Rim­bal­dien. Com­ment puis-je dire de ce livre qui m’a coupé le souf­fle, qu’il est rim­bal­dien, moi qui n’aime que mod­éré­ment Rim­baud ? Moi qui n’aime du jeune Arthur que ce qui échappe à son mythe ? Moi qui m’intéresse peu à l’usage bour­geois qu’on a fait de sa révolte ? Rim­baud est un peu la bouteille à encre d’une cer­taine cri­tique poé­tique. Plus com­men­tées que lues, ses ful­gu­rances demeurent sans égales. Je les croy­ais sans réel avenir, mais j’ai lu Olivi­er Deschizeaux, un poète que je décou­vre avec ce livre, bien qu’il ait déjà env­i­ron dix titres à son actif.

Rim­baud crache son encre et puis s’en va. Il se tait. Deschizeaux, lui, con­tin­ue. Je ne dis pas cela seule­ment pour avoir déniché dans son livre une para­phrase : « tu assieds la folie sur tes genoux », écrit mon poète (p. 11), quand son devanci­er, lui, se tar­guait d’avoir reçu la beauté en son sein. La beauté rim­bal­di­enne et la folie d’Olivier Deschizeaux con­stituent une syn­onymie par­faite. On doit cette révéla­tion à Olivier.

Deschizeaux écrit avec économie des petits textes ramassés, ser­rés comme des pavés de prose. Ce que Rim­baud n’a pas pu accom­plir, je veux dire : la durée, Deschizeaux s’y emploie : « Tu n’es que l’engrais de l’encre bleue », écrit-il (p. 13) et tout ce qu’on va lire ici : des blocs de pros­es dis­posés un ou deux par page per­sévère dans le trou­ble et la net­teté des poèmes vrais. L’écriture fait mon­ter à la vie le poète ; elle est son engrais… Tout ce qu’on va lire court un risque que le Mosan de Charleville n’a pu ou voulu ou su encourir. Le risque même de la durée, et dur­er dans une cer­taine déraison.

Un ton emporte ces poèmes. Coulés de la lave d’un vol­can de vivre, ils empor­tent tout ensem­ble bizarreries et net­teté. Ce que Deschizeaux demande à son lecteur est à la fois impos­si­ble et fon­da­teur. Car il l’invite bel et bien à demeur­er avec lui au seuil de la nuit, tout en con­tin­u­ant de balis­er ce seuil d’inévitables per­cées dans l’inouï, dans l’impossible, dans le raté du sens.

Et voilà la grandeur d’un petit livre de poèmes. Olivi­er reçoit la folie. Il ne se l’approprie pas. Par l’indicible beauté de sa prosodie – ô com­bi­en riche et belle – il la partage. Son « christ », très présent et minus­cule vous gagne. Le christ des bras ouverts et de la croix saig­nante, qui cherche à hurler dans le silence de la mort (de la nuit), une sorte d’après pour­tant inaccessible.

Les poèmes d’Olivier Deschizeaux ne sont pas beaux par con­so­la­tion. Ils sont pure­ment beaux sans autre rai­son que la beauté et cette beauté fait vio­lence au dés­espoir. Pour annon­cer quoi ? Si la beauté s’énonçait elle-même on par­lerait d’esthétisme. Pouah ! La beauté d’Olivier baise la folie, entube Rim­baud. Elle vous fait face. Vous gifle. À cha­cun désor­mais de ten­dre une autre joue ou de brandir un autre poing. Deschizeaux a fait son tra­vail. C’est à nous main­tenant de décider, autant qu’on peut, de la réponse.

 

 

image_pdfimage_print