dans le silence seul
je découvre
que Tu résonnes

Arman­do ROJAS GUARDIA

I

Impos­si­ble de bâil­lon­ner le cœur
qui au bout du compte par­le toujours.
Ta voix brûle dès qu’arrive le silence.

*

Tout a du sens
tout est calme
quand je bois l’eau de mon fleuve.

*

Mon dos con­tre le dos du mur
le dos de la ques­tion con­tre le dos de dieu.
Alors
regarder vers le dedans
naître.

*

Les chiens aboient dans la nuit noire
ils flairent ta présence silencieuse
ils courent affolés de part et d’autre
et soudain se taisent et tout devient muet
et les chiens de l’âme rumi­nent le silence
ils mor­dent le mutisme noc­turne avec rage
parce que mon flair sent ta présence
ta présence qui passe et ne reste pas.

*

Les nuages passent comme des navires
les nuages passent libres et agités.
Bon­heur d’être poussés par bonheur.
Vent obscur
très lente lumière
solid­ité de l’eau.

*
 

La ficelle jaune de la clé était sus­pendue à la porte
lorsque j’ai fer­mé les yeux, les oiseaux chan­taient dans un bois
où l’unique grav­ité était tournée vers le haut.

*

Midi de la satiété que la nuit
car la soif est comme le soleil
qui s’éteint et s’allume
et jamais ne s’apaise.
Pourquoi ne pas brûler sans plus et pour toujours ?
Braise mouil­lée de l’âme à demi allumée.
 

*

Lorsqu’il embrase, il embrasse.

*

Tristesse d’un après-midi de dimanche
douceur de la brise et des oiseaux
douceur de la juteuse herbe fraîche
lenteur et silence des nuages.
Tout l’après-midi est absence
car ta voix n’a pas encore parlé
et l’attente est aus­si triste
qu’un train qui s’éloigne.

*

Quand tu n’es pas là
je veux boire sur n’importe quelle lèvre
mais il n’est pour moi de lèvres que les miennes.
Quand tu n’es pas là
ma soif sort te chercher
elle reni­fle dans le désert

*

Rem­plie de plantes cette maison
dans la joie sere­ine de la verdure
qui rend grâce à la pluie tropicale
avec des éclats de couleurs
par tous les coins de pièce.
Et moi tou­jours assoif­fé de ton corps
avec l’hymen intact de mes yeux
sans pou­voir encore pénétrer
sans pou­voir célébrer
l’insaisissable orgasme du monde.

*

Tu es passé dans l’après-midi
le mur­mure des feuilles le dit
les moineaux dans leurs nids le disent
et le doux ada­gio de l’herbe et du vent.
Tu es passé dans l’après-midi sans rester.
Tu es passé dans l’après-midi et cela suffit.

*

Éteintes, asséchées, mortes
les étoiles bril­lent encore.
Elles sont les os de dieu.

*

L’âme est un oiseau sans ailes
lorsqu’elle chante
toutes les choses peu­vent s’élever.

II

L’exil n’existe pas
l’exil c’est moi
quit­tant tou­jours le lieu d’où je ne suis pas parti.
 

*

Les eaux du névé descendent
et vien­nent jusqu’à moi dans leur silence.
Elles vien­nent la nuit
pour brûler la soif
pour con­tin­uer à courir au plus profond.

*

Comme le soleil
l’eau nomme les choses sans les nommer
sa silen­cieuse voix
est un bap­tême du monde.

*

La rigole mouille la verte lèvre de la forêt
et les fleurs sylvestres se mul­ti­plient par milliers.
Labyrinthe sans aucun cen­tre que l’épaisseur.
La beauté guette de toutes parts.

*

Les paupières s’en sont allées avec le soir
et un crépite­ment d’oiseaux fleu­rit dans les pupilles.
Le calme pleut goutte à goutte.

*

Je sens ta brûlure d’oiseau dans le soir.
Tu fuis vers moi
comme la soif qui décide
de revenir.

*

C’est une drôle de pierre que le cœur
même ta voix par moments ne le sup­porte pas.

*

Offer­toire craquant au milieu de la nuit
ce pau­vre scarabée pattes en l’air
en un mou­ve­ment con­tin­uel, inutile.
Ain­si mon cœur fai­sait des tours
sans avancer d’un seul pas.
Soudain ta main me retourna
et tel Adam je suis allé me cacher par­mi les plantes.
 

*

Vient la nuit vir­ginale, intacte
touchant presque le bord de l’âme
voulant presque dire son silence
dans le loin­tain gémisse­ment d’un grillon.

*

Par l’égout
toute l’eau s’en est allée.
La baignoire
est restée vide.
Ain­si mon âme
dès que tu es parti.

*

La pluie douce
comme la venue d’agneaux si blancs.
À nou­veau ta manière, ta façon de faire
et l’animal qui habite au fond de moi
(le buf­fle, le tau­reau, le minotaure)
s’agenouille à nou­veau devant cette pluie.

*

Comme l’écureuil dans la forêt
appa­raît et disparaît
ain­si ta chaleur.

*

Le buis­son brûle, brûle depuis toujours
mais il brûle sans lumière, sans chaleur
sans feu.
Tu étais déjà dedans
tu ne t’étais jamais en allé.

*

À présent la grâce de l’écureuil
se retrou­ve partout :
pluie, pétales
plantes, nuages
insectes et semences.
À présent le monde entier
est un accord clair.
À présent je suis joué dans cette musique.

 

 

The silence when I hold you to my chest
Bil­ly Collins

 

J’ai cher­ché la soif dans les seules flaques
sans con­naître la saveur ce que je buvais
des eaux sans soleil pour les os secs
où la langue goûte l’abandon.
Ta nudité survint comme la rose
ce fut la lumière sur mes doigts et sur ton dos.
À tant appel­er l’amour, l’amour est venu.
Un rai de soleil sur tant d’ombre.

(à Jaqui)
 

 

Tra­duc­tion, Yves Roullière

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