Entre telle atteinte de gourme méta­physique, et telle débor­dante d’hubris sous cou­vert d’exercice de l’effacement, on en souhaitait « une » qui ne se lais­sât pas épeur­er par le prosaïque, qui sût ren­dre au quo­ti­di­en tout son appa­rat et son étrangeté, sans souscrip­tion à l’air du temps. Une parole tein­tée de cette sci­ence du « repous­soir », qui par le con­traste (dan­gereux, le con­traste, en poésie), pût ren­dre fuyant les arrière-plans pour mieux en révéler le chitineux. Un regard décen­tré pro­pre à soulever le trophée d’un anec­do­tique devenu pro­pi­tia­toire. Une parole qui se prêtât égale­ment au ric­tus, plus proche de l’humeur que de ce qu’on nomme l’humour. Point rib­aude donc :

 

Le saule penche
Et penche encore
Tou­jours du même côté
Sans jamais se lasser
 

*

 

Paysage à la chaise vide
Des avers­es d’absence sur toute la péninsule
Ren­dront dif­fi­ciles les dernières heures
Il est con­seil­lé de par­tir avant la fin

 

Samuel Dudouit, ce « grand obser­va­teur des qua­tre vents de l’Esprit : le prin­ci­pal rôle qu’on peut tenir sous le dou­ble toit du ciel et de la mai­son frater­nelle », selon Alain Jouf­froy, s’adonne à la man­d­u­ca­tion du réel, mais ne con­tre­vient pas à la sapidité :

 

une tar­tine suiv­ie d’une autre
et un grand bol de chicorée-café
avant le con­trôle d’identité de la salle de bain
et la recon­duite à la fron­tière du travail

 

*

 

Est-ce sur un retable
Ou sur les fresques de ma salle de bain
On voit mes mains courir après un objet
Que l’artiste n’a pas daigné peindre

 

Acous­tique blanche mêlée de terre est con­sti­tué de six « fuites » de poèmes : « Mise à jour des nuits » ; « Auto­por­traits en ondes cour­tes » ; « Mat­inées au pavil­lon des trans­par­ents » ; « Minute entière en sachet » ; « Frère som­meil » et « Bois flot­tés » ; six par­ties dans lesquelles l’ostension des détails et le lan­guide de l’absurde ont des accoin­tances térébrantes :

 

un peu de rigueur
Dans l’équeutage des haricots
Rem­place allègrement 
N’importe quel cours de zazen

 

Un peu d’arythmétique. Rem­plac­er un mot par un autre, et ten­ter de con­serv­er la sig­ni­fi­ca­tion. Ain­si « poésie » pour « lit­téra­ture » dans  la coda de l’essai Qu’est-ce que la lit­téra­ture ? de Jean-Paul Sartre : « Bien sûr, tout cela n’est pas si impor­tant : le monde peut fort bien se pass­er de la poésie. Mais il peut se pass­er de l’homme encore mieux. » Je con­clus volon­tiers, ici, et mal­gré cela, par une exhor­ta­tion péremp­toire : « Il faut lire Samuel Dudouit » :

 

« Les néons des gares routières, les con­gères des park­ings, toutes les sta­tions d’autoroutes, ce sont les chapelles de ta fuite. »

 

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