Tout est mouil­lé à Charleville
l’ombre et son double
le souf­fleur qui vide les mots dans la rivière
les nuances
traces lais­sées par la pluie
défi­ant inlass­able­ment un paysage
à cinq heures de l’après midi
un bateau pénible­ment traîné par un gamin
tranche la grande place

Ma nos­tal­gie ressem­ble à ce jour innocent
délais­sé sur le front de l’église

Tout est rouil­lé à Charleville
à midi comme à minuit
le désert gît au pied de ton lit invisible
comme ce mirage de chevaux dans le cahier
et même ta solitude
ignore l’écorchure de l’esclave

Tire, poète, tire
jusqu’à l’usure du verbe
jusqu’à dérober l’aube de l’humanité et sa rosée morte
jusqu’à la rature de la lumière
Tire, enfin tire !

Tout est beau à Charleville
tes pas d’autrefois
même l’abîme qui s’ouvre sur la fer­men­ta­tion de cette journée
ton itinéraire qui s’étire à l’envers d’un détail
défi­ant l’impossible miroir

Un instant j’aborde l’oubli
m’assois au bord de l’été
dans l’entrebâillement d’une aube assassinée

Vic­time d’une parole infirme
je verse la vie tiède sur ta tombe
dans l’espoir de sen­tir l’éternité
fris­son­ner dans ma chair

 

 

Extrait du recueil “Rebâtir les jours” © Édi­tions Bruno Doucey, 2013.
 

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