Patrick Tafani, La Route blanche

Par |2022-09-06T13:24:27+02:00 26 août 2022|Catégories : Patrick Tafani, Poèmes|

   Cinq ros­es sur le som­meil de l’enfant, les jeux sont de pier­res ron­des et la patience de l’écolier cligne des yeux. Le sol est si dur que la bêche se résigne à brûler son manche, le soleil mour­ra bâillonné.

  Silex, le sang est d’améthyste, le feuil­lage y plonge ses racines, la terre est rouge, le noir s’en est allé.

   Le froid se repose dans la cham­bre, c’est un fer qui attaque le mur, le lézarde, le sépare de ses chairs. La cham­bre est un ter­ri­toire tenu au secret, une guerre entre chiens et loups.

   Au dehors un feu de grives crépite dans le ciel, les grands chênes de la nuit descen­dent des collines, l’enfant écoute la rêver­ie des étoiles, les pléi­ades don­nées à l’invisible. Lanières aux poignets, un dia­ble dis­perse l’incendie, c’est l’approche du canal, la roselière fris­sonne et mur­mure une mémoire amoureuse, la route blanche est tracée.

 

 

LE  JAUNE  INTRANQUILLE

 

   Le jaune intran­quille monte de la terre dans un silence de ciel boulever­sé comme abusé par l’ombre sans fin des grands cyprès. Le jour s’est replié à l’intérieur des murailles, l’inquiétude se porte sur la nuit qui ne vient pas.

   La Cité bleue et sa légende par­courent les siè­cles comme on par­court une allée d’ormes viri­des. Le chemin au bord de la riv­ière, la riv­ière au bord du chemin, deux miroirs d’éclipse et de mort, les pen­sées s’envolent et retombent, au-dehors le jaune est intranquille.

   Le pays est un séjour, l’oreille est coupée, les oiseaux bour­don­nent, ce sont des champs, des fleurs, un berceau de cam­paniles à l’heure où le cœur s’arrête, bru­tal, infi­ni, le jaune est intranquille.

   Un piano dans un nuage, ils descen­dent le fleuve pour l’azur et l’effroi, à l’oblique sur ce ver­tig­ineux dénoue­ment, les feuilles sont d’automne.

   Des tables d’allégeance, femmes mer­veilleuses du pié­mont, un châle blanc sur le vert de l’aubépine, une tristesse écoutée, lour­des portes refer­mées, une clé sous la pierre, le jaune est intranquille.

 

NOIR  D’INOUÏS

 

   Un regard bien trop som­bre comme tous les regards qui osent le blanc de Geth­sé­mani. Des épopées en cordage de vent cin­g­lent pour des futurs bour­sou­flés. C’est le cœur du dénom­bre­ment, l’affûtage du marteau-priseur, ce sont des robes que tu por­tais avant l’épiphanie du monde, les clartés, les forêts, ce que l’oiseau voit et ennu­age sans se par­er d’ordre et de sain­teté. Flammes tournées à la droite de l’homme, vase dans le recueille­ment du feu, la sup­plique mélange les poi­sons, pièces frap­pées d’or et de fer. Troc patiem­ment épris des col­isées du ciel comme avant le retour des guer­ri­ers, le retour d’un bois pré­cieux sur l’écorce du cerisi­er. Je pense à ta souf­france heureuse, aux longues tiges qui enser­rent le lierre, l’instant d’éternité  coulé dans la pierre. Rouge som­meil­lant à l’encre du livre, ce peu­ple tré­sor longeant la rive sans rivage, sous le préau la trace noire, le pas sif­flant de l’enfant né. C’est une blessure que l’épervier a oubliée dans la cap­i­tale de la chute. Il est temps de se touch­er les tem­pes, le cuir émousse la lame du couteau, le clou dans la main est un clou de fer­rure, fer­mez les portes puisque l’habitude regimbe à s’émouvoir ! Le lit du mort s’avance dans la mer, tous ses regrets font naufrage. J’ai dans la bouche une salive d’ambroisie.

 

PLI  DES  SERINGAS  VERTS

 

   Ce pli de lumière et ces seringas verts absents de toutes éclo­sions, demain l’ébruitement de la cordelette d’or, les épices recon­nues dans la fente des maisons, le regard et sa trans­parence d’eau vive qui s’éloignent d’une obscu­rité de neige, le vil­lage est ain­si, au mur d’os ce sang qui se pas­sionne pour les trous du labyrinthe murés. Le faste peu­plé d’insectes, de mul­ti­ples tach­es de couleur, le noir odor­ant des mains meur­trières, sous l’assiette le soleil y dépose sa mémoire, ce lourd fardeau de par­tance, cet embrase­ment cri­ard avec l’ivoire du lan­gage appris sur le ver­sant des ronces. Crête de l’oiseau sur la plaie de l’arbre, le bouleau vieil­lit sous une croûte noire, un déchire­ment d’étoffes blanch­es où se penchent les étoiles curieuses, les longues fileuses de vie. Mais l’enfance et ce pli de lumière, ce nœud qui se hasarde à dénouer le cœur et l’épaule, cette trace tou­jours prête à démen­tir le crime, la cham­bre obscure et l’obscur de la cham­bre, ces attablés que le rêve bâil­lonne de som­no­lence, l’étoile arrêtée dans son cycle d’explosions, la vitesse pour par­courir deux vies en une seule mort, ces seringas verts absents de toutes éclo­sions. Un parfum.

 

DE  DIRE  LE  VISAGE

 

  Des trist­esses dans la césure des mots, ce qui appar­tient au temps danse sur des lam­beaux de fleurs, aurore de l’entre-deux c’est patience de dire le vis­age clair des combes, ce mal qui sans ini­tiale et d’une tête d’épingle par­court le tracé de l’univers.

   Ciel jusqu’aux car­reaux de la cham­bre, le lit du jour per­dure pen­dant la nuit, le plus sur­prenant lorsque s’arriment les cordes sur les pon­tons sif­flants, la lourde porte ne se referme pas et laisse l’eau mon­ter à l’essor.

   Les fontaines sont les années qui t’obsèdent, celles qui lis­sent le temps sur le com­mun des pier­res. Com­men­cent le piège des yeux, la moi­teur des corps sous les blés qui se penchent, le déplié de l’aurore, la lampe irréprochable qui s’enfonce dans la terre, l’adieu qui ne s’éloigne que d’un pas, l’écharpe se dénouant de l’aile des oiseaux.

Présentation de l’auteur

Patrick Tafani

Il est l’auteur de L’apparition et de Mon ombre ici gravée, (Édi­tions Encres Vives, 2018–2019) où il abor­de les œuvres d’Anna Akhma­to­va et d’Ossip Man­del­stam. Pub­li­ca­tion dans la col­lec­tion Encres Blanch­es, dirigée par Michel Cosem, de L’homme des con­stel­la­tions : Qu’il revi­enne celui dont le nom s’est effacé sans laiss­er la moin­dre trace, par­mi les heures, les années, par­mi ce souf­fle désiré, ce trem­blé de feuil­lages où s’écoule l’inespéré de la terre. Il écrit régulière­ment sur son blog pho­tographique : parelie.over-blog.com.

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