Alain Rous­sel est un enchanteur onirique, exhaus­teur d’imag­i­na­tion comme on par­le d’ex­haus­teur de goût, de ces allumeurs d’u­nivers qui mar­quent dès la pre­mière lec­ture. Mais c’est aus­si un racon­teur qui sait manier le style et les mots du poète. Son dernier livre Le Labyrinthe des Singes n’est pas à pro­pre­ment par­ler de la poésie mais comme sou­vent dans sa col­lec­tion « piqué d’étoiles » qu’il dirige pour les édi­tions Apogée, Jacques Josse aime à y pub­li­er des auteurs qui ont la poésie en eux. D’ailleurs, un roman dont le pre­mier chapitre s’intitule « un coup de dés » n’est for­cé­ment pas loin de la poésie. Et ce livre, avec ce mélange d’humour et de poésie, et la même effer­ves­cence des mots, ne nous fait pas regret­ter le choix d’Alain Rous­sel d’avoir eu recours au roman et non au poème. Et puis, quelle bonne sur­prise ces brèves appari­tions de Joë Bous­quet, Hen­ri Michaux et Petr Král !

Ce labyrinthe, pub­lié donc par Apogée, est en fait un dédale jouis­sif, une autoroute pour le non-sens féérique à la Charles Dodg­son, comme une nou­velle ver­sion d’une Alice qui aurait ren­con­tré Ben­jamin Péret, le Petit Rap­por­teur et Mar­cel Proust, Dès le pre­mier chapitre on décou­vre immé­di­ate­ment Alain Rous­sel, comme un bous­culeur d’horizons, un aven­turi­er de la réal­ité en porte à faux. Et le plaisir qu’il a eu à écrire ce roman transparait bien vite à la lec­ture pour notre plus grand régal.

Roman onirique, his­toire fab­uleuse (au sens pre­mier et non pas au sens dévoyé util­isé sou­vent actuelle­ment) au style ample où les phras­es s’allongent pour le plaisir d’en pro­longer la dégustation

 

La faune locale, très servi­able, appor­tait à l’homme un sou­tien non nég­lige­able dans la réso­lu­tion des prob­lèmes courants et l’exercice des tâch­es sub­al­ternes. Ain­si les araignées con­fec­tion­naient-elles de superbes robes, des bas de soie, des pan­talons, des jupes, des jupons et des gilets de flanelle dont on van­tait à mille lieues à la ronde l’élégance et la solid­ité. Cer­tains arbres, dont on avait mod­i­fié à par­tir de la graine le code géné­tique, pous­saient directe­ment en forme de maisons, ce qui sim­pli­fi­ait con­sid­érable­ment le tra­vail de con­struc­tion, mais don­nait sou­vent aux vil­lages une apparence bis­cor­nue où le sens pra­tique fai­sait par­ti­c­ulière­ment défaut.

 

Dans une tav­erne d’improbables fli­bustiers « au ren­dez-vous des naufragés », six per­son­nages, les « marins de l’apocalypse » se présen­tent à nous : Jim Malé­fice, dresseur de hibou, « dégus­ta­teur de bave de cra­paud mélangée à la bière », Archibald le magi­cien dit « calamité par­lante » avec sur l’épaule son per­ro­quet bavard et amoureux de la belle Mélu­sine, Chin­gach­gook dit le dernier des Mohi­cans revenu de son île déserte, Thomas qui doute de tout et lutte con­tre cette malé­dic­tion en doutant de son doute, Mer­cu­rio le « fort en tout », Mime­sis, sosie, imi­ta­teur en tous gen­res spé­cial­isé dans les sosies de « dic­ta­teurs prévoy­ants et dans le rem­place­ment de maris en fuite »,  celui qui bébé, « imi­tait par­faite­ment son berceau » et qui vit comme un drame son inca­pac­ité à « s’imiter lui-même.

Ces six per­son­nages, syn­thèse de toutes les mytholo­gies, vont par­tir à la recherche d’un improb­a­ble tré­sor et ren­con­treront le dénom­mé Alu­mini­um Rous­sette qui se présente en maître dis­posant des per­son­nages comme de ses créa­tures. Per­son­nage en qui l’auteur trans­fère beau­coup de lui-même et en par­ti­c­uli­er sa vision du Ray­mondin de Mélu­sine. Ce tré­sor ne serait-il pas la pierre d’alun angu­laire et néan­moins philosophale de l’auteur lui-même, pierre à rechercher peut-être du côté d’Agartha ?

Dans un flam­boiement fab­uleux, avec aucune lim­ite dans l’inexpliqué, l’imagination d’Alain Rous­sel nous propose :

  • des araignées qui con­fec­tion­nent « des pan­talons, des jupes, des jupons et des gilets de flanelle »,
  • des crabes scribes et vice versa,
  • des couleurs qui n’en sont pas,
  • des marées ter­ri­ennes où l’attraction de la lune tan­tôt soulève les mon­tagnes tan­tôt les enfonce,
  • un oiseau de voyelles qui a per­du son S et qui trou­ve sa place dans une genèse revis­itée avec Adam, Eve, le ser­pent et la pomme.

 

Mais ce labyrinthe bien nom­mé brouille les pistes et de féérie le roman passe ensuite par un style plus clas­sique, mais tou­jours aus­si savoureux :

 

Par­mi toute cette foule pressée qui s’engouffrait dans des auto­mo­biles ou se dis­per­sait par les rues avoisi­nantes, tu traquais sur les vis­ages la mar­que d’un dieu errant qui ne se man­i­fes­tait presque jamais, mais c’était surtout les femmes qui t’attiraient, comme si tu pressen­tais en elles la pos­si­bil­ité d’un voy­age plus exci­tant encore vers un pays, pour toi à cette époque, encore en friche. Tu en choi­sis­sais une, cher­chais à crois­er son regard, et, tan­dis qu’elle s’éloignait cru­elle­ment, indif­férente et dés­in­volte, tu la suiv­ais des yeux, ressen­tant une joie intense et sauvage, mêlée à un sen­ti­ment indéfiniss­able qui te met­tait le rouge aux joues. Puis le livre ouvert de la vie se refer­mait dès le pre­mier tour­nant der­rière lequel elle dis­parais­sait, t’abandonnant à la mélancolie. 

 

Autour du rap­port entre l’auteur et ses per­son­nages, Alain Rous­sel nous con­fie son humour comme fil d’Ariane dans cette déam­bu­la­tion labyrinthique et son imag­i­na­tion comme moyen de trans­port. Il nous pro­pose le rêve insen­sé comme miroir de nos pro­pres ver­tiges. Ici les mythes sont revis­ités par de nom­breux intrus. .Mais les qual­ités d’écriture de ce livre devraient plaire aux pas­sion­nés du style et je vous invite à plonger sere­ine­ment dans ce labyrinthe.

A vous qui gardez cette soif de songe qui remonte à votre enfance, qui cherchez des péré­gri­na­tions plus jouis­sives que ces voy­ages élec­tron­iques du monde actuel, qui appré­ciez la lit­téra­ture avec de grandes ailes, n’hésitez pas à accueil­lir ces vis­i­teurs ver­tig­ineux sor­tis de ce labyrinthe du singe. Vous vous sou­vien­drez de ce voyage.

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