le matin froid offre sous les pas
une page vierge prête à écrire
du vélin pur né de la nuit
s’offre à des mots en espoir d’assemblage
nourris d’une froidure
propice à la vigueur des sens
ils sourdent au rythme du gel
lent autant que celui d’une milonga
cette mince couche d’utopie
dissimule le monde réel
a première vue on y pourrait vivre heureux
comme ces gens qui tiennent le haut du pavé
sous leur talon de fer
la neige enferme des blocs de mots durs
les lève-tôt tous anonymes
ont inscrit leur signature dans la neige fraîche
leurs pieds allant de pair
tracent des rimes en rythme égal
semailles d’hiver pour un brillant germinal
alors que le jour est encore à poindre
le poète commence son dur labeur
aux commandes de son tractopelle
il ramasse les vers épars
indifféremment
moût à verser
dans l’alambic de son esprit frondeur
au bout du petit matin
il griffe la couche de lin frais
y traque l’ordure
détecte la graine en devenir
le long cheminement commence
pour extraire du misérable
le sublime
rendre l’infâme accessible à l’esprit
sans souci du quand-rimera-t-on
il dévoilera les germes de révolte
larme gelée d’un mort de froid
goutte de parfum d’émois dans un lit tiède
perle de sueur froide d’un nanti
pensant à son au-delà
la vilenie sous le satin d’une élégante
des bourgeons du poète
éclateront des fleurs de garance
que cueilleront les humbles
pour en faire leur cocarde
et marcher sur les intarissables regains
de nouvelles bastilles
ainsi naît le poème recueilli dans la rue
si par une nuit d’hiver un voyageur …
il saura que le temps est un leurre
fait de mémoires raboutées
oublis inlassablement reconstruits
par les ouvriers des mots publics