Dans un cou­vent fran­cis­cain déserté, qui abrite une cinquan­taine de fresques, au vil­lage de Saorge, dans l’ancien comté de Nice

 

Emprun­tant le sen­tier du Père Mathias
On grimpe jusqu’au cou­vent déserté
En bas les vil­la­geois enten­dent encore
Chanter les robes brunes dans les rou­cailles et les ruelles

L’église et le cloître sont gais comme des enfants
Partout des mains
Des mains offertes des mains ouvertes
Sculp­tées en chêne et en noyer
Peintes sur les fresques délavées
Qui reçoivent les stig­mates de François

Et notre peau au creux des mains fourmille
Devant ces stig­mates que l’on voit
Et ceux qu’on ne voit pas
Qui ne se savent pas
Dans l’anonymat des villes

***

Les grandes fresques aux mem­bres disjoints
Par­courent l’invisible de notre mémoire

L’un a per­du le visage
L’autre la main
Il ne reste qu’une courbe de chevelure
Un ovale indistinct
Qui s’enfuit dans la nuit
Comme nous, décomposé

***

Nous sommes sem­blables aux lam­beaux de fresque
En l’absence de la main qui rassemble
Vie désunie
Mort incertaine
Les fresques per­dent par­fois leurs motifs
Mais le sang de la terre chauffe les ocres à vif
Un car­ré rouge brique
Vieil or ou vert tendre
Au jour nou­veau de la vie
Avant le caveau de terre brune

***

La mon­tagne entre au couvent
Vis­i­teuse fidèle
Et se couche à nos pieds
Comme une lou­ve esseulée

***

La cloche sonne au village

ce n’est pas le bat­te­ment d’aile qui se perd dans le vent
ce n’est pas le poids cadencé de l’horloge du clocher
c’est la main de l’homme qui con­duit la cloche
on dirait qu’il la retient

la cloche sonne long
la cloche sonne triste
des petits coups discrets
descen­dent en terre
des petits coups plaintifs
réguliers
puis le silence

On entend seule­ment l’eau qui court sur la pierre
et la fontaine qui ruisselle

***

Minus­cules sous la voûte
De l’ancienne église des Péni­tents noirs
Les veuves du village
Recousent leurs souvenirs
Dans l’atelier des poupées et des santons

Dans le geste le chas de l’aiguille le dé
Dans le jupon blanc ajusté à la poupée de cire
Dans le col noir redressé du man­teau de berger
Le vil­lage s’anime

Et l’on se prend à rêver que tout s’endorme
Par un sort jeté
Et qu’on se réveille avant la guerre
Quand les filles cou­saient les robes pour plaire à leur futur mari
Ou dan­saient en jupons sur les chan­sons en dialecte piémontais.
 

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