Dans un Vieux Magazine

Dans un vieux mag­a­zine acheté avec d’autres
Sur une foire aux livres dom­inée par des chas­seurs de pre­mière édition
Se ruant avec des cris et des hour­ras sur les tables chargées,

Par hasard s’ouvre un poème,  traduit, et pourtant
Beau, triste, et qui vous file encore un direct comme un engin chargé
D’un machin tou­jours à moitié là et qui tictaque.

C’est un poème déplo­rant la perte de l’ancienne Lithuanie
Et bien sûr la perte ou l’abandon dis­trait quelque part de
L’enfance. C’est de Czes­law Milosz dont les deux z

Le précè­dent comme le dou­ble éten­dard de pélerins ou de légionnaires,
L’un à l’avant, l’autre sou­tenant l’arrière
Tan­dis que, flot­tant, ils descen­dent une enfilade de mon­tagnes. Ca rappelle

Les tour­ments de cette Europe comme une femme en foulard,
La tristesse d’anciens clichés d’églises en bois,
De log­gias, car­rioles, traineaux et métiers à tiss­er, d’hommes et de femmes

En cos­tume tra­di­tion­nel, que­nouille ou accordéon à la main,
Représen­tés dans un silence sépia aus­si palpable
Que le silence des prob­a­bil­ités face à une avalanche.

Le poète est ren­tré après cinquante ans. Tout a changé.
« Je me sou­ve­nais de l’endroit où tourn­er mais je ne recon­nais­sais pas la rivière. »
Les gre­niers et verg­ers et allées de tilleuls ont disparu

Et avec eux le cof­fre de mar­iée, le miroir sculpté
Et le bosquet de vieux pins. Mais il se souvient
Du par­fum du romarin, de l’averse d’une gerbe de lilas

Et il se rap­pelle aus­si un petit lac, aux rives désormais
Privée de ses joncs «  à tra­vers lesquels nous avan­cions en lut­tant, nageant

Pour nous essuy­er ensuite, moi et Made­moi­selle X, avec une seule servi­ette, en dansant. »

C’est cette Made­moi­selle X dont je vois la marche répétée ad libitum
Depuis les loin­tains bouleaux et s’arrêtant pour la serviette
Tan­dis que le long de l’avant-bras et du ster­num blancs se rassem­blent des gouttelettes.

C’est Made­moi­selle X que je voudrais revoir –
Davan­tage même que  revis­iter les aulnes  abat­tus depuis longtemps
Ou les anciens gre­niers et leurs pommes d’automne,

Ou les vil­lages devenus des champs vides,
Elle avec une cheville mac­ulée de boue, avec un petit bleu
Sur un tib­ia, avec la légère cicatrice

D’un vac­cin de var­i­ole sur un bras,
Elle qui ten­ant une servi­ette d’une main
Pointe de la main libre vers le passé.

Et tout comme Milosz est dérouté par cette Lithuanie perdue

Ne peut-on aus­si regret­ter la perte
D’une Aus­tralie per­due sans avoir été jamais trouvée
Une Aus­tralie où il se peut que j’aie nagé –
A Tidal Palms ou Thou­sand Mile Beach – avec quelqu’un
Ressem­blant à Made­moi­selle X sans jamais le savoir,

Une Aus­tralie jamais trou­vée puis de nou­veau per­due – le tout en cinquante ans,
L’ardoise de tout ce qui était enthousiaste,
sug­ges­tif ou vital,
Effacée ou salie par le nou­veau Conservatisme ?

Car c’est tout l’ensemble évanoui de cet agglomérat
-
Reliques de poutres byzan­tines sculp­tées,  traces dans des allées
D’un mil­lé­naire d’encens, de verg­ers retournés aux chardons –

Que, mal­gré leur perte ou leur déclin ou la traduction
Milosz trou­ve encore per­sis­tant comme l’ozone de la mémoire.
Ceci manque totale­ment ici, et à leur place

Sévis­sent sub­ver­sion et redéploiement
per­vers du passé.
Le con­stant rabat­te­ment au sol des vrilles Bour­geon­nantes et des racines, le rejet du jeune eucalyptus

Elagué comme s’il était un grands pavot. En conséquence
En l’absence totale de telles traces, dans une tra­di­tion de mâchefer,
De dens­es mallee, de vide et bleu incandescent,

Je  n’ai pas le sen­ti­ment de revenir à des ruines, des façades peintes,
Des restes énig­ma­tiques, exca­va­tions, broderies qui s’effacent,
Mais suis plutôt flot­tant  dans une abstrac­tion d’air,
A l’écart de telles his­toires, comme si tout au long de la côte
Les vagues réson­naient seule­ment en mineur
Aus­si mélodieuses que le retour de Schu­bert à ce mode,

Et que je cher­chais, dans cette vaste plage tab­u­la rasa
Quelque chose qui pût légitimer une cadence sem­blable à celle de la fin de Milosz :
« Soudain je me sen­tis dis­paraître et pleur­er de joie. »

 

In An Old Magazine

 

In an old mag­a­zine bought with others
At a book­fair dom­i­nat­ed by first edi­tion hunters
Descend­ing with whoops and hol­las on the heaped-up tables,

By chance a poem opens which, despite being translated,
Is beau­ti­ful, sad, and still packs a punch like a canister
Of some heavy ele­ment tick­ing and still half present.

It is a poem regret­ting the loss of old Lithuania
And of course the loss or absent-mind­ed mis­place­ment somewhere
Of child­hood.  It is by Czes­law Milosz whose two z’s

Go before him like pil­grims’ or legion­naires’ pair of flags,
One in the fore­front, one bring­ing up the rear
As, flut­ter­ing, they descend a moun­tain enfilade.  It recalls

The sor­rows of that Europe like a woman in headscarf,
The sad­ness of ear­ly pho­tographs of wood­en churches,
Log­gia, cart, sleigh and loom, of men and women

In tra­di­tion­al cos­tume hold­ing distaff or accordion,
Pic­tured in a sepia silence as palpable
As the silence of prob­a­bil­i­ty before an avalanche.

The poet has returned after fifty years.  All is changed.
“I remem­bered where to turn but did not recog­nise the river.”
The gra­nary and orchards and lin­den alley have gone

And with them the dowry chest, the carved looking-glass
And the grove of ancient pines.  But he remembers
The scent of rose­mary, the show­er from a spray of lilac

And he remem­bers too a small lake, its shores now
With­out its rush­es “through which we strug­gled for­ward, swimming
To dry our­selves after­wards, I and Miss X, with one tow­el, dancing.”

It is this Miss X whom I see repeat­ed­ly step­ping ad libitum
From the birch shal­lows and paus­ing for the towel
While along a white fore­arm and ster­num droplets gather;

It is Miss X whom I would like to see again –
Even more than to revis­it the alders long ago felled
Or the for­mer gra­nary cel­lars with their win­ter apples,

Or the vil­lages which have become emp­ty fields,
She with a mud-streaked ankle, with a small bruise
On one shin, with the slight disfigurement

Of a small­pox inoc­u­la­tion on one arm,
She who while hold­ing the tow­el with one hand
Points with her free hand towards the past.

And just as Milosz is bemused at this lost Lithuania
Might we not equal­ly regret the loss
Of an Aus­tralia lost with­out ever hav­ing been prop­er­ly found

An Aus­tralia in which I may have swum –
At Tidal Palms or Thou­sand Mile Beach – with someone
Resem­bling Miss X with­out ever know­ing it,

An Aus­tralia nev­er found then lost again – all in fifty years,
The slate erased or mud­died of all that was zestful,
Redo­lent or vital, by the new Conservatism?

For it is that whole faint appa­ra­tus of accretion –
Relics of Byzan­tine carved tim­bers, the traces in lanes
Of a mil­len­ni­um of incense, orchards revert­ing to thistle –

Which, even in their loss or decline or translation,
Milosz finds still lin­ger­ing as memory’s ozone.
This is entire­ly lack­ing here, and in its place

Is a sub­ver­sion and per­verse rede­ploy­ment of the past,
The con­stant cut­ting back to the ground of burgeoning
Ten­drils and roots, the young euca­lyp­tus regrowth

Lopped as if it were tall pop­pies.  Accordingly
In the absence of all such traces, the tra­di­tion being clinker,
Dense mallee, empti­ness and sear­ing blue,

I feel not as one return­ing to ruins, paint­ed façades,
Enig­mat­ic remains, exca­va­tions, fad­ing embroideries,
But rather am sus­pend­ed in an abstrac­tion of air

Removed from such his­to­ries, as if all along the coast
The waves resound­ed in the minor key only
As sweet­ly as Schubert’s return­ing to that mode,

And I were look­ing in this vast beach tab­u­la rasa
For some­thing to legit­imise a cadence like Milosz’s conclusion:

“Sud­den­ly I felt I was dis­ap­pear­ing and weep­ing with joy.”

 

***

Les Coqueli­cots exposent leur situation

 

Cette fois-ci, dis­ent-ils, essaie de trou­ver la bonne solution;
il y a juste assez de place pour les métaphores,
et si nous com­par­er à un tas d’autres choses
étrangères pour­rait te faire sourire,
nous nous sen­tons facile­ment submergés.

N’y‑a-t-il pas une solu­tion inter­mé­di­aire ? N’es-tu pas capable
de nous regarder plus de quelques secondes
sans avoir à te détourn­er pour chercher des similitudes ?
On n’aime pas se sen­tir pass­er au deux­ième rang,
Avoir tou­jours à sec­on­der quelque obscure notion.

Ca sig­ni­fie beau­coup pour nous – si tu veux vraiment
savoir la vérité – d être sim­ple­ment regardés
et pas objets ou sujet d’un travail.
Et voilà  – même en cet instant tu t’intéresses 
à l’autre côté de la pièce, toi qui es

si facile­ment dis­trait, toi qui as tant
de fer au feu. Com­ment alors
avancer vers quelque point d’accord
con­venu, une table esplanade avec du vin,
avec la mer toute calme de l’autre côté du mur ?

Bon,  tu es de retour, mais pour com­bi­en de temps ?
Nous n’avons presque pas bougé  et seule­ment d’un léger
déploiement comme pour te saluer plus parfaitement.
Et pour­tant tu t’éloignes comme si la lumière

n’avait pas tou­jours l’intention de s’engager avec nous,

Si tu ne fais pas plus que rester
quelque­fois près de nous et regarder la mer,
com­ment alors peux-tu pré­ten­dre nous entendre
par-dessus les vagues ? Peux-tu être vraiment
sérieux ? Sommes-nous ton sujet ou toi, le nôtre ?

Toute la nuit nous avons par­lé de toi
pen­dant que tu dor­mais, ou rêvais, battant,
pour­rait-il sem­bler, des champs de coquelicots…
Nous étions inébran­lables, immo­biles sans
rechercher la dis­trac­tion d’autres champs.

Voyons ce que tu as écrit jusqu’à présent :
« Bar­que retournée dans un couchant éclaboussé de lait,
écorces  d’amandes pelées qui tombent, saisies
par  une main ten­due, soyeuse peau d’orange… »
Allons ! Laisse-nous rap­porter ici ces graves défaillances –

                      « Copeaux de glace, ailes, froissements
                               dis­cuta­bles, précuseurs
à demi-tombés, con­science sur tige, vit­res glacées,
Lueur du feu, rougeoiement sans chaleur du chauffage au gaz…

Un tel éparpille­ment! Tant de domaines revendiqués !
Tant de flèch­es tirées au hasard dans l’air préoccupé !

Mais peut-être ! Peut-être nous pour­rions quand même parvenir
à un accord ? Même à cette heure
tar­dive vu  le temps lim­ité qui nous reste
ne pour­rions-nous enfin espér­er nous rencontrer
                                                 à égal­ité et sans artifice ?

 

The Pop­pies State Their Own Position

 

This time, they say, try and get it right;
there’s only just so much space for simile,
and liken­ing us to a whole lot of other
alien things might make you all smile,
but it’s easy for us to feel submerged.

Isn’t there some mid­dle course?  Aren’t you capable
of look­ing at us for more than a few seconds
with­out hav­ing to look away for likenesses?
We don’t like the expe­ri­ence of com­ing up for seconds,
of always hav­ing to sec­ond some obscure notion.

It means a lot to us – if you real­ly want
to know the truth – to be sim­ply looked at
and not worked over or worked at.
There you are – even now you’re at
the oth­er side of the room, you who are

so eas­i­ly dis­tract­ed, you who have
so many irons in the fire.  How then
can we pro­ceed towards some agreed-upon
meet­ing point, an esplanade table with wine,
with the sea very calm beyond the wall?

 

So you’ve come back, but for how long?
We have scarce­ly moved and only in a slight
unfold­ing as if to greet you more fully.
And yet you walk away as if light
weren’t always intent on engag­ing with us,

If you do no more than sometimes
stand near us and look out to sea,
how then can you expect to hear us
over those waves.  Can you real­ly be
seri­ous?  Are we your sub­jects or you ours?

Overnight we have been speak­ing about you
while you were sleep­ing or dream­ing, threshing,
it would seem to us, in pop­py fields …
We were stead­fast, not mov­ing and not
seek­ing the dis­trac­tion of oth­er fields.

Let us exam­ine what you have writ­ten so far:
“White upturned cor­a­cle in a sun­set splashed with milk,
sloughed-off almond cas­es falling, caught
in an out­stretched hand, orange peel of silk – ”
So!  Let us acknowl­edge here these seri­ous lapses –

“Shav­ings of ice, wings, con­tro­ver­sial crum­pling, half
fall­en fore­run­ners, con­scious­ness on stems, frost­ed panes,
fire­light, coal­gas glow at room temperature – ”
Such dis­si­pa­tion!  Such ambit claims!
Such arrows fired ran­dom­ly into pre­oc­cu­pied air!

But per­haps!  Per­haps we could still come
to some agree­ment?  Even at this late
hour in the lim­it­ed time we have remaining
might we not at least hope to meet
on equal terms and with­out artifice?

 

 

***

 

Pour Faire Simple

 

Comme l’e‑mail cor­re­spond à la let­tre du 19ème siècle
Ain­si le poème écrit en transit
Ou dans un bar ou sur le dos des enveloppes
Cor­re­spond à l’astucieuse construction
Car­ac­térisant la péri­ode 1340–1900.
Le poème de pas­sage ou libellule
Est une sorte de nive­lage par le bas ou de réaménagement
Ou d’émoustillage ou d’excitation
Du poème-déje­uner ambu­la­toire au rythme de valse-minute
Tapé à la machine par Franck O’Hara.
Et voici un sujet intéres­sant qui mérit­erait d’être saisi :
Dans ce café pré­cis, une jeune fille
Demande un « café au lait, mais pas trop au lait »
Et  les deux femmes à la machine à café
Ont l’air sur­pris et deman­dent « C‘est à dire ? »
C’est un peu comme le mari de Women’s Weekly
Auquel on demande « A quoi, l’omelette ? »
Et qui répond gen­ti­ment « Oh, n’importe quoi, sauf les œufs. »
L’atténuation est notre sujet et nous cherchons
Le poème sans lim­ites qui le clouent à terre,
Comme une tente sans cordes ni piquets,
Ce qui cadr­erait  avec tes e‑mails
Dont je parviens à rap­pel­er certains
De la Voie Lac­tée du cybere­space de la mémoire.
Par exem­ple « buck­et of poo » (qui s’avère
Etre une sorte de ver­lan) ou « Ug » (sig­ni­fi­ca­tion pré­cise désor­mais inac­ces­si­ble) ou « Jol­ly good »
(sym­pa­thique mais pra­tique­ment dépourvu d’application) –
Un poème planant à la lisière de la poésie,
Comme une araignée d’eau  sur quelque chose
Ayant quelque sorte de ressem­blance avec un fleuve
Qui évite la métrique et tous les engins rhétoriques,
Le sym­bol­isme inclus, qui implique un passé,
Tel qu’il devi­enne presque transparent

‚L’atténuation est notre sujet – comme elle l’a été
Depuis, dis­ons, le tortueux  Auden
Si bien que désor­mais vingt mil­lions d’entre nous,
Tous poètes qui lisons seule­ment nos pro­pres mots,
Rival­isons en jetant dans les vagues
Des (guir­lan­des  virtuelle­ment si légères
Si virtuelles, si presqu’imperceptibles
Qu’elles ne dérangent absol­u­ment rien.

 

Mak­ing It Thin

 

As the e‑mail is to the 19th Cen­tu­ry letter
So the poem writ­ten in transit
Or in cof­fee bars or on the back of envelopes
Is to the art­ful construction
Char­ac­ter­is­ing the peri­od 1340–1900.
The tran­si­to­ry or drag­on­fly poem
Is a kind of dumb­ing down or mak­ing over
Or teas­ing out or sex­ing up
Of the Frank O’Hara wandering
Lunch-hour minute-waltz type­writer poem.
And here’s a wor­thy sub­ject apt­ly to hand:
In this actu­al cof­fee bar a girlAsks for “a lat­té but not too milky”
At which both women at the cof­fee machine
Look puz­zled and ask “What do you mean?”
It’s rather like the Women’s Week­ly husband
Who, asked “What flavour omelette?”
Answers agree­ably, “Oh, any­thing except egg.”
Atten­u­a­tion is our theme and we seek
The poem untram­melled by being grounded,
Like a tent with­out ropes or pegs,
Which would accord with your e‑mails
Sev­er­al of which I man­age to recall
From the Milky Way of cyber­space memory.
For exam­ple, “buck­et of poo” (which turns out
To be rhyming slang) or “Ug” (exact meaning
No longer retriev­able) or “Jol­ly good”

(Genial but almost with­out application) –
A poem hov­er­ing at the fringe of poetry,
Like a long-legged fly upon something
Stand­ing in some sort of rela­tion to a stream,
Which eschews metre and all the devices of rhetoric
Incl. sym­bol­ism which implies a past,
So as to become almost transparent.
Atten­u­a­tion is our theme – as it has been
Since, let us say, mean­der­ing Auden
So that now twen­ty mil­lion of us,
All poets who read only our own words,
Vie in throw­ing onto the waves
Lei so vir­tu­al­ly weightless
So vir­tu­al, so almost imperceptible
As to dis­turb noth­ing whatsoever.

 

 

***

 

Les Mer­les

 

A la dif­férence des per­ro­quets qui cri­ent beaucoup
Et qui, lorsqu’ils sont musi­caux, sem­blent s’allumer et se met­tre à l’écoute de
Chorales de  sem­piter­nels vieux suc­cès populaires,

Les mer­les sans aucun doute
Appré­cient les longues con­ver­sa­tions avec des pauses
Pour la réflex­ion, le réex­a­m­en, les modifications,

Qual­i­fi­ca­tions, déplace­ments, répéti­tions, exagéra­tions hésitantes,
Occur­rences de « Je suis d’accord avec le pre­mier inter­venant » ou « Vous croyez ?’ ou

« Bien sûr mais ne pour­riez-vous juste savoir ? »
Ou « Non ! Pas elle ? » ou “Mais on admet généralement”
Ou, « Je vais vous dire quelque chose, cependant »,

Tous émis avec des trilles et des arias prolongés
Et des opin­ions mûre­ment réfléchies et concédées
Avec de gra­cieuses notes, mélismes et glissandi

Sug­gérant un dis­cours lit­téraire raffiné
Et un ton soutenu comme celui qui orne les dernières pages
De Swim-Two-Birds de Flann O’Brien

Ou peut-être même – quand le cré­pus­cule répand du talc
Entre les arbres lourds de cigales et le soleil –
Et  que la dis­cus­sion, de plus en plus lyrique,

Révèle sans ambiguïté l’ardeur des intérêts partagés
Entre les par­ties – pour­rions-nous postuler
Quelque chose ressem­blant à une vraie dis­cus­sion dialectique.

 

Black­birds

 

Unlike the par­rots who shout a lot
And when musi­cal seem to turn on and tune in
To singsongs of the same old evergreens,

The black­birds are with­out a doubt
Enjoy­ing lengthy con­ver­sa­tions with pauses
For thought, recon­sid­er­a­tion, modifications,

Qual­i­fi­ca­tions, shifts, rep­e­ti­tions, hes­i­tant exaggerations,
Instances of “I agree with the first
Speak­er” or “Are you sure?” or

“Of course but wouldn’t you just know?”
Or “No!  Did she?”  or “But it is gen­er­al­ly acknowledged”
Or “I’ll tell you one thing, though”,

All uttered with trills and extend­ed arias
And exquis­ite­ly con­sid­ered opin­ions conceded
With grace notes and melis­mas and glissandi

Sug­gest­ing dis­course of a lit­er­ary refinement
And lofty tone such as graces the last pages
Of At Swim-Two-Birds of Flann O’Brien

Or per­haps even – when dusk scat­ters talc
       Between the cica­da-loud trees and the sun –
And dis­cus­sion, becom­ing increas­ing­ly lyrical,

Reveals unmis­tak­ably ardent inter­est shared
Between all par­ties – might we not posit
Some­thing approach­ing a tru­ly dialec­ti­cal discussion
 

 

***

Déclin des Coquelicots

 

Soule­vant l’entier prob­lème de la descrip­tion et de ses limites
dans leurs dernières heures ils défaillent

comme des  pylones de chemin de fer à plusieurs postes
d’aiguillage où le sig­nal s’inclinerait,

ou comme des coureurs de marathon fran­chissant la ligne d’un trait
puis qui fléchissent les mains sur les genoux,

ou des fig­ures de sémaphore aux nom­breux drapeaux
Croisés en séquences au niveau des genoux…

Si c’étaient les restes d’un réc­it à trouver
quelque chose de ce type pour­rait s’y lire vaguement :

A leur dernier matin avant le crépuscule
Les pylones d’aiguillage sont man­i­feste­ment flous

Et l’aiguilleur s’en est allé avec une tasse brûlante
Dans un autre abri en tôle, et dans un autre encore

Une classe de danse ryth­mique attend
Tan­dis que l’ instruc­teur répond au téléphone :

D’autres con­tin­gences se déploient encore, les pavots
Arborent tant de vis­ages courageux

Et pen­dant que tels des dra­peaux ils flot­tent tant bien que mal, le soleil
A le calme de la lionne repue.

 

 

Falling Pop­pies

 

Rais­ing the whole ques­tion of descrip­tion and its limits,
in their last hours they are faltering

like rail­way shunt­ing yards in which
at sev­er­al sig­nal box­es sig­nals slope down,

or like run­ners of a marathon who burst over the line
and who then bend for­ward with hands on knees,

or sem­a­phor­ing fig­ures with many flags
in sequence crossed at knee level…

If these were rem­nants of a nar­ra­tive to be found
some­thing of this kind might be faint­ly present:

On their last morn­ing before noon’s dusk
the rail­way yards are pal­pa­bly misty

and the sig­nal­man has gone with a steam­ing cup
into anoth­er gal­vanised shed, and in yet another

a Eury­th­mics class is wait­ing nearby
while their instruc­tor takes a phone call;

oth­er con­tin­gen­cies are unfold­ing still, the poppies
are putting on many brave faces

while as flags stir uneasi­ly, the sunlight
has the calm of the lioness after satiation.

Late After­noon, Light­house Beach

The ele­ments nor­mal­ly kept in undis­tin­guished collusion
Like car­bon atoms loose­ly packed as graphite and not diamond,

The earth, sun and water are as often as not sandwiched
With dross, lim­it­ing their pow­er to shine (the sun

Just behind a con­struc­tion tow­er, water draining
Half-heart­ed­ly from a sta­di­um, the earth dull

With grav­el and weed, or all three combined
In a canal cut­ting across a field in win­ter haze.)

These same, much put-upon ele­ments may on occasion
(And that occa­sion is now) be deconstructed

And shak­en each from each like foil magically
To be rearranged so as to max­imise in fusion

Their allure which so point­ed­ly depends
On their depen­dence on one anoth­er. Thus,

The sun is low enough behind the bitou
To slide a shad­ow like a wafer over bro­ken waves

While those still ris­ing to break (and wave to shore)
Are still crowned by sun­light.  The sandshallows

Are ready at once to reflect expansively
On these waves’ errat­ic campanology.

Might there not be a way to express that radiance
More sim­ply?  (Clear­ly you yearn for the ele­men­tary past.)

But con­sid­er Brahms who “begins with material
Which would once have been thought unac­cept­ably simple

And sub­jects it to elab­o­ra­tion which equally
Would have been found unac­cept­ably complex.”

 

Tra­duc­tion : Mar­i­lyne Bertonci­ni – mars 2012
 

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