Fils des murailles
Nous avons trans­porté les boss­es du désert
Jusqu’aux portes du refus
La terre sous nos pieds déroulait ses frontières
His­sait des barbelés
Et refu­sait nos mains de pèlerins
Les passeurs cas­saient nos âmes
Nos corps mar­qués au fer du soleil
Nos langues  sèch­es  de bar­bares errants
Et froide­ment tétaient l’argent de nos exils

C’est l’heure d’une folie douce
Nos genoux ont bal­isé l’enfer
Notre faim a mangé la poussière
Et nos silences ont grim­pé la tour de Babel
C’est l’heure d’une folie douce
Là-bas
La ville amarre la misère
Le vis­age de l’épouse allume une feuille morte
L’enfant qui naît enjambe l’avenir
Là-bas la mort embar­que les jours
Et les nuits dévorent la chair des étoiles

Nous sommes d’un long voyage
Un voy­age d’ancêtres au cœur maigre
Un voy­age de sauterelles affamées
Un voy­age de pays sous perfusion
Un voy­age d’ombres sans corps

Nous sommes de ce voyage
Où les nuits font  con­tre­bande de chair
Où les jours ont honte de leur soleil
Où les hommes qué­man­dent le droit de respirer

Nous sommes de ce voyage
Nos yeux chavirent comme des pirogues blessées
Nos mains dénouent le nom­bril des vents
Et nul arbre n’accueille l’ombre de nos rêves

Par­tir n’est pas partir
Quand les murs sont vivants
Par­tir n’est pas partir
Quand l’oiseau est sans nid
Par­tir n’est pas partir
Quand la terre se cloisonne
Dans la peur des peuples

Nos pas effraient la tour Eiffel
Les cap­i­tales repues du sel des colonies
Les usines à chômage
Les bour­reaux d’arc-en-ciel
Les bours­es mondialisées
Et les marchands de peau
Nos pas  dérangent la marche du monde
Nos pas vont en fraude sup­pli­er l’horizon
Ils ne savent pas ouvrir les mon­naies  de l’accueil
Et ils s’en retour­nent humiliés
D’avoir à retourner
Au seuil de nous-mêmes

Est-ce la peau qui refoule
Est-ce l’homme qui dit non
Nous sommes les arpen­teurs du refus
Les déser­teurs sans papiers
Les cap­i­tales ont tis­sé nos douleurs
Et leurs lumières sont des flo­cons de sang
Des feux rouges sans paupières
Des enseignes interdites

Insectes saison­niers
Nous jouons
A recoudre l’espace
Der­rière l’incendie
Nous jouons des jeux de prisonniers
Le monde entier est notre prison
Et nous jouons nos vies
Au casi­no des riches

Voici venue la sai­son des fleuves vides
Voici venue la sai­son des barbelés
Voici venue la sai­son des marées humaines
Voici venue la sai­son des esclaves volontaires
Même le vil­lage a mangé son midi
Et nos villes drapées dans la poussière
Sor­tent des seins mai­gres comme des aiguilles 

Ô pays !

Nous avions ren­dez-vous avec les pays du rêve
Avec une autre géographie
Avec les grandes puis­sances de l’or et de l’euro
Leurs villes sont des val­lées de miel
Des cornes d’abondance
Et leur pain quo­ti­di­en récite sa prière
A l’ombre des cathédrales

Nous n’avons rien à déclar­er sinon la faim
la faim n’a pas de passeport
Nous n’avons rien à déclar­er sinon la vie
la vie n’est pas une marchandise
Nous n’avons rien à déclar­er sinon l’humanité
L’humanité n’est pas une nationalité
La mis­ère ne passe pas
Pas­sager clandestin
Elle retourne au pays

Nos san­dales ont usé les nuits
Nos pieds nus ont écorché les dunes
La  rosée pleu­rait une terre inhumaine
Et nos mains men­di­aient une autre main
Les dra­peaux ont peur de leurs promesses
Ils se sont enroulés comme des scolopendres
Notre soif est retournée au feu de notre gorge
Et la vie nous a tourné son dos

Tout homme qui s’en va défie l’entour
Dessouche une nation
Et lézarde une étoile
Et dans ses yeux grésil­lent une autre vie
Son feuil­lage est d’outre-mer
Quand tout au loin luit son désastre
Il fait trou­peau vers les qua­tre saisons
Il fait tombeau aux bornages

O  nègres marrons !

Ce sont forêts de béton et d’arbres chauves
Sou­viens-toi de l’enfant mort d’atterrir
En un seul bloc de froidure
Dessous le ven­tre de l’avion
Sou­viens-toi de sa mort  d’oiseau gelé
Souviens-toi

Et toi reconduit
Econduit
Déviré
Jeté par-dessus bord
Tau­reau d’herbe sèche
Regarde toi pass­er  sur ta terre
Les yeux baissés
Et sur la joue le crachat des nations
 

Ils ont faim du soleil
Mais le soleil a faim aussi
(Parole de poète)
Demande-toi où est ton lieu 
Ton seul lieu d’accueil
Tu inven­teras ta terre

 

Lamentin le 29 octo­bre 2006

image_pdfimage_print