Il y a tant de manières de définir la poésie. A son petit-fils de 10 ans qui lui posait la ques­tion, Claude Vigée répon­dit. « Pour moi, la poésie, c’est la pos­si­bil­ité d’exprimer avec des rythmes et des sons ce que je pense et ce que je vis au plus pro­fond de moi-même » (La dou­ble voix, édi­tions Parole et Silence). Pour Max Jacob, s’adressant à René Guy Cadou, « le lan­gage du poème est le lan­gage ému de la mère à l’enfant, etc. le reste est prose » (Esthé­tique, édi­tions Joca Seria). Et que dire de Denise Le Dan­tec par­lant de la poésie comme d’une réponse à son « inquié­tude » fon­cière et à ses « fragilités » (Cam­pagnes heureuses, édi­tions Paroles d’Aube)

     Dans un livre à deux voix, sous le titre Dans le jardin obscur, Alain Duault et Monique W. Labidoire livrent aujourd’hui leur pro­pre vision. « Etre poète, dit le pre­mier, c’est regarder le monde avec des mots. C’est être con­stam­ment sur le qui-vive », car « tout poème est une manière d’affronter nu l’obscurité ques­tion­nante ». Pour son inter­loc­tutrice, « la poésie est par­tie liée avec les valeurs que nous don­nons à notre exis­tence. La vie, la mort, le temps, l’espace, la vérité, la jus­tice, l’amour, la nature, la dénon­ci­a­tion des grands maux ».

     Les deux auteurs – poètes eux-mêmes – ont une approche de la poésie qui flirte avec les grands thèmes de la philoso­phie comme le beau et le mal. Alain Duault y revient sou­vent, lui que le « grand pub­lic » con­naît surtout pour ses inter­ven­tions sur la musique à la radio ou à la télévi­sion. Monique W.Labidoire, elle, pro­fondé­ment mar­quée par l’œuvre de Guille­vic, con­sid­ère que la poésie « inter­roge sa pro­pre incer­ti­tude, son incon­nais­sance et ne pré­tend pas oblig­a­toire­ment une réponse ». Et de citer ces trois vers du poète bre­ton extraits de Paroi : « Essayer/D’être la question/Qui s’accepte indemne de réponse ». Plus loin, prenant appui sur Les charniers de Guille­vic et faisant référence à Celan, Lévi, Sem­prun et Desnos, qui ont « vécu l’impensable mais réelle expéri­ence des camps », elle peut dire, à leur suite, que « la poésie et la vie sont indis­so­cia­bles de l’espérance, et donc d’une cer­taine beauté ».

      Alain Duault n’est pas en reste. « La beauté ne peut nous faire oubli­er le trag­ique et l’éternel qui se côtoient en nous », affirme-t-il. Avec en écho cette phrase de François Cheng qu’il cite : « Chaque artiste devrait accom­plir la mis­sion assignée par Dante : explor­er à la fois l’enfer et le par­adis ». Alain Duault et Monique W.Labidoire s’y emploient cha­cun à leur manière dans des poèmes qui ponctuent leur livre d’entretien. « La poésie doit la vérité au monde obscur c’est/un voyage/d’hiver une pluie sur l’ombre acide et une/ligne de colère » (Alain Duault)

 Cette libre con­ver­sa­tion sur la poésie répond d’abord, on le voit, à un pro­fond désir d’élucidation du monde. Et à la ques­tion d’Holderlin qui tra­verse au fond ce livre (« Pourquoi des poètes en temps de détresse ? »), il y a cette réponse d’Alain Duault : « Il faut des poètes pour renouer les fils, rabouter les câbles, tout ce qui éclaire l’intérieur de nous-mêmes, tout ce qui noue la langue au réel, tout ce qui nous donne des raisons d’exister, des raisons d’être ».

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