Jacques Rancourt, Fragments du temps qui court, extraits

Par |2024-03-06T16:28:09+01:00 6 mars 2024|Catégories : Jacques Rancourt, Poèmes|

Renais­sance                                                                                                   

Un matin comme celui-ci
l’eau revient du ciel
après des semaines d’absence

elle arrive sous forme de pluie
se mêle aux bruits
dis­sipe le gris sur la matière

un enfant passe en courant
il n’avait rien prévu du temps qu’il fait
il devient le temps qu’il fait

 

Évanes­cents                                                                                                   

C’est ain­si que nous passons
en discontinu
dans la vie les uns des autres

le soleil ni l’horloge
n’y trou­vent à redire
sur le fond ni sur la forme

par­fois les ascenseurs se croisent
on se sou­vient du futur ou du passé
on n’est que plume au vent

 

Retour

Ce jour de neige à Paris
ne ressem­ble à aucun autre
de mémoire récente

les pla­tanes ont déjà feuillé 
les mag­no­lias fleuri
presque les cerisiers

l’hiver est revenu sans prévenir
la tête à l’envers
il faut lui faire une place

 

Dis­cré­tion

Au moment de partir
il a voulu relire sa bible
et rem­bours­er ses dettes

le toit était à refaire
et l’aspirateur à remplacer
il n’en a pas parlé

il s’est éteint tout seul
comme une bougie à court de cire
comme une âme à court de corps

 

Dis­pari­tion                                                                                                              

Quel serait votre avis
sur un jour en train de déraper
vers son fac-similé ?

votre avis sur l’enfance
déplacée d’école en école
sans ses instituteurs ?

on dirait la pluie
en train de fuir au loin
sans atten­dre le vent

 

Recueille­ment

Je représente la nuit
ce qui reste de lumière en moins
sur mon ombre personnelle

la parole s’est assise
à côté du silence 
comme auprès d’un frère aîné

nous comp­tons les survivants
ils se comptent entre eux
le compte n’est jamais juste

 

Absorp­tion                                                                                                     

Le tu était sou­vent un je
énon­cé en plus discret
pour n’effrayer personne

cela se pas­sait en fait
à une époque lointaine
non encore révolue

vous ver­siez l’eau dans la bassine
et c’est l’eau
qui finis­sait par vous boire

 

Image de Une © Car­o­line Halazy, mai 2018.

Présentation de l’auteur

Jacques Rancourt

Né au Québec en 1946, il vit à Paris depuis 1971, est poète, tra­duc­teur et essay­iste. À la suite d’une maîtrise de let­tres sur la revue Le Pont de l’épée , d’un doc­tor­at sur la poésie africaine et antil­laise de langue française, ain­si que sa par­tic­i­pa­tion en 1973 à la rédac­tion de l’important panora­ma de Serge Brindeau La poésie con­tem­po­raine de langue française, il a pub­lié nom­bre d’essais et antholo­gies con­sacrés à la poésie de langue française. Directeur du Fes­ti­val fran­­co-anglais de poésie et de la revue inter­na­tionale de poésie et d’art visuel La Tra­duc­tière de 1983 à 2014, il a par ailleurs traduit les poètes de langue anglaise John F. Deane (Irlande), Susan Wicks (Angleterre), Alex Skovron (Aus­tralie) et Toh Hsien Min (Sin­gapour), les poètes lati­no-améri­­cains Nés­tor Ulloa (Hon­duras) et Ale­jan­dra Mendez (Argen­tine), de même que le poète israélien Amir Or et la poète japon­aise Shizue Ogawa.

Comme poète, depuis La journée est bien par­tie pour dur­er parue en 1974, Jacques Ran­court a pub­lié une trentaine de recueils de poèmes, livres d’artiste et recueils de haïkus. Il a reçu le prix européen de poésie Dante 2018 pour l’ensemble de son œuvre.
Comme essay­iste, son dernier ouvrage, La tra­ver­sée des langues – Essai sur le fonc­tion­nement des langues à tra­vers le monde, a paru aux édi­tions Armand Col­in en 2023.

Bibliographie

POÉSIE
La journée est bien par­tie pour dur­er (Paris, Saint-Ger­­main-des-Prés, 1974)
L’eau bas­cule (RmqS, Méry-sur-Oise, 1974)
Le soir avec les autres (Paris, sept poèmes avec gravures sur bois d’Alix Hax­thausen, G.D.,
1978)
Le pont ver­bal (Paris, SGDP, coll. « Poètes con­tem­po­rains » , 1980)
Les choses sen­si­bles (Mon­tréal, l’Hexagone, 1989)
Les quinze apôtres (Paris, avec dessin de Michel Mousseau, 1989, réédité avec quinze
nou­veaux poèmes en 1994 sous le titre Les trente apôtres)
L’eau (poème, H.C., avec sept lavis d’Yves-Marie-Heude, 1994)
La con­di­tion ter­restre (Char­lieu, La Bar­tavelle, 1995)
The Dis­tri­b­u­tion of Bod­ies (choix de poèmes et tra­duc­tion de John F. Deane, Dublin, Dedalus
Press, 1995)
Grav­i­ta­tions (édi­tion bilingue, tra­duc­tions de John F. Deane, avec eaux-fortes de Michèle
Dadolle, Paris, Signum, 2001)
La nuit des milleper­tu­is (Mon­tréal, Trois / Paris, le Temps des ceris­es, 2002)
L’instant prodigue (Amay, l’Arbre à paroles, 2003)
Comme un huart (poème avec gravures d’Atsuko Ishii, Paris, Transignum/Daniel Leuwers,
2004)
La pluie des pluies (Greno­ble, le Pré car­ré, 2005)

Savoirs (deux poèmes avec dessins-col­lages de Claudie Laks, coll. « Even­tails » Daniel
Leuw­ers, 2005)
Cica­trice (poème avec tra­duc­tion de Jan Owen et cinq col­lo­gravures d’Irène Scheinmann,
Tran­signum, coll. « 5/5 », 2005)
Un amour isocèle (trois poèmes avec gravures d’Atsuko Ishii, Bel­gique, Tan­dem, 2005)
Les pièces du paysage (sept poèmes, dessins et col­lages de Sarah Wiame, tra­duc­tions de Sarah
Wicks, Paris, Céphéides, 2006)
Sculp­tures sur prose (neuf poèmes, dessins de Wan­da Mihuleac, tra­duc­tions de Jan Owen,
Paris, Tran­signum, 2007)
Par­bleu (poème, avec acrylique orig­i­nale d’Erolf Totort, Paris, Tran­signum, 2008)
Sans par­tir du début (poème, avec et à par­tir d’œuvres graphiques de Wan­da Mihuleac,
Tran­signum, 2010)
Veilleur sans som­meil (pré­face d’Henri Meschon­nic, Mon­tréal, Le Noroît / Paris, le Temps
des Ceris­es, 2010)
Paysages et per­son­nages (Mon­tréal, Le Noroît, 2012)
Quar­ante-sept sta­tions pour une ville dévastée (Le Noroît, 2014)
Suite en rouge mineur (livre d’artiste, illus­tré par Wan­da Mihuleac, Paris, Tran­signum, 2017)
Au sor­tir de l’eau (livre-cof­fret de quinze cartes postales au for­mat A5, avec pho­togra­phie au
rec­to, haïku et graphisme carte postale au ver­so, Paris, Tran­sigum, 2019)
La vie au sol, haïkus et pho­togra­phies, pré­face de Chris­t­ian Noor­ber­gen (Paris, Transigum,
2019)
Ailleurs est partout chez lui, haïkus avec encres de Marie Fal­ize, pré­face de Zéno Bianu
(Mon­téli­mar, Voix d’encre, 2020)
Paysajes y per­son­ajes, tra­duc­tion du recueil Paysages et per­son­nages par la poète argentine
Mar­ta Miran­da (Buenos Aires, Levi­atán, 2020)

TRADUCTIONS
La Brèche – Break-Through (édi­tion bilingue, poèmes de Lindy Hen­ny, Paris, SGDP, 1981)
« Qua­tre poètes améri­cains d’aujourd’hui », dans la revue Poésie 88 : Robert Creeley,
Denise Lev­er­tov, Gal­way Kin­nell et August Klein­zahler (Paris, décem­bre 1988)
« L’imaginaire irlandais », dans la revue Poésie 95 : poèmes de John F. Deane, Seamus
Heaney et John Mon­tague (Paris, décem­bre 1995)
« Poésie — Ecosse », dans le Jour­nal des poètes : Tim Cloud­s­ley, Jef­frey Bur­rows, Richard
Bur­ton, Stan Bell, Basia Pal­ka et Alis­tair Pater­son (Brux­elles, n° 3, avril 1996)
L’ombre du pho­tographe, édi­tion bilingue, poèmes du poète irlandais John F. Deane
(Vénissieux, Paroles d’aube, 1996)
Por­trait d’une feuille comme oiseau – Por­trait of a Leaf as Bird (édi­tion bilingue, sept
poèmes de Susan Wicks avec dessins et col­lages de Sarah Wiame, Paris, Céphéides, 2007)

The Attic, édi­tion bilingue, poèmes du poète aus­tralien Alex Skovron, PEN Mel­bourne, 2013
Le musée du temps, poèmes du poète israélien Amir Or, en col­lab­o­ra­tion avec Aurélia
Las­saque (Paris L’amandier, 2013)
Dans quel sens tombent les feuilles, édi­tion bilingue anglais-français, choix de poèmes
poèmes du poète sin­gapourien Toh Hsien Min (Paris, Car­ac­tères, 2016)
Los espe­jos de Carlos/Les miroirs de Car­los, poèmes de Nés­tor Ulloa, poète hon­durien (Paris,
La Tra­duc­tière, 2018)

ESSAIS
« Livre II, Québec », in la Poésie con­tem­po­raine de langue française (Paris, SGDP, 1973,
sous la direc­tion de Serge Brindeau)
Poètes et poèmes con­tem­po­rains — Afrique-Antilles (Paris, ACCT-Saint-Germain-des-Prés,
1980)
« La lit­téra­ture québé­coise du XX e siè­cle » et « La lit­téra­ture négro-africaine de langue
française » in His­toire lit­téraire de la France (tome XII, Paris, Edi­tions sociales, 1980)
La tra­ver­sée du paysage, essai sur la poésie de Mary­line Des­bi­olles (Vic­to­ria, Australian
Jour­nal of French Stud­ies, et Nice, Gré­goire Gardette édi­teur, 1997)
De la tra­duc­tion à la tra­duc­tion de poésie (Mon­tréal, revue Lib­erté, févri­er 1993)
The Eth­i­cal Dimen­sion of Trans­la­tion (Mel­bourne, revue Etch­ings n° 6, 2009)
Trait d’union, anom­alies et caetera (ouvrage en col­lab­o­ra­tion, Paris, Climats/Syndicat des
cor­recteurs, 1991)
Le poète et sa langue (Mon­tréal, revue Lib­erté n° 292, juin 2011)
La tra­ver­sée des langues – Essai sur le fonc­tion­nement des langues à tra­vers le monde (Paris,
Armand Col­in, 2023)

ANTHOLOGIES
Poésie du Québec : Les pre­miers mod­ernes (Paris, Poésie I n° 35) et La nou­velle poésie du
Québec (Poésie I n° 36, 1974)
Poètes de l’identité québé­coise, suivi de Les voix nou­velles (Paris, Poésie I n° 96–98, 1982)
La poésie éro­tique du XXe siè­cle (Paris, la Pibole, 1980)
French Poets of Paris (numéro spé­cial de la revue The Chari­ton Review, Tru­man State
Uni­ver­si­ty, Mis­souri, USA, juin 1996)
Fig­ures d’Haïti — 35 poètes pour notre temps (Paris, le Temps des Ceris­es ; Trois-Riv­ières, les
Ecrits des forges, 2005)
Antilles-Guyane : antholo­gie de poésie antil­laise et guyanaise de langue française (Paris, le
Temps des ceris­es, 2006)

Autres lec­tures

Jacques Rancourt, Suite en rouge mineur

Toute nos­tal­gie est absente du dernier recueil de Jacques Ran­court, Suite en rouge mineur, évo­ca­tion dis­crète des rites de pas­sage de l’enfance à l’âge adulte.   Rien de trop appuyé dans […]

image_pdfimage_print

Sommaires

Aller en haut