Pour  (Max) Fer­ber dans Les Emi­grants (de W‑G Sebald)

Après avoir emmé­nagé au 104, tu t’es sen­ti en accord silen­cieux avec  Wittgen­stein.  Tu crois qu’un pou­voir mag­ique te trans­met­tra la pro­fondeur du précé­dent locataire. Mais tu es maigre,
si  mai­gre que per­son­ne  hormis ceux que tu aimes ne peut te percevoir.
Ils se sont tous sui­cidés. Toi seul as choisi de vivre.
Tu vis unique­ment pour témoign­er de l’échec, et de la perte qui s’ensuit.
Tu aimes la pous­sière, tu aimes te promen­er près des chem­inées — dans la grande ville
de Man­ches­ter, tu ne trou­ves de sens  que dans les cendres,
les Camps de con­cen­tra­tion, l’ex­il, l’être étranger,
tout cela n’est rien pour toi.
Après une grande douleur vient la tor­peur. Le seul échec tangible
est la pein­ture que tu racles sur les  toiles, ruis­se­lant  et s’é­pan­chant  comme la lave.
Tu peins une femme, elle te suit pen­dant vingt ans ; tu peins un mur, il cou­vre ton passé der­rière toi ; tu peins la lumière et la lumière tra­verse le mur vers ton passé, et la femme vers ton présent. Tu ne cess­es de pein­dre femme et mur , couche sur couche. Tu sais que l’é­pais­seur mon­tre le
pro­fond mais pas la pro­fondeur , et tu con­tin­ues de racler. Mais même  en arrachant la femme, tu es inca­pable d’aimer davan­tage ; tu arraches la lumière, la lumière ne peut tou­jours pas illu­min­er ta cham­bre ; tu arraches  le mur, la gloire de Rem­brandt n’é­man­era pas des ruines. Ce soir,
Je ne suis pas debout dans le musée, mais assise près d’une lampe à te lire très  dif­fi­cile­ment. A tra­vers les murs du lan­gage, je perçois ton dés­espoir — tant de mots nou­veaux me  criblent  de leur sable.

(traduit par Mar­i­lyne Bertoncini)

 

 

 

For Fer­ber in The Emigrants

After mov­ing into #104, you feel a silent understanding
with Wittgen­stein. You believe a mag­ic pow­er will give you
the ear­li­er tenant’s pro­fun­di­ty. But you are thin,
so thin that nobody but your beloved can per­ceive you.
They all killed them­selves.  Only you choose to live.
You live only to wit­ness the fail­ure, and the loss that follows.
You love the grit, you love to walk by the chim­neys— in the big city
of Man­ches­ter, you only find mean­ings in cinders,
Con­cen­tra­tion camps, exile, being a stranger,
all these are noth­ing to you.
After great pain comes the numb­ness. The only tan­gi­ble failure
is the paint you scrape from the can­vas, drip­ping and flow­ing like lava.
You paint a woman, she fol­lows you for twen­ty years; you paint a wall,
it cov­ers your past behind it; you paint light and light goes
through the wall to your past, and through the woman to your present.
You paint the woman and wall repeat­ed­ly, lay­er upon layer.
You know thick­ness shows depth but not pro­found­ness, so you keep
scrap­ing. But even if you tear the woman apart, you’re unable
to love more; you tear light, light still can’t illuminate
your room; you tear down the wall, the glo­ry of Rembrandt
still won’t radi­ate from the ruins. Tonight,
I’m not stand­ing in the muse­um, but sit­ting by a lamp
read­ing you with great dif­fi­cul­ty. Through the lan­guage walls I sense
your hope­less­ness—  so many new words pelt me like grit.

(Trans­lat­ed by Ming Di and Tony Barnstone)

 

 

 

 

墙壁之间
  ——给《异乡人》费伯

  

住进104之后,你和维特根斯坦便有了默契。
你相信有一种特异功能,能够通过你,
把前辈的深刻传承下来。但你一直很单薄,
单薄到除了你的情人这世界完全感知不到你。
但你挺了下来——他们都自杀了,你选择了活。
你活下来只为了见证你的失败。与日后的……失落。
你爱灰尘,你爱从烟囱下走过,诺大的曼切斯特,
只有灰尘的渺小,让你看见意义的存在。
集中营,流亡,异乡人,这些都算不了什么,
大痛之后是无痛。只有地上这些熔岩一般流动过的,
从画布上刮下来后又干枯了的,颜料,才是
唯一能够触摸的失败。你画女人,她跟随你23年;
你画墙壁,它把你的过去藏在背后;你画光,
它穿过墙壁走到你的过去,穿过女人走到你的现在。
你反复地画女人,反复地画墙壁,层层叠叠,
你知道深厚在身后但不表示深刻,于是你反反复复
刮下来。但即使撕毁了女人,你也没有更爱妻子;
戳破了光,光也没有照亮陋室;推倒了墙,
废墟里也没有走出伦勃朗的光辉。
今晚,我没有站在画展大厅里,而是坐在灯光下
吃力地翻书(外语),隔着语言墙壁,感知
你的走投无路——那些生词,灰尘一样向我袭来。

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