Alber­tine Benedet­to signe son 9ème recueil, Le Présent des bêtes aux Edi­tions Al Man­ar accom­pa­g­né des dessins d’Henri Baviera.

Si cet opus com­porte trois par­ties (la dernière ayant don­né son nom à l’ensemble) nous faisant pass­er de l’humain, aux paysages et aux bêtes, Alber­tine nous con­duit de bout en bout de la vie, à la vie, à la vie.

Dans cette suite, le titre placé à la fin de chaque poème est comme une clé accrochée en cas de besoin, par­fois comme le nom d’une amie sur l’enveloppe du cadeau offert, et ce peut être aus­si la date ou le lieu épinglé sur le cal­en­dri­er du souvenir.

La langue belle, ciselée, tisse une prose dense et poé­tique, mesurée au sens où rien n’est à enlever, rien à ajouter, notes pré­cieuses de car­net, bijoux ser­tis pour durer.

Et cette belle langue que par­le Alber­tine Benedet­to nous par­le. Elle nous plonge d’emblée dans un univers qui con­jugue le passé au présent.

Les blous­es ménagères font la queue sur leurs cin­tres à fleurs et à car­reaux criards. […]

Quand ça traîne trop les années…

Ain­si com­mence le recueil dans sa par­tie inti­t­ulée « Images » où se mêlent les temps, les âges ; usure des corps mais aus­si fringance des sens puisque Leurs mots glis­sent se chu­chotent à même la peau.

L’œil d’Albertine se pose avec affec­tion sur ces femmes sim­ples qui tra­versent les épo­ques entre labeur mais aus­si légèreté quand elles entrent soudain dans une eau vive et qu’assises elles s’en vont.

Se pose et se sou­vient des cortèges au cimetière où l’émotion en foule se masse et s’engage par la colonne d’air venant du ven­tre encore une fois jusqu’au puits de la bouche.

Mais cela n’est pas triste à cause des oiseaux et des fleurs nous dit-elle.

Dans le compte à rebours de son écri­t­ure, elle peint sous nos yeux un drame, un con­te, un mythe, une vie de la Vierge, un tableau à la Breughel où l’on voit comme si on y était au cen­tre la tache du pré qui grouille d’enfants semés en parterre. Car Alber­tine est restée proche de l’enfance et c’est la mère sans nul doute qui par­le de l’Ogre Bachar, ogre(s) moderne(s) qui dépèce(nt) les enfants à la pre­mière page du jour­nal. La mère qui appelle au sec­ours des inno­cents, le génie des con­tes per­sans du temps où ils nous fai­saient encore rêver.

Et puis il y a « ce qui reste », le dernier souf­fle bien­tôt coupé, la pho­to qui racon­te une his­toire anci­enne, les poupées Bar­bie jetées en vrac sur le sol, les vieux murs reliés encore aux bruisse­ments de la forêt, une odeur de tilleul qui court le long des pages, une vieille mai­son, même si on ne sait rien de ceux qui ont vécu là, juste qu’ils ont vécu, mais vivre est une énigme nous rap­pelle la poète qui se sou­vient, témoigne de ceux qu’elle a côtoyés, s’aventure à imag­in­er aus­si en avouant que peut-être auri­ons-nous moins peur, de vivre là.

Il y a ce qui reste et dont nous faisons pro­vi­sion comme tout ce vert bu par les yeux, mis en mémoire pour les jours de car­ton.

Les ves­tiges jusqu’au ver­tige et c’est la vie à petits tas qu’on pousse devant soi. 

Enfin, « le présent des bêtes » nous dit que nous ne faisons qu’un avec cette nature si belle que la poète ne se lasse pas de con­tem­pler : paysages d’Auvergne, douceur des vieux vol­cans, humil­ité des bêtes au jardin, placid­ité des ruminants.

À les regarder, on prend racine, on sent le pouls réguli­er des saisons, le temps se fait rond, nous dit Alber­tine Benedet­to qui nous invite à sa suite à aigu­is­er notre regard, retrou­ver la capac­ité d’émerveillement de l’enfance. Nous n’avons qu’une envie, avoir nous aus­si, le cœur décroché devant la mer­veille, pris de court comme devant le pre­mier amour. Il a suf­fi que ces bêtes passent, nous dit-elle en évo­quant ces bêtes légères. Chevreuil, peut-être biche, […] pour que s’ouvrent des clair­ières dans leur sil­lage, des puits de lumière où boivent nos yeux, fatigués de couper les ténèbres.

Il ne faut pas oubli­er les oiseaux, c’est la plus belle phrase du matin, comme une parole ten­dre, une caresse de mots pour les êtres menus, ces dému­nis qui vaguent ébou­rif­fés, dépe­nail­lés, entre ciel et terre, aiman­tés par la lumière. Qu’ils touchent notre front et les fenêtres s’ouvrent.

À l’instar des oiseaux, la poésie d’Albertine Benedet­to ouvre pour nous des fenêtres. Il y a une sorte de grâce dans son écri­t­ure, légère et pro­fonde à la fois. À petits pas, sim­ple­ment, elle nous prend par la main, nous invite à nous réap­pro­prier le passé pour un présent plus vrai, à nous nour­rir de l’esprit des lieux pour y ajouter notre empreinte, à ouvrir grands les yeux sur la beauté du monde pour en sup­port­er la noirceur.

 

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