La fresque

Oh, fron­tispice de mes nuits, fresque de sable blanc,
Scènes gravées, à la lumière d’un halo ital­ien. La rue
Baigne dans l’orbe du lam­padaire muet. Les temples
Don­nent sur le ciel, la mer et des portes, oh, à l’infini.

Chaque porte cache une énigme. Aucune ne s’ouvre.
Aucune pour­tant n’est fer­mée, et j’entends des bruits
Ambi­gus. Râles d’extase et de mort, paroles étouffées
Et chu­chotées. Éven­tail de cris et de rires. Rhapsodie

Houleuse qui annonce meurtre ou jouis­sance, orgasme
Ou dernier souf­fle, vengeance acide ou secret d’amour.
Je croise tou­jours un enfant, et une sil­hou­ette fugitive.

J’ac­croche une voile au soleil. Je décou­vre la fresque.
Une place ombragée, le reflet d’une île sur l’herbe. Je
M’y réfugie, con­solé, oui, pour gliss­er dans l’inconnu.

Brume d’été

Dans le reflet d’une vit­re passe, déjà enfui, le
Sou­venir d’un drame, soleil couchant, l’épave
Naufragée d’une buée d’espoir. Souf­fle coupé,
J’ouvre grand la fenêtre, et tente de dire, quoi.

Touf­feur, brume d’été. Pluies aveu­gles du fond
Des marais, lam­beaux de lumière per­cés d’yeux
Inqui­ets, vis­age retourné dans un reflet de lune.
La riv­ière est d’argent, le ciel, criblé de songes

Hurleurs. L’essaim du désir fris­sonne. Le temps
Dés­in­car­né, à la nuit nue, coule à tra­vers champ.
La voix blanche des éclairs de chaleur teinte la

Musique joyeuse des insectes prêts à mor­dre la
Vie, à aimer l’entrelacs des herbes las­cives, oh,
Dans le labyrinthe d’une blessure immémoriale.

Fuite ou sommet

Si longtemps cette chute, je ne suis sûr de rien.
Est-ce un som­met à gravir ou un col à franchir,
Dans le vent chaud de la con­fi­ance. La lumière.
Soudain le sol se délite, nuage pous­siéreux, de

Sang, non, de coqueli­cots épars. Ten­dre la main.
Oh, soleil des peurs, soleil des nuits, lam­paro et
Longs couloirs où je fuis. Est-ce un puits, un pic.
Si longtemps cette chute. Non, remon­ter, tu sais,

Remon­ter, s’accrocher. Ne rien enten­dre, ni croire.
Tout fuit, s’effondre, matins dorés, sable des jours.
Chercher un regard. Je vois un parc et des statues.

Sub­lime sagesse, force, indif­férente beauté. Ai-je
Fail­li. Leur voix me caresse, et les arbres chantent.
N’abandonne pas, oh non, aimer n’est jamais vain.

Ouvrir

J’essaie d’ouvrir, qu’y a‑t-il. J’ai beau accueil­lir, est-ce
Moi. Ce volet, tous les matins. Rien n’y fait, ni tristesse,
Ni rage, non, un voile cache le soleil. Je me suis éveillé,
Pour jouer, levé, dans le couloir, oh, la forêt de tes yeux.

Voir, essay­er, embrass­er. Je refuse de marcher, ne veux
Plus. Dans un jardin, une stat­ue, moi. Aimer le marbre
Et les rosiers, manger le ciel et dormir. Voir les oiseaux
Posés sur mon bras, les enfants me lancer des cailloux.

Assis sur un banc, je lis. L’écureuil m’observe, j’essaie
De par­ler. Les mots coulent dans l’herbe, bouche sèche.
La joie des fleurs s’évapore dans la pous­sière d’un vélo.

Il fait nuit, oh, soudain. Pâleur des fontaines, les arbres
Sont inqui­ets. Les pages de mon livre sont des miroirs.
J’ouvre les yeux. Fin d’après-midi, caresse de l’ombre.

Les dieux de marbre

Aimer le mar­bre et les rosiers, tan­dis que les aca­cias et
Les tilleuls dansent. L’autan furieux, embruns des fleurs
Aux pétales frois­sés, har­pon du temps plan­té dans l’eau
De la fontaine. Pein­dre cela, et non des tripes les tracas.

Sait-on ce qui, du corps au pinceau, au fusain, passe et
Change le monde, non, le crée. La main trace les lignes,
La vie de la main est dans l’ombre lais­sée, nue, au reflet
Des échos, au remous des cel­lules, aux images fuyantes.

On voit l’attente et la mort, de longs voy­ages sur l’océan,
Les mus­cles bat­tus par le vent et le rêve des baleines, les
Côtes loin­taines approchées de nuit. On entend, enfin, le

Chant des vil­lages brûlés et les dieux de mar­bre. Il suffit
D’un oiseau pour que la terre tourne, que la main prenne
Au vol un regard, une caresse, oh, le bon­heur d’un matin.

 

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