Ça a com­mencé comme ça 

Un jour de févri­er à la Fnac

J’ai avalé

Le Cos­ta Rica la Guade­loupe les Canaries

La Réu­nion et les Antilles

Et j’ai pas vomi

Puis assise dans le métro

Emmi­tou­flée dans ma doudoune

J’ai avalé mon écharpe bleue

avec un gros pom­pon orange à chaque bout

et aus­si mon gros bon­net bleu

avec un gros pom­pon orange sur le dessus

Et j’ai pas vomi

Puis à la maison

J’ai avalé

Mon passe­port

Celui bon jusqu’en 2023

Et j’ai pas vomi

Puis sur mon car­net à écrire les phrases

J’ai avalé des mots

Enfin juste quelques-uns

ceux pas vrai­ment importants

Oui ça a com­mencé comme ça

Et j’ai pas vomi

Puis j’ai avalé d’autres mots

ceux qui mon­trent et qui déterminent

Ceux qui dis­ent et ceux qui agissent

Et j’ai pas vomi

Puis devant la glace

j’ai avalé ma langue

Celle qui par­le et celle qui goûte

celle qui mon­tre et celle qui tire

Celle qui crie et qui s’agite

Et j’ai pas vomi

Puis tou­jours devant la glace

j’ai avalé ma bouche ma gorge et mes yeux

Mes bras mes jambes et mon souffle

Et j’ai pas vomi

Et ça a fini comme ça

Le sty­lo est tombé

En chutant

Il a chuchoté

Mais j’ai pas entendu

Peau d’homme peau de femme
Où est ma peau ? 

Ce matin mets

Peau de femme

Choi­sis jupe courte rouge

Couleurs rugis­sent

Bas épais noir pour hiver

Bottes talons

Ça claque c’est moi

Moi en femme

Attend tram sur quai

Con­duc­teur rame approche

Large cab­ine vision dégagée

Yeux tau­reau

Il fon­cé les yeux

Ce matin revêts peau homme

Peau invis­i­bil­ité

Pan­talon rouille

T‑shirt Manche longue cramoisi

Décol­leté rondi

Gilet bleu pét­role ample V

Pas sweat (à capuche pour homme jeune) pas polo

Bas­kets dorées au pied

Pas clig­no­tant au loin

Trac­er seule dans foule

Fouler sol seule

Sacoche grise toile imperméable

ban­doulière corde noire

attach­es cuir mar­ron pendent

Pra­tique

Sac mains libres

Pas sac à mains

Petite

Bande poitrine

Veux pas

Trop tôt

Être chair

Adulte coopère

Adhère

Taille fine poitrine moyenne

Joli joli

Pas­sion un temps

Mets talons

Ouh ouh prends hauteur

Mais oh oh pas pratique

quand veux tracer

Trace pas

Oblig­ée ralen­tir déhancher

Petits pas

Pas bien à plat

T’ad­hères pas

Tu te hiss­es vertige

Perds pied

Mais rat­trap­er

Repren­dre pied

Bas­kets mode jupe robe

Tant mieux

Couper cheveux

Court femme

Puis court… comme un garçon ?

Oui coif­feuse comme un garçon !

Puis lâch­er couleur.

Cheveux Blancs tu es

Être Toi

Trac­er libre

Porter au choix

Couleurs qui claquent

Blanc gris noir pluie couleurs

Arc sur terre

Tu claques en toi

Tu claques autour de toi

Ça claque en nous

Ça claque pour toustes !

 

Vir­ginie Séba, Je grat­te je racle — a contre.

 

Fic­tion­naire : Lignées de let­tres dis­posées dans un espace com­mun et Ordon­nées par Maître-Mots. Cer­taines sont plus pro­pres que d’autres. Syn. : Dictionnaire

Ouvrir le Dictionnaire

A la let­tre P

Chercher le mot poupouter

Faire gliss­er son doigt

Sur la raie des mots

Ne pas trouver

Fer­mer le Fictionnaire

Aér­er

Bor­der Fictionnaire

Ten­dre deux mots

Embrass­er

Momot­er

Ten­dru­ment

Dans ma prison dorée

Ouvrir le Dictionnaire

Chercher le mot table

Y pos­er son cahier

A recevoir les idées

Chercher le mot qui écrit

Ne pas trouver

Fer­mer le Fictionnaire

Pren­dre l’air

Embrasse

ton Fic­tion­naire

Avec pré­cau­tion

Reviens me voir

Les ans prochaines

 

Vir­gine Séba, Ma mère mes silences — a contre.

 

Res­pi­ra­tion 

Se pos­er et visualiser

Une journée sans téléphone

Se pos­er et pos­er ses pensées

Hier par­tir sans pensées

Ou trop pensées

Téle­sco­page dynamitage

Arriv­er au col­lège sans ses clés

Sans portable mais

Avoir pris son vélo

Avoir pédalé

Avoir clés antivol

Avoir lunch bag

Manger c’est important

Plus que télé­phone en main

Visu­alis­er envisager

Une journée sans téléphone

C’est annon­cer claironner

L’ou­bli qui sera inconfortable

C’est partager aux murs

Aux oreilles à ma tête à vos têtes

Ma journée sans portable

9h sans télé­phone portable

Est-ce sup­port­able ?

Serai-je irri­ta­ble ?

Absur­dité rire se moquer

De moi ma dépendance

Ta gou­ver­nance ma tolérance

J’ai comp­té les heures

Envoyé des emails

Sourire aux commissures

Prévenir m’en rire

Essay­er straté­gies supplier

Oh mon fils qui tra­vaille à coté

Apporte-moi mon téléphone

Peine per­due “Tu peux faire sans” me dit-il

Seule en détresse sans stress

Je con­state ma vilenie

face à cet objet supplice

Moi indépen­dante ?

Que nen­ni !

A la colle avec portable

Sans cesse sur face­book liker

Com­menter enregistrer

pub­li­er cor­riger écrire

con­sul­ter scan­ner compter

tex­ter whatsapper

zoomer mes­sen­ger parler

Youtu­ber écouter visionner

Vie miroir entonnoir

Vie covid impavide

Moi machin toi humain

Toi toi mon toi

Ma moitié mon trois-quarts

Mon tout mon entier

Toi et Moi

Moi en toi

Toi en moi

Pour­rais- je vivre sans ?

T’es toi !

Suis-moi !

????????

 

Vir­gine Séba et Edgar Sek­lo­ka, Dame Chique Tache, 2020.

 

J’en­ferme je sépare je classe je trie je jette 

J’en­ferme

Den­rées dans paquet

J’en­ferme

Souf­fle dans masque

J’en­ferme

Enfants dans crèches

J’en­ferme

Élèves dans école

J’en­ferme

Viocs dans Ephad

J’en­ferme

Méchants dans prisons

J’en­ferme

Vic­times dans la tête

J’en­ferme

Société dans classes

J’en­ferme

Class­es dans système

J’en­ferme je sépare je classe je trie je jette

tu adhères ?

 

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