Un vol­ume de poésies-textes, non ver­si­fiées, sou­vent à voca­tion méta-poé­tique, qui s’interrogent sur ce qu’est écrire, ce que sont les con­di­tions d’émergence et de for­mu­la­tion d’un poème. Comme de la vie, de l’existence, de la con­science de soi. Dans la grande tra­di­tion des poèmes qui énon­cent (ou cherchent) les principes de « l’Art poétique ».

« Un poème peut n’écrire que pour la forme. » (p. 87)

« Tel poème peut se con­tenter de son argu­ment, de même que peut se suf­fire le souhait d’une vie autre ou d’un ailleurs. » (p. 95)

« Il arrive qu’un poème, encore non écrit, flotte près de la berge d’un étang sur des nénuphars. Le vert lui va bien. L’eau ne lui fait pas peur. […] Gardé par un secret qui ne sera pas dit, le poème non écrit pour­rait rester là par­mi les grenouilles, échap­pant par ce mir­a­cle aux affres de la page blanche. » (p. 54)

« Ce qui manque aux pre­miers jours de la vie c’est un Tout. Ce qui manque aux derniers jours de la vie c’est le Rien. […] Il suf­fi­rait de peu pour combler les creux, gom­mer les reliefs, mais l’Histoire se pour­suit, ici de gauche à droite, là-bas de droite à gauche. Et aus­si ver­ti­cale­ment, de haut en bas. » (p. 31)

En même temps, il sem­ble y avoir là un principe d’itinéraire. Est-il pro­gram­mé, est-il sim­ple­ment accom­pli ? Nar­ré à la façon lim­ite de ces textes qui sont entre poème et réc­it, en tout cas. Et nar­ré de façon plus « jux­ta­posante » que liante, car ces textes ne sont ni des chapitres ni des jalons mar­qués comme tels pour le lecteur, comme des poteaux col­orés qui mar­queraient le chemin pour tra­vers­er un champ de neige ou un marécage brumeux. Mais ce sont les textes cha­cun pour soi, qui adoptent le mode narratif.

« Ils restaient sur le seuil de la mai­son d’été jusqu’à la nuit tombante. » (p. 42)

« Et le voy­age se pour­suit comme entre chien et lou­ve, mais tu ne sais que faire de pau­vres lam­beaux rapiécés. » (p. 43)

Si la « recom­po­si­tion » fait explicite­ment référence à la « décom­po­si­tion » ana­ly­tique du moi menée par Cio­ran, c’est sans doute davan­tage, pour le style et peut-être la philoso­phie du monde, du côté de Hen­ri Michaux que le lecteur pour­ra chercher fil­i­a­tion, plaisir, par­fum et sens. L’insolite nar­ratif dis­cret, l’onirisme léger de qui s’étonne plutôt que la recherche spec­tac­u­laire de l’haltérophile sur­réal­isant : dans la lignée de Garabagne ou du Bar­bare en Asie. Ce qui ne veut pas dire qu’il y a tou­jours légèreté textuelle dans l’accumulation des phras­es : suiv­re le chemin de l’exploration intu­itive n’est pas tou­jours aisé, on le sait ; s’expliquer quand on ne sait pas déjà, qui est une des charges du poète, ne per­met pas tou­jours d’éviter l’empâtement du style. Mais cela-même témoigne de l’effort, et le lecteur aus­si doit faire cet effort. Le lecteur sera plutôt celui du jour­nal intime que du texte automa­tique de l’inconscient, dont on ne ramassera que les per­les. Textes pas tou­jours facile à lire, donc, car tout est à lire.

Mais par­fois si. Il y a en tout cas des choses très belles.

Par­fois dans le dia­logue avec l’âme (JE et TU).

Par­fois dans le trou­ble inquié­tant, vio­lent, inter­dit, des corps et des bes­tial­ités humaines … mais il est ani­mé d’un pos­si­ble mou­ve­ment rédempteur :

« LA MAIN DU CHASSEUR. Pris au piège les mots se couchent. On pour­rait les croire con­sen­tants, mais non ! ils se débat­tent. La main du chas­seur étran­gle sa proie. […] Aimer ce que l’on peut tuer ren­verse la sit­u­a­tion. » (p. 80)

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