Marc Tison, La boule à facette du doute

Par |2019-11-15T12:46:37+01:00 6 novembre 2019|Catégories : Focus, Marc Tison|

Marc Tison rend compte de sa pra­tique de la poésie, car pour lui la poésie est une expéri­ence partagée. C’est une prax­is qui ne s’op­pose pas à la poiê­sis bien au con­traire. C’est une mise en œuvre au sens lit­téral et fig­uré, une union du dire et du faire, une osmose incan­ta­toire et révéla­trice. En ceci, il ouvre la voie (voix pour oser un jeu de mots rel­a­tive­ment éculé) à une lit­téra­ture qui devra emprunter cette route, celle où l’artiste/artisan offre et reçoit, dans une dynamique qui per­me­t­tra de ren­dre compte de la plu­ral­ité des sources vives que son les humains, réu­nis, créa­teurs, ensem­ble. Ici la poli­tique de demain, aus­si, dans une danse sym­bol­ique avec les pro­duc­tions artis­tiques, qui en restituent la grandeur.

∗∗∗

La boule à facette du doute

Lorsque je m’interroge sur le pas­sage à l’oralité du texte poé­tique écrit, lors de sa lec­ture à voix haute dans l’espace pub­lic, je ne peux for­muler qu’une plu­ral­ité de réflex­ions désor­gan­isées. Ce ne peut être que désor­gan­isé car je ne souhaite pas par­ti­c­ulière­ment de cadre théorique à ma pra­tique sur la mise en voix du texte poétique.

Ce n’est pas une pra­tique de mise en scène mais plutôt une ten­ta­tive de mise en espace du texte sonore. Cela vient sure­ment d’un dou­ble désir de faire exis­ter l’objet poé­tique et dans un espace partagé. Mais je vois cela comme quelque chose qui vient du texte et non pas de moi. Une façon de faire com­mu­nion humaine, de faire société. 

Il ne s’agit d’ailleurs pas du pas­sage d’un sup­port (écrit) à un autre (oral). C’est un choix d’objet. La poésie n’est pas assu­jet­tie à l’écrit. Aucune poésie ne peut être finie, attachée, celée, à sa présen­ta­tion formelle. Ceci sans oppos­er la poésie oral­isée et la présence des signes (des mots) sur l’espace de la page ou d’un autre sup­port. Bien que les sup­ports de l’espace pub­lic (murs, affich­es…) aient aus­si une autre inten­tion sociale que le livre. 

Il y a pour moi une fil­i­a­tion à la poésie vivante dans l’instant, au partage du fait poé­tique. Ce qui s’adresse et qui va aux gens depuis des siè­cles via la décla­ma­tion publique, les trou­ba­dours, puis en allant vite les poètes chanteurs des rues du 19ième siè­cles, et ensuite le « talk­ing blues » des afro-améri­cains, les harangues des « Last poets », des per­for­mances autant de G. Lucas que des beat­niks, où se rejoignent les pra­tiques his­toriques du hiphop comme de « la poésie action ».

Tout ça je l’ai com­pris depuis gamin sans besoin d’analyse du truc, ni intellectualisation.

Le lan­gage libéré libère, et faisons qu’il soit libéra­teur de la prison dialec­tique des bavardages, des sur-par­lés comme les pra­tiquent par exem­ple les chaines d’infos continues. 

C’est alors pro­pos­er d’autres rela­tions sociales, en défaisant la con­ven­tion d’utilisation du lan­gage. Les mots hors toute per­ver­sion de leur usage. Comme si le lan­gage m’intéressait que dans sa dimen­sion de véhicule émotionnel.

Il y a une dimen­sion poli­tique dans le fait d’incarner la sen­sa­tion, l’événement poé­tique. La propo­si­tion d’un autre lan­gage que l’écrit, ou d’une autre inten­tion du lan­gage est un acte poli­tique. C’est pour ça que les poètes et les créa­teurs sont les pre­mières vic­times désignées des total­i­tarismes. Ces derniers ne veu­lent pas d’autres inter­pré­ta­tions du réel que les leurs. 

Ce d’autant plus que l’oralité, le dire dans l’espace, va vers l’ensemble des gens, leur diver­sité, mais aus­si l’ensemble social qu’ils con­stituent.  (Et égale­ment vers ceux ini­tiés qui sont moins « dan­gereux » moins sub­ver­sifs car iden­ti­fi­ables sociologiquement). 

C’est donc un dou­ble choix, poli­tique et didac­tique car il s’agit de faire appa­raitre l’objet poé­tique dans une dimen­sion sonore révéla­trice des poten­tial­ité qu’il porte.

Le pas­sage à l’oralité est aus­si un sujet per­son­nel, intime, dans le sens ou le son et la prosodie vibra­toire peut être la ten­ta­tive de faire revivre, physique­ment, l’émotion du fait poé­tique. Un fait sur­git dans le corps  — l’émotion —  que l’on tente tou­jours vaine­ment de traduire par les mots. La poésie est une frustration. 

C’est pour cela que lors de mes « lec­tures arrangées » l’essentiel est le texte… Le texte qui vient, non inter­prété, le texte incar­né. Et encore en ce qui me con­cerne, la for­mu­la­tion lan­gag­ière qui se con­stru­it en par­tant des yeux qui voient les mots, de l’influx des nerfs,  qui for­mule du ven­tre, vers la gorge puis la bouche, me sem­ble d’un naturel effarant. J’en suis effaré par­fois jusqu’à bafouiller. Et c’est aus­si pour ça que je n’apprends pas par cœur, que je lis. Le texte est l’objet sonore, la mémoire de l’émotion, non pas sa mémoire en tant que texte en moi ni son inter­pré­ta­tion ou sa réin­ter­pré­ta­tion. Il est comme il vient, comme il emplit l’espace sonore.

En fin de compte je ne sais pas vrai­ment pourquoi je fais ça. Cela me sem­ble naturel, une forme d’évidence. Peut être que pour cer­tains textes la sim­ple forme écrite est insuff­isante dans le geste qui les pro­duit. Dans le geste qui rend compte de « l’émotion » poé­tique… Si pas insuff­isante en tout cas pas exclu­sive, au con­traire qui l’appelle en plus, en ailleurs.

C’est la boule à facette du doute (donc de toute humanité ?)

Ça n’invente rien et ça réin­vente tout.

 

Présentation de l’auteur

Marc Tison

  1. Né entre les usines et les ter­rils, à Denain dans le nord de la France. A la lisière poreuse de la Bel­gique. Con­science poli­tique et d’effacement des frontières.

Lit un pre­mier poème de Gins­berg. Elec­trisé à l’écoute des Stooges et de John Coltrane.

Pre­miers écrits.

1975 s’installe à Lille. L’engagement esthé­tique est poli­tique. Déclare, avec d’autres, la fin du punk en 1978. Pre­mières pub­li­ca­tions dans des revues. 

Il écrira et chantera plus d’une cen­taine de chan­sons dans plusieurs groupes.

Décide de ne plus envoy­er de textes aux revues pen­dant presque 20 ans, le temps d’écrire et d’écrire des cahiers de phras­es sans fin puis il jette tout et s’interroge sur l’effondrement du « moi ».

Démé­nage en 2000 dans le sud ouest. Reprend l’écriture et la pub­li­ca­tion de poésie.

Engagé tôt dans le monde du tra­vail. A pra­tiqué dans un pre­mier temps de mul­ti­ples jobs : de chauf­feur poids-lourd à rédac­teur de pages cul­turelles, en pas­sant par la régie d’exposition (notam­ment H. Carti­er Bres­son) et la posi­tion du chanteur de rock. Puis il s’est dédié à la pro­duc­tion musi­cale pour, depuis 25 ans, se spé­cialis­er dans la ges­tion et l’accompagnement de struc­tures et pro­jets culturels.

 

 

 

 

 

 

Poésie

1977 — 1981 : Pub­lié dans plusieurs revues (dont « Poètes de la lutte et du quotidien »)

2000- 2019 : Pub­lié dans plusieurs revues (« Trac­tion Bra­bant, Nou­veaux Dél­its, Ver­so, Diérèse,…). 

2008 : Recueil col­lec­tif « Numéro 8 », édi­tions « Carambolage ». 

2010 : Recueil « Manu­ten­tions d’humanités », édi­tions « Arcane 17 ».

2012 : Recueil « Topolo­gie d’une dia­clase », édi­tions « Con­tre poésie ».

Texte « Désin­dus­tri­al­i­sa­tion », édi­tions « Con­tre poésie ».

2013 : Recueil « L’équilibre est pré­caire », édi­tions « Con­tre poésie ». 

                  Trois affich­es poèmes, édi­tions « Con­tre poésie ». 

2015 : Recueil « les para­dox­es du lam­padaire » + « à NY ». « Edi­tions Con­tre poésie ». 

2017 : Recueil « Des Abribus pour l’exode » (accom­pa­g­né de 7 images / pein­tures de Ray­mond Majchrzak)  Edi­tions « Le Cit­ron Gare ». 

2018 : Recueil « Des nuits au mix­er ». (Mise en page J.J. Tachd­jian). Edi­tions « La chi­enne » col­lec­tion « Nonosse » 

 

 

 

Autres 

Depuis 2010 : Lec­tures / Per­for­mances / instal­la­tions poésie (solo, duo avec Eric Carti­er et collectif).

2014 : Pub­li­ca­tions de quinze textes et une nou­velle dans le livre d’artiste « Regards » du pho­tographe Fran­cis Martinal.

A pub­lié plusieurs nou­velles sur des sites en ligne. 

 

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