Victor Malzac, Vacance

Par |2025-05-24T11:35:36+02:00 24 mai 2025|Catégories : Critiques, Victor Malzac|

Upper­cut littéraire

 

J’abonde, bouge, avance un peu trop vite, je démarre 

des moteurs, des dans­es, des envies se font en 

moi sans gêne, sur la plage ou dans le jardin de 

mes par­ents qui brûle…/…

Vic­tor Malzac : Vic­tor comme Hugo, Malzac comme Balzac, on dirait un pseu­do à la Patrick Bru­el. Pour l’heure inclassable/insaisissable pour cause de jeunesse, dif­fi­cile à cern­er…( à palper, écrirait-il), mal­gré ce qu’il écrit et ce qu’on a déjà écrit sur lui ; en dépit de sadite jeunesse.

Le clavier de Vic­tor Malzac est en sur­face au moins un mix de La Fureur de vivre et de Soudain l’été dernier sans la vic­tim­i­sa­tion. En aus­si per­cu­tant, quoique en poésie sur le papi­er et pas en chair et en os à l’écran.

En 1871, les Vilains Bon­hommes ont dû ressen­tir quelque chose d’approchant en enten­dant Rim­baud lire Le Bateau ivre.

Pas sou­vent là où on l’attend, Malzac. 

Au fait, où en est-il, aujourd’hui ? Le recueil Vacance remonte à fin 2022. Depuis, vite, en 2024, il y a eu le roman, Créa­tine, dans une veine voi­sine, à ce que j’en devine des cri­tiques que je feuil­lette — mais je préfère ne pas le lire avant d’avoir rédigé ceci. Avant de me jeter dessus après.

Très chic, Vacance, l’objet, dans la col­lec­tion grise de Cheyne en Ardèche. Très fin, le rouge sous le gris comme une semelle Louboutin.

Moins chic, moins fin, Sète, là où ça se passe, quoique en méta­mor­phose de nos jours, comme Arles et La Cio­tat, les vieux bas­tions com­mu­nistes mar­itimes du Midi la rouille, le métal, les pneus, badi­geon­nés soudain d’investissements libéraux. Car ils ont en fond ce Midi-là le sable et les palmiers du grand ren­verse­ment, les mots du petit jeune, ou de la petite jeunette — on s’en fiche -, à scoot­er ou en skate — on s’en fiche.

Vic­tor Malzac, Vacance, Cheyne, 2022.

On s’en fiche parce qu’au-delà de ce qui for­cé­ment passera, sera trop mar­qué par son temps, genre, etc., début des années 2020, il y a son upper­cut littéraire.

 

et les dis­putes et les com­bats c’est beau et les gens qui

se col­lent et se bat­tent par terre et les cris et le cri du

per­dant c’est beau

 

Le temps de me ramass­er, k.o., au bout du bout les grues les chantiers, des étoiles vril­lent pêle-mêle, dans mon crâne : Vathek, For­get­ting Ele­na,Cobra, Héli­o­ga­bale [Beck­ford, Edmund White, Severo Sar­duy, Alber­to Arbasi­no] Pourquoi ces titres-là ? Peut-être parce que je suis, par cette lec­ture, son­né et bru­tale­ment ren­voyé à mes amours de jeunesse. A en croire l’éditeur : « La poésie de Vic­tor Malzac chahute les lecteurs. Elle leur fait ressen­tir à nou­veau ce qu’est la vie quand celle-ci n’est encore qu’une promesse qui pointe » ; ou, à en croire la pré­facière : « C’est le pari de Vic­tor Malzac : nous don­ner dix-huit ans à nou­veau et le sen­ti­ment d’urgence col­lé au corps comme un mail­lot mouillé. »

Espérons que la promesse et l’urgence demeureront, pourquoi pas, même après que la vie aura pointé, atteint son zénith et com­mencé à déclin­er. Avec une légère dérive style Les Vacances de Mon­sieur Hulot, sans doute.Espérons que Vic­tor con­servera sa promesse, son urgence (… il écrirait : son « mus­cle »). Souhaitons qu’il con­tin­uera à mouiller le mail­lot. Mais ne le limi­tons pas à sa jeunesse. Ecou­tons, d’ailleurs, son narrateur :

 

je veux qu’on me laisse à tous les corps, les corps 

ado­les­cents ou non, les corps neufs et les corps 

abîmés, …/…

 

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas ça l’important. L’important, c’est son upper­cut littéraire.

Un pavé par page [non, pavé n’est pas le mot : la jus­ti­fi­ca­tion est en dra­peau droit], absence de majus­cule pour faire poésie, un point, un seul, au bout de chaque page, un point c’est tout.  Pas de fer à droite jus­ti­fi­ca­tion for­cée, rien de for­cé dans sa prose… poésie… rien de rigide, le dra­peau oscille gen­ti­ment tel le fan­ion vert de la p.l.age de Palavas-les-Flots les jours sans coup.e.s de vent. Une p.l.age mi-raide mi-élas­tique comme la démarche de Mon­sieur Hulot.

On pour­rait penser, jusqu’à un cer­tain point [… « jusqu’à un cer­tain point », répéterait un psy­ch­an­a­lyste en ménageant un long silence avant de con­gédi­er son patient, avant de par­tir en vacance.s au bout du bout], qu’on aurait pu appel­er cela « vacances » avec un « s ».

Le décor, en effet, est plan­té sauf que.

 

la mer, la plage sale, ce qu’on voit à la télé, les 

reportages, les doc­u­men­taires, le Crau du Roi le 

Cap d’Agde Carnon, Sète, l’étang de l’Or, l’étang de 

Thau, les familles, la police munic­i­pale qui tourne 

en voiture, les sauveteurs, les corps qui gisent, les 

noy­ades, les serviettes…/…

 

La vacance au sin­guli­er rôde bel et bien au sein des vacances — témoin l’intrusion du reportage télévisé dans le jour ensoleil­lé, de la présence ou de l’absence de vir­gules, qui tour­nent dans les énuméra­tions comme la police munic­i­pale au bord de mer -, vacance du nar­ra­teur face à une sur­charge d’informations visuelles, audi­tives, olfac­tives, sociales.

 

…/… les fla­mants roses 

dans la boue, sur la digue, à l’abreuvoir et dans les 

vignes, j’aime ça, c’est moi com­plète­ment, c’est moi,

c’est moi aus­si le mort dans les sacs en plas­tique et

dans le sable et dans les ven­tres, le morti­er, dans

 

… vacance ou trop-plein du monde au repos repus à la plage ou du monde act­if pas à la plage qui n’en oppresse pas moins le lycéen sur le sable

 

                                                                         …/… je ne 

veux pas mes notes, mes con­trôles, non, je ne veux 

pas de la can­tine à midi, du cor­don bleu épinards 

pâtes carottes pau­vres en sel, je ne veux pas de la 

pornogra­phie pour compenser. 

 

Nous, c’est exacte­ment ce que nous voulons, exacte­ment  ça : je ne veux pas de la

 

pornogra­phie pour compenser.

son upper­cut littéraire

dans les salles de sport, dans les jardins publics,

dans le garage ou dans ma cham­bre, les tractions, 

les machines, les haltères, la fonte, je me mus­cle, je

 

nous voulons son coup bien envoyé qui, dis­simulé jusqu’au dernier moment, touche fort au menton.

Dans une énuméra­tion qui (pubis, seins, poils) tient de l’enchaînement de boxe, un cro­chet, d’abord : dans «ses bras vitaux ; puis l’uppercut : ses bras qui me con­cer­nent [mes gras].

Cer­tains mots, sou­vent adjec­tifs, mais pas seule­ment, tranchent dans la log­or­rhée, antithé­tiques, et pas seule­ment parce que déchets, plas­tique et bac­téries côtoient la mer et les vagues .

Dans l’énumération qui suit, le pre­mier et le dernier terme sont séman­tique­ment proches de ceux qu’ils enser­rent mais leur léger bond de côté, leur esquive fait des mer­veilles : je suis proche des bêtes, ça veut dire, des mon­stres, des juments, des ânes, des poulains, des tau­reaux, des chiens, des fla­mants ros­es, des sail­lies…[mes gras] Ailleurs, on note : les muse­auxdes gens. Qui n’est pas une métaphore ou pas tout à fait.

Malzac ne donne pas « tout à fait » dans les fig­ures de style même si, à l’occasion, il joue avec la métonymie comme un chat nar­quois avec une souris grise prise

 

…/… je remplis 

des seaux, je peux rouler des pelles, je peux détruire

des châteaux de sable

 

Il crée, dans une sorte de non sequitur per­pétuel qui n’est pas tout à fait un non sequitur, une écri­t­ure qui tient la dragée haute aux ama­teurs de poésie.

Ces « pas-tout-à-fait », et ces « sorte de » font la hardiesse et la réus­site de cette langue-là, qui trans­forme ses rup­tures en trem­plins de sa récitation.

Je porte ma tenue, mes fringues toutes neuves, décou­vertes au print­emps, je m’embellis de jour en jour sans crainte, je n’abîme rien, sur la plage tout le monde veut mon bien, mon style et mon immense feu de paille, et tout le monde est sans colère, les garçons et les filles s’abandonnent à moi, sans âge, tout le monde court me sauver depuis la cab­ine, je nage avec ten­dresse et grande facil­ité, dans le miroir je me regarde le matin, mes abdos sont ten­dres, mes mains sont ten­dres, mes cheveux sont lavés, je m’épie, je me par­le, je m’enlève le poids d’un navire en par­lant… [mes gras]

Les mots d’une énuméra­tion qui va toute à peu près dans un sens se révè­lent tout à coup n’avoir que servi de pré­texte au poète, qui, pen­dant ce temps, mesurait son allonge : ses mots n’avaient fléchi les jambes que pour mieux nous porter un coup à dis­tance : un mot qui n’appartient pas à la liste, une idée qui dévie. Ces coups à dis­tance rem­pla­cent les rimes d’autrefois, ren­voient instan­ta­né­ment la poésie de papa dans les cordes.

Le lecteur est embar­qué par le flot vers une métaphore (là on peut sans doute par­ler de métaphore : « le poids d’un navire »), mais avant cela il est bal­lot­té, cahoté, inca­pable de lâch­er le bor­dé. L’avancée est ryth­mée, ô com­bi­en ryth­mée, à en être déclamée sur scène par un Fab­rice Luc­chi­ni qui ne vous laisse pas un instant de répit.

 

…/… le môle et le théâtre 

de la mer, tout m’appartient,…/…

 

Seul le point au bout de chaque page nous per­met de repren­dre le souf­fle du nar­ra­teur et de ryth­mer notre lecture.

Et puis comme un cheveu sur la soupe comme il se doit et là est le génie, vient un autre upper­cut : mon doc­teur longtemps. Com­plé­ment dej’attends ? Le corps d’un autre. 

mon doc­teur longtemps est un coup puis­sant qui fait des dégâts chez le lecteur la lec­trice. Dur à par­er. Puis­sant à quel point, il.elle ne s’en apercevra que plus tard. Allez donc y voir. Allez donc y lire.

 

je suis dans mon corps comme dans un jus­tau­corps.

                            *

ce que j’ai vu ça m’a tué, c’est là, c’est ma demeure, 

mon remède, je suis prophète en mon pays, la 

Méditer­ranée c’est le feu, la dinguerie, le territoire 

brûle et pleure en pleine canicule, c’est le lieu d’une

mal­adie grave, d’un aveu, ça vaut bien mon déluge, 

mon navire, ma bar­que et mon école en sacrifice, 

et tout le reste est noir …/…  

Tout cela, au fond du fond, est d’un grand, d’un vénérable clas­si­cisme. Comme un match de boxe bien mené. Rien de hon­teux là-dedans. Un grandiose upper­cut lit­téraire. Ca valait la peine, finale­ment, Vic­tor, d’user tes fonds de  culotte sur les bancs d’école.

 

Présentation de l’auteur

Victor Malzac

Né en 1997, venu du Langue­doc, Vic­tor Malzac lit fort, par­le bas, ronge ses ongles, marche vite. Il est peut-être drôle. Il codirige une revue de créa­tion (L’écharde), fait une thèse sur les ani­maux et crée des textes sur n’importe quoi. Il a égale­ment codirigé la revue Point de chute jusqu’en 2023.

Son pre­mier texte, respire, a paru aux édi­tions de la Crypte en 2020. Chez Cheyne édi­teur, il a pub­lié Dans l’herbe (2021, prix de la Voca­tion) et Vacance (2022, final­iste du Prix Jean-Fol­lain, du prix René-Ley­­naud de la Ville de Lyon, du prix Apol­li­­naire-Décou­verte et du Prix Gan­­zo-Révéla­­tion) ; son prochain texte paraît chez Gal­li­mard en jan­vi­er 2024.

© Eloi Céleste

Autres lec­tures

Nouvelles voix : Victor Malzac

PERCUSSIONS   Com­plainte Poésie PERCUTÉE – les vapeurs de Paris S’encastrent – les chem­inées – le toit qui s’effondre Sur un échafaudage – c’était ma demeure. Mes poumons étriqués dans la fumée respirent – Ils […]

Victor Malzac, Vacance

Upper­cut lit­téraire   J’abonde, bouge, avance un peu trop vite, je démarre des moteurs, des dans­es, des envies se font en moi sans gêne, sur la plage ou dans le jardin de mes […]

image_pdfimage_print
mm

Bernard Turle

Ancien élève de l’École Nor­male Supérieure de Saint-Cloud, tra­duc­teur boulim­ique, BERNARD TURLE, Prix Baude­laire, Prix Coin­dreau, traduit des auteurs anglo­phones des cinq con­ti­nents, entre autres Peter Ack­royd, Mar­tin Amis (Prix du Meilleur Livre étranger 2015 avec La Zone d’intérêt), André Brink, Alan Hollinghurst (Prix du Meilleur Livre étranger 2013 avec L’Enfant de l’étranger), T.C. Boyle et des romanciers indi­ens tels que Jeet Thay­il, Manu Joseph, Sud­hir Kakar ou Rana Das­gup­ta (Prix Guimet du Meilleur Livre asi­a­tique 2017 avec Del­hi Cap­i­tale). Directeur de fes­ti­val (1997–2011), il a mon­té des œuvres comme The Beggar’s Operade John Gay dans sa pro­pre adap­ta­tion et tra­vail­lé avec des musi­ciens bri­tan­niques et indi­ens. Pour le vingtième anniver­saire du fes­ti­val défunt, il a organ­isé une ren­con­tre inter­na­tionale de poésie en 2017. Avec, entre autres, sa com­plice de scène, la com­positrice Véronique Sou­ber­bielle, il s’est fait libret­tiste et paroli­er (ils ont pro­duit ensem­ble le cd Veroni­ka Vox, 2016). De sa longue pra­tique de la tra­duc­tion est sor­ti un fas­ci­cule bilingue sur l’intimité du tra­duc­teur, Diplo­mat, Actor, Trans­la­tor, Spy (traduit par Dan Gunn, Cahi­er Series, Sylph Editions/Université Améri­caine de Paris, 2013). D’autres livres pub­liés sous son nom (Une heure avant l’attentat, Autop­sie d’une inquié­tude) lui ont don­né l’occasion de réu­nir ses exis­tences par­al­lèles en écrivant, entre autres, sur l’Inde et sa Provence natale. Après avoir co-traduit le Can­tique des Lionnes de Karthi­ka Nair et traduit Tor­ture blanche de Narges Moham­ma­di [voir ci-con­tre], Il pré­pare pour cet été LE FESTIVAL COFFRET D’AUZON, con­sacré au célèbre arte­fact du British Muse­um, dont il étudie les rap­ports avec la poésie anglo-sax­onne, notam­ment Beowulf.

Sommaires

Aller en haut