CHANT III.
                                                                                      LE PARADIS.

 

                                                                                Notre Dieu est au Ciel.
                                                                                Il fait tout ce qu’Il veut.
                                                                                                       Ps. 115,3

 

                                                                               A tous les Saints du Ciel dédié,
                                                                               Que par leur Sainte Prière ils nous portent,
                                                                                Qui fait tout ce qu’elle veut.

 

 

1.

Avez-vous vu, Amants, avez-vous vu leurs Ames ?
Ils ont quit­té la rive, aux grèves d’oriflammes,
Folle de vie ; en nef de Mort, leur Jour  dérobent.

2.

La poupe est au Lev­ant tournée ; la rame monte
Sur la voile, Souf­flant en Man­teau de Prière.
La mer sur eux  se ferme ; ond­u­lent ses escarpes.

3.

Au palan­quin des Eaux, le sang n’est plus si rouge ;
Résé­das, lis­erons, shintz à son cœur l’en ornent ;
Aux Noces de Dieu,  une favorite on mène.

4.

Qui L’aime, Dieu marche avec lui. Qui, au Secret
Du Cœur, se fait Juste, Christ de Ses Eaux le lave.
Au Déluge, l’Esprit des­sine l’arc-en-Nuée.

5.

Las, en terre ils ont lais­sé ceux qui n’eussent su
Partager leur bon­heur pur,  leur souf­fle en baiser
Men­er en haute Mer, à l’Horizon jointive.
.
6.

Se pour­raient-ils déjoin­dre, s’ils ne se discernent ?
De pous­sière d’étoiles une même nuit
Désen­nuie la Mer et le Ciel qui s’ajointent.

7.

Ton Ange les accom­pa­gne ; ses voies sont sûres ;
Larmes ! guidez au ray­on vert des ans­es saintes !
Comme l’aire marine a des ciels limpides !

8.

Elle y agite, prop­ices, les alizés ;
Sous tes zéphyrs, ils ondoient ; Ses bons vents sont saufs ;
Des brisants se pro­fi­lent ?  Ils changent d’amure.

9.

En la mâture, faveur d’Amour Tu exhales ;
Au rinceau des cœurs, la coque en fusion ne plie ;
En Terre Aimée, le vais­seau porte les Amants.

10.

Sous Ta lumière, ils font route ; ils cin­g­lent au large ;
La Mer irise son tulle. Dieu ! Quelle Beauté !
L’ai-je rêvé ? Non, ces Noces bien advinrent.

11.

Toi ! qui d’algues bleues nouas l’Ame aux nœuds du voile !
Dont aux coins de la terre tu posa les franges ;
Aux angles, tu bro­das ton fil d’azur,  turquoise,

12.

Gaze qu’en dais nup­tial, sur la mar­iée, Tu mis,
Qu’au palais de saphir ce voile cou­vre Amour,
Dont tu nous bor­deras dedans nos blancs linceuls !

13.

Lors, les vêt l’anneau d’épithalame, la cape
Fleur­delysée de l’ancolie, près l’Ile heureuse
D’Amour par­fait . Nef d’Amour ! qu’ en Gloire Tu mènes.

14.

Comme d’Occident en Ori­ent vont les astres,
Amour aux pour­pris du palais con­duit les Ames ;
Et c’est à l’Orient qu’éclate Sa Splendeur !

15.

« Enam­ourée, Joyeuseté, m’en  vais périe ;
D’Amour ne suis lais­sée, Ses débor­ds m’emportèrent ;
Seul un Sien bais­er à Ses lèvres tient mon âme. »

16.

Au gré ils vont du rebond, des lames de fonds ;
Si tôt dépar­tis, par voie des airs, ils relâchent ;
Aux avant-ports de Désir­ade est leur mouillage.

17.

A leur chaîne s’amarre Lib­erté d’En-Haut ;
Y ondoie la lune ; elle, oh ! à leurs doigts s’effile ;
Celle qui leur sem­blait loin est d’avoisinance.

18.

Qui,  l’ encre jetée, au navire de son Ame
Intérieure arrimé demeure, un jour parvient,
Au plus pro­fonds du Cœur, au point d’Inconnaissance.

19.

A mi-cer­cle d’une lune d’eau,  cycloïde,
—  Réflex­ion- , tourne ta roue sans loi, parfaite,
En lune du Cœur, sans éclipse, dans son cercle.

20.

Au vis­age Tu nous regardes, d’un regard
Tien, et vers­es en l’Ame ennoblie, qui  n’est vile,
Ta fleur de Sceau de Lumière, en cire estampille.

21.

L’Amant du Christ, par cette cire, est fait Ton Etre ;
Il est  de Ta Jus­tice un digne receleur,
De souf­france résilient ;  Sceau, Ta  Per­le au front.

22.

Ta fiancée ! Ce Sceau, au Cœur pris du Seigneur,
Fit son Cœur, et son Amour, plus forts que la Mort.
Car, étein­dre l’Amour, les grandes Eaux ne peuvent.

23.

Aux cerisiers où s’embrassaient les amants,
Ce même temps nous pleu­ri­ons, venus complaignants ;
D’amoureuse Vie, nos pleurs pour Toi nous transirent.

24.

En fleurs son Ame, à la pas­sion grandit des cypres ;
Sa chair y a pleuré ; y a pleuré sa Mort.
Aux cerisiers de Pâque, pleure Joie de l’Ame.

25.

Si tant sub­lime est l’amour qu’à la fiancée
Porte le Fiancé, que de plus Haute Amour
L’aime encore Dieu, de belle Amour précieuse !

26.

Tant qu’à Abra­ham l’arrachement d’une épouse,
L’Aimé a bu ce qu’il lui en coû­ta de larmes ;
— Enser­rée la sirène, en cham­bre gondolière !-

27.

Or nous, qui sous cette onde étions enterrée
Aux van­ités de la terre y dormîmes-nous ?
Les vains  madri­gaux font renaître ceux qui s’aiment.

28.

D’où cas­cades en mers, oura­gans sur la grève,
En rocailles s’ouvrant, aux grottes du co-naître ;
Que s’y rie le jour, lui appar­tient la veille.

29.

Comme En Ta Nudité se cherche Vérité,
A Tes berges, en noyés, nous lais­sant rouler,
A fonds de bar­que de Vie nous dor­mons sous Toi.

30.

En nous Vit Christ ; où ne voudri­ons, Il nous mène ;
Il  jail­lit Paix ; la Joie des Ver­tus Il embaume ;
Mais, au Nard de Myrrhe, En Ver­tu, tous Par­fums entrent.

31.

A Face de l’Oint, par larmes ils s’en épanchent ;
Ô Joie nup­tiale ! Myr­mi­dons, n’en savez rien.
L’Epoux a pris mon Cœur ; du Sien promet l’Aurore.

32.

D’aimer à grand Deuil, Lui, fait aimer à grand’Joie.
Sur Ses mains, Il porte : c’est flèche d’Ascension.
En cet Envol, Il presse ; elle, à Son Sein, repose.

33.

Ce qu’elle pos­sède, elle fuit ; plus Haut,  désire.
L’Archer arme à gauche ; de Sa droite, Il l’étreint ;
A son côté, elle porte blessure d’Amour.

34.

Elle pleure sa vie ; jusqu’au Mourir,  en pleurera ;
A ce signe, Seigneur, Tu recon­nais les Tiens ;
Ta Paix Tu leur don­neras ; ô Blanche Colombe !

35.

Coucou de mon Amour ! Ma Lumière, mon Air !
Colombe, ô Jus­tice ! Ma Lib­erté d’Envol !
Lib­erté : Grande Dame, qui, à l’aumônière,

36.

Sus­pendit Cœur du Monde, esclaves d’attelage,
Qu’au char de Mort elle arrache – Œuvre de Mercy-
D’obscènes empires, sans Gloire, elle piétine,

37.

De ses pieds nus, que nul roi du monde n’embrasse,
Dieu, de Splen­deur d’Amour, te fait un Diadème,
D’un cristal de larmes, de cristallin de Ciel !

38.

Sa Couronne est Sagesse, qui donne Allégresse ;
Colombe est son nom, don­né par Toi, Dieu, Esprit !
De son Seigneur est fiancée la Dame d’Amour.

39.

Ceignons les Couronnes de Vie ! Demain, vois-tu,
Nous Mourons, déjà ! N’attendons d’en partager
Les Ros­es rouges, d’effeuiller Partage au Vent !

40 .

A la Vie noue ta vie, qui n’erre au songe-creux ;
La Mort d’Amour plus ne s’offense. Amour la vainc;
D’Amour la Mort est vie ; Sa sen­teur vit En Myrrhe ;

41.

Qui saurait la douceur du Vivre en rémission ?
A nous qui sommes en sur­sis, ajournés ivres,
Elle est avant-part d’entre ses frères du Ciel .

42.

L’on s’y fait Joie des Insoumis­es. Passion
D’Amants ceint le thyrse, dont la Couronne est Vertu ;
Amour s’en hon­ore,  et Maître de son Ancille ;

43.

Dieu vêt l’Ame, Sa fiancée, en Plénitude
De Gloire, de Sa beauté Sub­lime. Plus Belle
Qu’Aaron Il la fit, d’habits d’Amour, d’Or, Pourpre

44.

Vio­line, d’un Damasseur tis­sée d’écarlate.
Loin qu’à l’Hyménée la fît périr le poison
De sa robe,  de  Médée mise à sa rivale,

45.

Pour qu’elle  en chût Morte, tré­passées ses amours,
Celle-ci, En Amour, dès là que  portée,  hausse
La Rosée du Fiancé , si Beau, plus que Lune,

46.

Des larmes d’Amour en Sa tête,  boucles  pleines,
Des gouttes de la Nuit. Car c’est la Nuit qu’Il vient,
Par l’huis du Cœur d’Ame qui son Amour Lui donne ;

47.

Je suis allée voir en la Nuit si m’ Ami m’Aime ;
Par ta seule Amour, je reçus  cette fiance :
Ton Sang fut signe à la porte ; Tu la rouvris ;

48.

Nous qui de Mer n’avions qu’une fente aux volets,
En  Prince changé, par l’huis du cœur, Tu voyais ;
L’oculus Tu heur­tas. Qu’éblouissent Tes Yeux !

49.

Ah ! Dieu ! Te voici, ô mon Epoux, qui arrives !
Bel Amant de mon âme indigne ! Ô mon Sauveur,
Je n’ai pas la robe,  la Tunique des Noces !

 

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