Arnaud Beaujeu, Exils et chemins

Par |2021-01-06T03:15:07+01:00 5 janvier 2021|Catégories : Arnaud Beaujeu, Poèmes|

1

Où le chemin com­mence, les pas sont mag­nifiques : un tapis d’aiguilles atténue

les voix. Le grand air nous invite, on marche sans un doute, aiman­tés de nature,

on s’enchante de tout

2

Un chemin nous ras­sure de ses arbres et de ses lumières, de ses cail­loux clairs, de

ses joies. Un autre passe dans les bois, par­mi de petits tas de pier­res – il faut

enjam­ber le ruis­seau pour longer un champ

3

A la croisée des voies, le vent nous aveu­gle. Comme à col­in-mail­lard, on tourne

sur soi. On prend ce chemin-là, sans savoir où il va, s’il y aura un replat, une route

4

Celui-ci tourne à gauche, il faut pass­er un gué, cerné de genêts… Est-ce une

impasse ? Celui-là monte droit, puis casse d’un seul coup ; il se pour­suit pourtant

en pas­sant le pont

5

Au mitan du par­cours, on a la ten­ta­tion de rebrouss­er chemin et, en même temps,

ce serait dom­mage de ne pas aller voir plus loin

6

Un chemin ne dit rien. Empier­ré de matière, il vibre sous les pas et ne s’ouvre

qu’à lui. On revient sur ses pas. Est-ce que l’on s’est perdu ?

7

Mieux vaut con­tin­uer, repren­dre le bon cours, c’est plus beau, plus intéres­sant en

allant de l’avant. Tout au bout du chemin, il y aura autre chose : peut-être une

aven­ture, peut-être une autre voie

8

Frag­ile douceur de vivre dans le courant des jours qui sans cesse s’enfuient.

Instants d’être en sur­sis, bon­heur du temps de vivre. Le retour de la vie au plus

pro­fond d’en vivre

9

A l’arrivée que reste-t-il : une attente au bord de la mer. La vie con­tin­ue de

tourn­er. Les uns rem­pla­cent les autres et les vagues con­tin­u­ent sans relâche de

frap­per le rivage des années 

10

Tou­jours le même tou­jours, tout aus­si insen­sé. La vie s’agite en mille couleurs,

mille folies tra­ver­sées, que le vent bal­aie une à une, jusqu’à épuisement

11

Demain nous irons tra­vers­er d’autres folies d’autres chimères, en attendant

12

Un exil au bord de la mer agite les rideaux légers. Les car­reaux-ciments sont des

pier­res inan­imées. Un fort se détache en lumière, enlacé d’un bougainvil­lée. Nous

irons jouer dans la mer au bon­heur retrouvé

13

Tour­nent les heures de la journée. Cha­cune est belle d’une unité de tons et de

couleurs. On passe cette vie dans le bleu dans la joie d’exister pleine­ment, jusqu’à

n’être plus

14

La mer se lève le matin avec tous les noyés, les morts, les tré­passés. Elle se réveille

d’un long som­meil pour les ressus­citer. Cer­tains font la planche, d’autres nagent

le dos crawlé, puis ils se sèchent au soleil avant de petit-déjeuner

15

On se promène sou­ple et léger dans les rumeurs du jour. A peine a‑t-on le temps

de se retourn­er que déjà le soir arrivé

16

Etre là, sans trop savoir pourquoi, au milieu des jeux et com­bats, laiss­er pass­er les

jours, ronds et pleins chaque fois, vivre d’amour et d’eau salée, jusqu’au prochain

échouage

17

La mer par­le la nuit, elle racon­te des his­toires à dormir debout, elle par­le toute la

nuit. Et tous les âges de la vie se retrou­vent en ces heures où le soleil luit

18

La mai­son sur la mer aux colonnes d’arbres imag­i­naires est sus­pendue dans le

matin éblouis­sant de vert. Au partage de l’horizon, le bleu ciel répond au bleu

ten­dre de mer

19

Le lieu est un mys­tère, où souf­fle légère­ment la brise d’un passé enchan­té de

lumières, de rires, d’éclats de voix pro­fondes, passagères

20

L’ombre appelle la lumière. Leur présence est nour­rie de tout un monde

inter­mé­di­aire que les sou­venirs révè­lent imperceptiblement

21

Le fan­tôme d’un sourire s’esquisse soudain, la forme émue d’un corps, la poigne

d’une main. S’y adjoignent peut-être le grain d’une voix flutée, l’éclat d’un œil

malin

22

Au gré des rafales, le temps s’accélère, les vagues se ren­for­cent et à coup de

mis­tral, empor­tent dans l’instant ces allures éphémères

 23

Saccage des émo­tions, les maisons sont restées debout, mais éven­trés, les

sou­venirs dans les nuits se sont désagrégés comme pau­vres errants, l’église est

bouche d’ombre, le toit s’en est allé

24

Un matin, les gen­darmes sont venus les chercher : il fal­lait quit­ter le village,

aban­don­ner les tombes, les arbres, les verg­ers, il n’y aurait plus de trou­peaux, à la

place : des bombes

25

Le por­tail de la grange à présent ne dit plus grand-chose, c’est déjà loin tout ça…

mieux vaut ne pas trop y penser… Mais les rues dévastées con­tin­u­ent de hurler

leur oubli jusque dans les choses, leurs cris s’égarent dans les champs, au pied des

peu­pli­ers

26

Les femmes ont pleuré leur tout petit, leur vil­lage, du fond de leur passé. Grand-

père pas­sait du cirage sur ses souliers. L’été, les ruch­es bour­don­naient, l’orage

s’éloignait, reve­nait, sur les soirées ensoleillées

27

Ain­si nos exis­tences, bien con­stru­ites et clos­es, finis­sent-elles par s’effilocher.

Ouvertes aux qua­tre vents, elles ne savent plus grand-chose du passé

Présentation de l’auteur

Arnaud Beaujeu

Agrégé de let­tres mod­ernes, doc­teur en langue et lit­téra­ture français­es, rat­taché au CTEL, Arnaud Beau­jeu a pub­lié en 2010 et 2011 deux ouvrages :

  • Matière et lumière dans le théâtre de Samuel Beck­ett, Peter Lang ;
  • Samuel Beck­ett : triv­ial et spir­ituel, Rodopi.

Mem­bre du comité de rédac­tion de la revue Nu(e), il a pub­lié plusieurs suites de poèmes dans cette même revue :

  • « D’un regard blanc », n°36 (« Michel Steiner ») ;
  • « La lumière et les mots », n°42 (« Anthologie ») ;
  • « L’été », n°45 (« Pierre Dhainaut ») ;
  • « Bleu ciel », n°48 (« Jean-Michel Maulpoix ») ;
  • « De pierre et d’eau », n°49 (« Bernard Noël ») ;
  • « Autre enfance », n° 52 (« Jokari »))

Et prin­ci­pale­ment dans les revues Arpa : « Le pays des en-allés », n°102, « la ton­nelle », prochaine­ment) ;  Thαumα : « Frères d’amour », n°5 con­sacré aux oiseaux ; « Autodafé », n°6 con­sacré au feu ; « En patience » n°10 con­sacré à la patience ; « même au-delà du raisonnable », (prochaine­ment) et Ser­ta  : « Les mots blancs ».

Il a égale­ment pub­lié des arti­cles et entre­tiens sur et avec les poètes con­tem­po­rains Bernard Var­gaftig, Jean-Pierre Lemaire, Pierre Dhain­aut, Marie-Claire Banc­quart, Charles Juli­et, François Cheng, Béa­trice Bon­homme-Vil­lani, etc.

Arnaud Beaujeu
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