite exprimer ma reconnaissance à Recours au poème qui par l’intermédiaire de Gwen Garnier-Duguy ma ouvert sa porte alors que je n’avais rien publié ainsi qu’à Christophe Dauphin et Alain Breton mes merveilleux éditeurs de la Librairie Galerie Racine.
 
 A lire :
Claude Pélieu : New poems & Sketches 1977. Books Factory Editions, 211rue du Fg Saint Antoine 75011 Paris.
IndigoExpress. Le Livre à Venir. 1986. A la  même adresse.

∗∗∗∗∗∗

 

Louise
pleure dans sa Nuit

 

 

Alors nous fûmes privés de la parole
la terreur des mots nous quitta
l’absence vint
celle

sans cesse recommencée

 nous pouvions enfin
ne plus avoir peur

 

∗∗∗∗∗∗

Louise

 

Car tu ne le sais peut-être pas
écoute
les mots ne peuvent dire

ceux qui courent
se répandent
disent les évidences et disparaissent
cédant la place à d’autres
et nous laissent
dans la détresse

même plus la parole
ôtée la parole
retirée
confisquée
êtres muets
nous restons

vaines paroles d’ailleurs
d’un lieu à l’autre
ni le savoir et quelle route prendre
partout
les pierres ont le même tranchant

sans détour
innocence
abandon

 

∗∗∗

 

Jours mystérieux et secs
jusqu’à l’odeur du figuier
entendu dans le souffle du vent
Louise
son parfum se mêle à ta salive

à ton coté
je n’ai plus peur
d’emprunter ce chemin de nuit

que viennent
ta joie ta peine
je serais l’eau de ta voix
ta peine ta joie
seront miennes

 

∗∗∗

 

Ce neuf août à Marseille
j’écoute la pluie taper contre la vitre
mais c’est ta voix qui chante derrière la cloison
qui me montre la route
ce jour là la vie allait dans la buée des choses
avec nonchalance et retenue
peut-être étais-je sourd au charme des joies éteintes
car rien ne pouvait calmer
mon angoisse de la nuit
celle-là même qui me fit tourner en rond
sur le palier devant ta porte
guettant le jugement du baiser d’adieu

ô
puis-je échapper à tes questions

puissent-elles ne jamais revenir

 

∗∗∗

 

Louise dans ta nuit
tu voles avec les corneilles
toutes là
rassemblées et tu sanglotes
lorsque tu perds au jeu quand tout se trouble

pas moyen de tenir en place
tu cours et chutes cinq fois

une pluie glacée coule de tes plaies

c’est étrange de te voir si nette
dis-moi que fais-tu toute nue sur le lit allongée
si attirante
un chanteur bon marché peut te charmer
mais dira-t-il ta vérité

jours sans pain sur ton ventre
maintenant tu vieillis
tu voudrais que l’alcool s’écoule dans tes veines
Louise
la flamme de tes reins vacille
tu es comme au désert

petite aube
chuchote encore la prière à mon oreille

 

∗∗∗

 

Tu tournes
bloquée en ville une sale histoire
le valet de ton cœur provoque ta colère
il est lâche
il est bête
il ment sans cesse
tu veux le fuir
las
tu te retournes sur ton image

tu regardes la mort

silence des mots

je me penche à la fenêtre pour oublier
vertige
l’herbe est jaune derrière le muret

tout se dessèche

vaines tendresses

 

∗∗∗

 

Tu es grande
tu t’essayes à l’amour amère
hors du temps dans l’insouciance des nuisances

alors tu nages près du ciel
ce bout de monde
tes pieds mordent l’eau
comme avec un amoureux

mélancolie exorbitante

je vois les images de beautés sur ton écran
tu me tends des couleurs de vie
du naufrage de nos idées
il reste
ton cri derrière la cloison
et ta photo près de la porte
je l’ai vu
ta poitrine au centre des années
visages d’hommes
où êtes-vous tous ceux
penchés sur ton jeune corps

jeunesse
de la douleur

n’as-tu rien ramené de ce temps

 

∗∗∗

 

A jamais  jeune

sautant  dansant dans l’herbe haute
Louise tes jambes falsifient l’espace
ton ventre
s’abreuve au fil de l’eau
c’est toute la rivière de tes veines

tu découds le livre à coups de regret

ta vie à faire ce va et vient toujours allant vers le père
mais t’aimait-il à ta façon

posait-il sa main tendresse sur ta bouche le soir contre le lit
n’ai pas de peurs il chuchote
je suis en bas
et qui maintenant pour te dire ces choses

enfance encore
rappelle-toi la mère sous le viaduc
caressait-il son ventre le soir après l’usine

faiblesse de l’amour
Louise
pour ces gens que nous sommes
et qui pour nous aimer
et rire
ne pas crever dans la mélancolie maternelle de l’oubli
ici l’air brûle toujours nos passions
alors
cela a-t-il un sens

et qui pour dire le blanc de ta bouche sous l’étreinte

que de pâles pensées volées

cette mère tant aimée dis-tu
son amoureuse
le soir à la veillée lui donnait-il du plaisir

immédiate poussière

 

∗∗∗

 

tendre chose que cela
de rien de personne

assis sous le figuier je t’écris ces sombres choses

pour quel deuil

 

∗∗∗

 

Là où tu cuisines les fruits de la terre
se joignent nos souvenirs

nous n’étions rien rappelle-toi l’enchanteur de Grenade
pauvre mémoire de l’amour
la chair plutôt
la ferveur la chaleur
rien
rien
ne peut plus arriver
rien maintenant nous sommes à quai
le sang ne peut vivre au soleil tu le sais
notre faim vacille sous ce ciel
si dur

je tiens ta main souviens-toi
tu croisais les cuisses sous mes regards
le ciel se couvrait de pétales de larmes
tu jouais à la petite fille
aujourd’hui petite fille
écoute Désolation row
l’Angélique Dylan erre dans la chambre noire
sous ton visage à l’encre bleue
tu doutes de cela
douces craintes du ciel
la nuit vient comme une étrave de douceurs

quels désirs mangent ton ventre
quelle langueur du souvenir
tu venais au passage recueillir le sang
des songes

hors du temps
insouciance

 

∗∗∗

 

Ce père nage maintenant près du ciel
ce bout de monde
à lui presque au bout de tes doigts
tu lui tends la main tu t’élèves
trop petite
et ce ciel si haut c’en est désespérant

être heureuse tu danses
être regardée
que dira-t-il si tu pleures dans ta nuit

qui es-tu dira-t-il
qui es-tu à tourner ainsi autour de tes mensonges
vérité de tes journées fictives

assis sous le figuier je poursuis ton rêve
tu ne te crains plus
vos silence
c’est une légende un faux
même si tu avances au-devant nue si nue
essentielle
à construire ton mal-être

tu le sais bien
c’est ton cœur qu’il voulait il veut te dire
tu veux savoir

son front dissimule
une grande détresse

et qui tire les ficelles

 

∗∗∗

 

Quel délit pour la langue venue lire
d’anciens caractères imprimés
ta jeune voix si faible maintenant
et ton rire ironique
faiblesses que cela
hautaines dans la dune tu déjeunes de lumières vives
d’éclats obscènes
qui prier
comme une confiserie de vent
tu en viens à piétiner celui
qui guette ta peau parcourue de frissons

ô Louise
grande douceur sous ta jupe plissée
pour qui
pour celui qui t’écrit des poèmes au goût de lait
dis
t’écrit-il un poème

lui aussi cherche ton cœur il veut te dire
ta chair
dis
dissimules-tu ton âme derrière une étoile
elle scintille comme le jour
mais c’est ton corps désiré
qui est à la peine

pas ton âme
elle tu la caches la retournes au fond de ta poche
qu’il te prenne comme ça vient
pas le bleu enfoui de ton tourment
juste le temps du corps

oh
jouissance

 

∗∗∗

 

Nous sommes tous les deux dorénavant sous le figuier
à déjeuner de frais silences

parfois
ma main s’égare prés de la tienne
loyale tu soupires
me donnes à voir une grande peinture
le valet de cœur n’a plus de travail

le ciel est immortel
c’est égal
ce temps est maintenant le nôtre
marée basse sur la terre le climat est doux
les hommes attendent le fou rire de la pluie
sagesse d’eau retirée
dis-moi les brumes et donne au vent d’ici
les allures de la pluie
tes larmes
avec les ciseaux de la tumeur

nous ne parlons pas
l’arrière-pays se cabre
pages vides à la fenêtre sombres lueurs
toutes ces choses entre nous défaites
et rétablies

je te vois Louise
tu tiens ces choses fermement
elles nous bouleversent
Louise

ton cœur cette nuit mesure le temps

 

 




Alain Brissiaud, Jusqu’au cœur

Au-delà des obédiences, des écoles et des mouvements, des mesures et des règles édictées, des discours et des gloses, existe la poésie. Elle échappe à toute tentative d’exégèse, car miraculeusement elle distend le signe et amplifie l’écho du langage. Alors les tableaux de vie ressassés par le poète  acquièrent l’épaisseur d’une expérience humaine. Cet absolu, comme un cri ancestral, étoffe les poèmes d’Alain Brissiaud. Le lyrisme, si difficilement recevable lorsqu’il n’ouvre pas la voie à une transcendance, trouve dans Jusqu’au cœur l’occasion d’un renouveau. L’appareil tutélaire  des chapitres est pourtant évocateur des thématiques romantiques, qui, pour l’une des plus récurrentes, est le paysage comme métaphore de l’état d’âme de l’énonciateur. Ainsi « terre d’octobre journal », « balises de brume », introduisent le recueil et annoncent les trois chapitres suivants, « la presqu’île », « les yeux fermés », et « communion solennelle ». L’automne, saison romantique, fut la saison de prédilection de ceux qui ont vécu en un dix-neuvième siècle hachuré par des séismes tant politiques que sociologiques. Saison de la maturité et signal d’une mélancolie existentielle, elle se veut représentative d’un moment propice aux bilans et aux retours en arrière. Et Alain Brissiaud, outre le fait de convoquer octobre et ses brumes,  fait un usage fréquent des temps du passé et des pronoms personnels des premières et deuxièmes personnes du singulier. Le ton est donc aux épanchements personnels et à l’évocation des sentiments.

Alain BRISSIAUD, Jusqu’au cœur, Librairie-Galerie Racine, collection Les Hommes sans Épaules, 2017, 160 pages, 15€.

Alain BRISSIAUD, Jusqu’au cœur, Librairie-Galerie Racine, collection Les Hommes sans Épaules, 2017, 160 pages, 15€.

« L’ange de la mort l’ange de personne
chantait les mots de la chanson
tu savais qu’ils venaient

peu importe que cachaient ces paroles
des éclats des cris
coups ou rires
il n’y avait pas de nom
pour le dire

la chanson du matin
la chanson du soir
la chanson du sang à la nuit
revenait et enfilait
lavant ton esprit de sa lumière

maintenant
depuis le bord du pré
tu écoutes le bruit des pierres fracassées
sous un ciel de mots

ton espoir
est la pire des choses »

 

Cette sensibilité propre aux romantiques, qui a été le moteur d’innovations formelles si importantes au dix-neuvième siècle, est une des tonalités du recueil d’Alain Brissiaud. Mais là s’arrête tout rapprochement autorisé. Si l’auteur de Jusqu’au cœur nous livre ses sentiments et ses états d’âme, il n’en s’agit pas moins d’un lyrisme dont le sujet est le  référent d’un pronom personnel de la deuxième personne du singulier. Ce dispositif permet une mise à distance qui soutient la gravité des propos, et confère aux épanchements personnels une tonalité particulière. Le poète porte un regard réflexif sur lui-même, il se livre à une introspection, s’examine, de l’extérieur, et restitue ses états d’âme de manière austère et détachée. Il apparaît alors comme une manière de fatalité. Loin des effusions lyriques romantiques, il n’y a plus d’égo cherchant la vérité dans une transcendance. Aucune quête métaphysique n’est envisagée comme une finalité salvatrice qui permettrait au sujet de trouver un sens à ses errances terrestres. Il n’y a plus non plus à accorder crédit au discours psychanalytique, car quand bien même les paroles de l’être sur lui-même seraient un moyen de s’approprier son histoire, il n’y a rien à y trouver d’autre que l’absurdité de toute chose. Agi, l’individu n’a plus d’autre destin que celui qui mène à un constat d’impuissance. Modernisant le sujet d’une énonciation personnelle, le poète ne cesse d’énumérer, à travers cette vacuité identitaire, l’avènement de sa disparition. Alors, l’écriture apparaît comme possible moyen de rédemption.

 

« Ta voix se creuse à mesure du message
jusqu’à couler
dans le papier
et ta paupière tremble
dans l’œil autour du visage
puis s’efface

tu me parles dans le cercle d’écume
en silence
gardant les mots en toi
avant la voix
dans les poumons noirs de tes désirs

et ta paupière
boit l’écrit qui se forme sur ton visage

incendié »

 

« Endormi à la nuit consumée
tu n’écris pas
tu marches dans le sommeil

vers quelle frontière fraternelle

et dérives cherchant ta place dans le monde
tu n’es plus visible
enclos
derrière les murs de la parole

j’entends
que rien ne s’ouvre
comme si
un poing de solitude s’abattait »

 

L’écriture s’oppose ici à la parole, dont l’inefficience  à assurer toute communication est une thématique omniprésente dans les poèmes d’Alain Brissiaud. La poésie offre au signe l’occasion d’une portée sémantique supplémentaire. C’est alors qu’une possibilité apparaît, celle de transcender le réel et d’énoncer l’indicible solitude de la condition humaine. C’est également grâce à la poésie qu’il est possible d’approcher cette perfection insoutenable donnée à voir dans la beauté de la nature.

 

« Vers toi tendus jusqu’au cœur
à l’échéance
suceront le lait de ta pensée
pour s’en vêtir

enclos dans l’ultime moment
tu ne sauras retenir
cet effroi de lumière

viendront les spasmes
les paroles traduites

ces paroles
jaillies de ta voix
cabossée »

 

« Quand je te lis je t’écoute
j’emprunte alors
un autre chemin que le mien
guidé par la voix
couchée derrière tes paupières

et je nage contre tes cils
à l’avant de ton ombre naissante

aussi
la voix
du souvenir
entêtant »

 

Ainsi, il s’agit de dire l’impossibilité même de se tenir en une posture lyrique, de transmettre au pronom personnel toute substance sans que celle-ci ne soit regardée dans toute l’étendue de sa vacuité, de son impossibilité à être au monde. Dans un va et vient entre l’emploi des pronoms des première et deuxième personnes du singulier, Alain Brissiaud nous offre la réflexivité d’un regard qui ne peut intégrer la réalité et entonne son incessante renonciation à exister. Le poète brouille les pistes référentielles. Il apparaît comme une entité morcelée, vagabondant entre sa mémoire et ses perceptions, et l’incompréhension de l’être aimé, voué à disparaître, avec lequel un lien fugace et imparfait est source de souffrance. Toute communication est vécue comme impossible, ou pour le moins imparfaite. Ici encore, les mots ne sont qu’enfermement dans une solitude qui n’est surmontée que grâce à l’écriture.

 

« Tu me montres parfois ton visage
cousu de fruits sauvages
absolument
et sa détresse
et son exil comme un mot
écrit à la machine

sérieuse tu caches la couleur de tes yeux
ce chalet d’angoisse
leur beauté enlaidie
et ta psychose noient mon regard
comme un privilège
c’est ainsi
tout ce que j’ai voulu
se brise

c’est long d’aimer »

 

Dans ce contexte, le chant amoureux, dont la thématique vient encore suggérer le Romantisme, ne peut être qu’un chant de désespoir. Le lien à l’objet désiré est donné à voir comme impossible, éphémère. Mais que l’on ne s’y trompe pas, Alain Brissiaud ne pleure pas l’absence de l’être cher. Il s’agit plutôt de constater, en une impuissance salvatrice, parce que porteuse de renonciation, l’impossibilité des êtres à communiquer, se rencontrer, s’entendre, et surtout s’aimer, au-delà de la parole.

 

« Est-ce le rêve où
ma main
saisissant l’ombre de ton épaule
se changea en pierre

ou bien
le souvenir
de nos visages enlacés
glissant sur la rivière

non

seulement
cet exil
circulant dans nos
veines
comme un crachat »

 

Il s’agit bien de lyrisme, mais d’un chant qui interroge le questionnement même, jusqu’au point ultime de ce constat de toute absurdité. Doit-on pour autant rapprocher les propos d’Alain Brissiaud d’une pensée existentialiste ? Si la libération vient de cet aveu d’impuissance et de l’acceptation de cette absurdité qu’est l’existence, pour ces derniers seul l’acte posé en conscience est le moyen d’affirmer sa liberté. Pour le poète Alain Brissiaud il semble que la rédemption soit dans la contemplation de la nature, de sa beauté insoutenable parce qu’il lui est impossible de s’y fondre, de l’intégrer et de toucher cette magnificence qui fait tant défaut à ce que vivent les hommes.

 

« Maintenant
je n’ai pas de mot

la première chaleur

flacon d’innocence déversé
dans le langage neuf
soif entaillée

le vacarme s’éloigne
libérant nos craintes

vient un flot de lumière
pareil à l’eau du souffle

terre vaine
sortie des crevasses de l’aube

se recompose »

 

C’est donc une poésie non pas du désespoir, mais de la quête de cette inimaginable perfection incarnée par la nature. Elle seule peut tenter d’en approcher l’immanence, de tracer les contours de cette beauté insoutenable parce qu’absente, inaccessible. Elle offre dans le travail abouti de la langue un moyen de dépasser les enfermements, les claustrations charnelles et verbales, les incompréhensions, le vide laissé par les souvenirs, l’absence, et le temps qui passe. Alors sourde le bruissement d’un silence porteur de cette ultime transcendance de l’union de l’être avec l’univers.

 

« Quand s’étirent les branches du tremble
jusqu’à toucher la braise
où tout souffle se perd
quand vient ce moment d’innocence
loin de l’écorce
tendre
dans le lit du cri de l’oiseau

je voudrais m’arrêter de vivre »

 

« Couple
corps et toi ensemble
couvrant
le bégaiement de la parole
et l’anarchie des mots
dans une vague de lumière

quand planent gestes et souffle affranchis
du choix des lèvres

viennent et se posent
dans le silence
pour me vêtir »

Présentation de l’auteur

Alain Brissiaud

Né à Paris en 1949. Librairie et éditeur depuis 1973. Vit entre le Vaucluse et Paris. Le temps qui lui est aujourd’hui donné est partagé entre l’écriture et la vie.

 

 

 

Alain Brissiaud

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Alain Brissiaud, Le long remords (extraits)

 

Quand tu me tends un rein de désastre
comme si cela pouvait composer
notre vie
de rien
ou si petite
que j’en oublie le mensonge vrai

celui d’une autre rive jamais atteinte
en ce lieu
où nous marchions alors

alors oui
une troupe d’amour nous encercle
et nous allons ainsi courbés

rassurés

 

*

 

Ta poitrine vogue
légère
au-delà du toit
où soupirent tes amants de braise

ta main fait le signe de l’ombre
pour que tous s’écartent

écoute leurs chants d’écume
leurs pitreries

tu secoues tes yeux comme si
tous ces fantômes
venaient dormir sur la couture de tes lèvres

mais vite tu te lasses

épuisée
par trop de querelles

 

*

 

Toi perdue sur le chemin d’eau
toi
des brasses s’amoncellent

tu n’es déjà plus ce flot courant

bras et jambes tendus
tu joues une autre musique
que la tienne

perdue d’étouffements secs
viens
le souffle te guidera
vers moi

sois désireuse ô ma protégée

 

*

 

Tes bras que je baisais à l’heure de minuit
alors que nous allions
vêtus d’indifférence
tenue pour  vérité

que je baisais
protégé du grand vent
durant la nuit d’ici

c’étaient eux seulement
c’était toi
ivre de mer aux lèvres de soupir
d’une tendresse renouvelée

et nous tombions

déshabillés de nos colères
pour autant

démunis

 

*

 

Cette chanson chapardée
à ta lèvre
tu ne la donnes plus d’autres
l’ont détournée

ils ont chaussé jusqu’à tes bruits
tes frissons
embarqué ton ombre

amie
tiens-tu comme hier ce journal de démence

ouvre-le à la page restée blanche
ce qu’il te faut
écrire
t’appartient peut-être
encore

 

*

 

Il y avait aussi la lumière de tes yeux
dans le rire de l’homme
sur le ponton
j’aurai tant voulu m’y éblouir
m’y noyer

je te vois t’éloigner
comme un sage dépouillé de sa vie
sans visage
habillée par l’ombre
de ceux qui passent dans le silence

seule cette lumière demeure de ce temps
où tout est confondu

l’aile du ciel frôle encore ton visage
je le sais
pour l’avoir rêvé

et m’y être englouti

 

*

 

Il fait froid dans la maison
comme un empêchement

d’autres
ont-ils  survécu
à l’abîme des nuits
ont-ils posé le front sur le muret
derrière la maison

pas de signe
le ciel est sans parfum

ô rester vivant
fumer l’ombre du corps et se donner
le temps venu

las
crispations engourdies
au matin

pour un réveil
sombre

 

*

 

Le vagabond entre dans la lumière
ses pas tracent une ligne
intime

ignorant du chemin
il songe à ces choses
lui pour qui
le passé a cessé d’exister
il va
seul au monde
de vallées en collines
avec sa foi pour tout bagage

feuillages derrière et devant
bruissent dans sa conscience
il mange l’heure de sa vie

nu dans son royaume

ce soir
une ombre silencieuse vêt celui
qui demeure

 

Présentation de l’auteur

Alain Brissiaud

Né à Paris en 1949. Librairie et éditeur depuis 1973. Vit entre le Vaucluse et Paris. Le temps qui lui est aujourd’hui donné est partagé entre l’écriture et la vie.

 

 

 

Alain Brissiaud

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