Si je te fuis,
Tu viens à moi.
Si je me perds,
Toi, je te trouve
Eck­hart

 

damour lassée
dev­enue sauvage
j’avais quit­té
toute dif­férence
je résis­tais en moi seule
ment ne voulais plus
me lier à quelque
mode d’être j’étais
libre sus­pendue à
rien qui vogue
dans mes yeux rendue
à moi sans
parole ni trouble
dans la paix mes sens
avaient dis­paru à peine
le sou­venir m’en venait
mon cœur était sor­ti dans
moi-même
            *

en toi né
quand tu
apparus j’ai
com­mencé sans
ton regard
la terre était
morte je ne savais
pas avant
que tu lances
sur moi la lumière
de ton regard et encore
tu me voy­ais avant
à ton insu
que je te voie

flo­rai­son comme
la feuille inconcevablement
transmuée
en pétale
mais il n’a pas
suffi

que je naisse
en toi a levé
la fureur d’un
désir tel qu’il
fal­lait que tu
naiss­es en moi
je ne pouvais
rester ta créature
sans te créer

je désir­ais
te faire
celle qui m’avait
fait à ton insu
que tu sois celle
que tu étais
        *

quand je t’ai
vu tu es né
en moi quand tu fus
en moi j’ai voulu
naître en toi
que tu m’inventes
            *

 

Tu me regardes dans
cette lumière je
me vois nouveau
dans ton amour je
suis tel que tu
me vois acceptant
ton regard je deviens
mon autre
       *

 

en‑deçà de notre
ren­con­tre au-delà
de ton regard
sur le mien en dedans
de ma peau
sur la tienne au-dessus
de mots de l’un
à l’autre caressés
le com­mence­ment nous
porte
              *

 

chaque fois désert
jamais la voix
n’y est allée
per­son­ne ne sait
en toi si haut profond
proche à venir
jamais présent
          *

 

à la ren­con­tre au-delà
du corps est
la voix lieu
sans lieu au commencement

des com­mence­ments
chercher la naissance
dans la voix de la nuit
du corps
             *

la douceur a suffi
m’a tiré hors
de moi-même comme un accord
de par­fums autour
de toi

et toutes tes odeurs
dev­in­rent des plus sales
aux raffinées
par­fum m’emplissant
de toi aspiration
après aspi­ra­tion m’approchant
de l’infini
de ton odeur
et je la respir­erais toute
que je serais
dans ton être
         *

ce lieu gravide
immo­bile ton
chemin à la nuit
m’entraîne sans limite
je m’étends
         *

 

fais de moi
comme tu veux
entre et sors
puise en moi
où je ne sais
au vide en moi

si je te fuis
viens à moi
perds-moi en moi
que je te trouve
         *

 
          

l’amour appelle
un autre amour
au cœur j’ouvre
le fleuve

nous qui avions
voulu
pren­dre l’autre en
amour nous voilà
déportés

       *  

de nous le fleuve
du feu aux deux
com­mun le sexe
coule insé­para­ble
la voix où
      *

 

du troisième la bouche
au fond sans fond
en toi s’ouvrant
nous allons au merveilleux
jaillissement
retournés nous sommes
immobiles
au commencement
           *

 

de nous deux
naît
un troisième
d’amour le feu
en un nous fond
           *

de nos corps la boucle
ter­ri­ble autour
règne sans fond
per­dus sans forme ni lieu
l’anneau mer­veilleux
nous jail­lis­sons sans
source
           *

 

 

Avant je ne voulais rien
car je ne désir­ais rien
d’autre que moi
j’étais pour moi
heureux d’être
ce que j’étais
en moi je me suffisais

mais lorsque je te rencontrai
je décidai de sor­tir de moi
alors je ne me suff­is plus
je fus pour toi
et je désirais
que tu fus pour moi
que tu ne te suff­is­es plus
je voulais que tu tombes dans mon regard
que tu n’existes pas sans moi
comme je n’existais plus sans toi
t’aimant
je voulais ta mort en moi

or si je te veux
je ne peux pas t’avoir
car si je veux que tu existes en moi
alors tu n’es pas

pour que tu sois en moi
il faut que tu sois
pour que tu sois il faut
que je ne te veuille pas
que je sacrifie
mon désir de toi
alors je te perds
sans me suffire

et je te trouve
si tu le veux

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