Un poète et un pein­tre. Gilles Baudry et Pierre Denic unis­sent leur tal­ent dans une envoû­tante évo­ca­tion de Brocéliande. Mais de quel Brocéliande s’agit-il ? De ce ter­ri­toire mythique évo­qué dans le légendaire arthurien ?  Oui, sans doute. Les mots « Mer­lin », « Viviane » et « Val sans retour » ponctuent bien quelques têtes de chapitre de cet album/poème, comme pour nous assur­er que nous sommes bien, ici, en pays de connaissance.

    Mais – on le sait aus­si – Brocéliande débor­de tou­jours Brocéliande. Évo­quer ce lieu, c’est d’abord côtoy­er le mys­tère et l’enchantement. Et qui mieux qu’un poète et un pein­tre sont à même d’en être les témoins ?

     Pierre Denic se fait donc « perceur de mys­tère », ain­si que le note, dans la pré­face, son ami Yves Pri­gent. Le voici « ordon­na­teur d’espaces » dans des tableaux par­fois énig­ma­tiques où – l’artiste lui-même le dit –  « la lumière bouge » et où « la toile devient miroir ». Mais qu’il s’agisse de pein­tures acryliques ou d’encres de Chine, il y a chez ce créa­teur d’extrême-Occident (Pierre Denic vit à Bén­odet) quelque chose d’extrême-oriental dans son appréhen­sion du monde. Une place de choix, en effet, est accordée aux élé­ments naturels  — roches, chemins, étangs – et les références à l’art japon­ais sont présentes dans bon nom­bre de ses tableaux

    Comme s’étonner alors que les noms de François Cheng et de Vic­tor Ségalen appa­rais­sent au fil des pages ? François Cheng, le passeur entre deux cul­tures (chi­noise et française). Ségalen, dont « l’ombre tutélaire » veille sur les chaos de Huel­go­at (exten­sion géo­graphique de Brocéliande voulue par les deux auteurs).

     « Je ne divulgue rien / dit-il / j’illumine un secret », résume Gilles Baudry dans sa lap­idaire exer­gue au livre. Le moine/poète de Landéven­nec engage son dia­logue avec l’artiste-peintre. « Seul importe l’insaisissable caché der­rière les choses », déclare-t-il. Et d’avouer que l’œuvre de Pierre Denic rejoint sa pro­pre quête : « La nature comme une écri­t­ure épiphanique ».

     Pour cette par­ti­tion à qua­tre mains « écrite dans une ami­tié atten­tive », Gilles Baudry creuse à sa façon le mys­tère. On pénètre sur ses pas dans « les sous-bois en dor­mance / pareils aux fonds marins ». Le poète s’émerveille. « Comme il fait beau / dans le silence / qui a tant à nous dire ». Ici, nous dit-il, « l’inouï » se dit « en aparté ». Ici, on trou­ve « une sente si lente / qu’elle n’a pas vu pass­er les heures ».  Tout est dit, en peu de mots, sur « ce lieu où l’espace touche au temps ». Cela s’appelle Brocéliande.

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