Agnès Gueuret, Choix de poèmes

2017-12-30T23:54:52+01:00

Fièvres

A nou­veau la torpeur
de la fièvre qui frappe.
  Le gris au fond du ciel.
  Emmi­tou­flée de vent,
  la pluie sur le basalte :
   j’ai fer­mé ma fenêtre.

Par le dedans, écoute
des soubre­sauts du monde
qui cherche à s’évader
des tor­peurs insensées
où s’enlisent les hommes.

Descen­dre au plus profond
en quête de l’issue
vers le souf­fle vital
qui sait drain­er son cours
dans les filons de l’âme
loin des voies en impasse.

Rejoin­dre calme­ment le point où monte en soi
le silence infi­ni d’un amour en travail
plus cer­tain que nos maux, nos essais, nos combats
tan­dis que nous allons sur nos chemins de terre.

 

Jan­vi­er 2014

 

 

Artisan

La mèche fume,
l’âtre rougeoie,
et tout autour le froid,
la neige pelletée
pour fray­er le chemin.

Vie sous la cendre,
sang palpitant
en deçà des blessures,
au-delà des appels
qu’atténue la présence.

Écoute active,
compatissante
sans ôter le tranchant
de la déci­sion ferme
à pren­dre pour renaître.

Sans con­ces­sion
mais en aimant
en appel­er à l’âme,
aux veines très profondes
où la parole invite.

Quand le soir tombe
après l’accueil,
l’étayage sans cesse
repris pierre après pierre,
puisse-t-il se poser

comme il fut dit
qu’aux pre­miers jours 
après avoir œuvré
l’artisan alluma
les lam­pes du sabbat.

Févri­er 2014

 

 

« Saisons » d’après Vivaldi

Cours intem­pes­tif.
Ondes. Vibrations.
L’archet en main droite
mon­tent les aigus,
descen­dent les graves.
Labour de la terre
après l’éclosion
des fleurs sur les arbres :
ain­si des saisons.
Cycles de vie pris
dans l’étau des fins
qui tou­jours s’avancent
pour mieux entrouvrir
la cosse durcie
d’où jail­lit le fruit.

 

Après avoir écouté sur ARTE
une com­po­si­tion moderne,
sorte de traduction
des « Qua­tre saisons » de Vivaldi

Mars 2014

 

 

Où est la source ?

Frondai­son  printanière
des tilleuls près des pins
des cerisiers en fleurs :
préludes du matin.

L’angoisse de la nuit
prég­nante encore en moi
lente­ment se desserre
à respir­er le vent
qui se fraie un passage
au milieu de l’allée
sor­tie il y a peu
du filet des ténèbres.

Dans le parc réveillé
par le chant des oiseaux
qui s’appellent l’un l’autre
sans presque le savoir
ser­pen­tent des sentiers
en mon­tée, en descente,
en courbes ou en droites
croisées ou parallèles.

Les mou­ve­ments du cœur
de joie ou de tristesse,
d’assurance ou de doute,
à ces détours ressemblent,
même si, à la fin,
ils vien­nent s’abimer
au point où la conscience
les reprend en sa main.

Avril 2014
 

Sète

Le ressac sur le sable
Le vent pur de la mer
Les canaux vers l’étang
Les ponts, les quais, les voiles

Le cli­quetis des mâts
Le cri des goélands
Sur la tuile faîtière
marche de tourterelle

Au loin dressées, les lignes
de pêcheurs immobiles
Scin­tille­ments des eaux
au zénith comme au soir

Le ton chan­tant des gens
réper­cuté sur l’eau
Civil­ité, sourire
Douce hospitalité

Au musée Valéry
Miro et ses éclats
de teintes et de lignes
étrange­ment jetés 

Les Alpes à l’orient
les Pyrénées à l’ouest
le Pic Saint Loup au nord,
l’Afrique au sud : estampes

La mer, le cimetière
Sur le toit d’une tombe
le pas d’une  colombe
et le soupir d’un foc

L’iode salée venue
imprégn­er toute chose
aux franges bleues des eaux
tou­jours recommencées.

Octo­bre 2014

 

Noir et blanc

La route où l’an dernier l’on mon­tait aux herbages
Encom­brée de rochers n’offre plus de passage.
La neige du print­emps parsème de cristaux
Les lignes du gran­it cassées, dressées, abruptes.

Au fond de la val­lée, l’écho de l’avalanche
S’est imprimé comme le négatif inscrit
La pho­to qu’il recèle : ils savent au village
Que le sen­tier n’est plus qui les reli­ait aux granges.

Le bâton à la main, cher­chant dans sa mémoire
Les courbes du val­lon, il se tient là debout.
Où décel­er la faille en ce chaos de pierres ?

Un pas de bou­quetin crisse sur le névé.
Sous ses yeux éton­nés passe la harde entière
Qui vient d’écrire en noir le tracé qu’il quêtait.

 

Poème écrit à l’hiver 2000

 

 

Présentation de l’auteur

Agnès Gueuret

Agnès Gueuret, née à Rouen en 1936, par une suite d’empêchements que la vie lui a réservés, est venue tar­di­ve­ment à l’écriture poé­tique. Compt­able et bib­liste, c’est en 2006 qu’elle a pub­lié aux Edi­tions du Cor­ri­dor bleu son pre­mier ouvrage pure­ment lit­téraire ; qua­tre autres recueils ont suivi,  cha­cun inspiré par l’écoute des textes bibliques et de notre quo­ti­di­en. Elle par­ticipe régulière­ment à un ate­lier d’écriture où elle puise d’autres thèmes et tonal­ités prop­ices à délivr­er le chant qui l’habite.  

Agnès Gueuret
  • Le Pas du temps  Ora­to­rio selon Luc 2006
  • Sur les Sen­tiers de Qohéleth Palimpses­tes 2007
  •  Souf­fles Lec­tures d’Actes d’apôtre 2009
  • D’un âge à l’autre Généalo­gies 2012
  • L’ombre du jour Au pré­texte d’Osée 2013

Est sous presse pour paru­tion fin novembre :

  •  Sous le figu­ier A l’écoute de psaumes

Et en préparation :

  • Irré­sistible force Les jougs de Jérémie
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