Canicule et Vendet­ta de Thier­ry Renard est divisé en deux par­ties : un long texte en prose qui donne son titre au livre et un ensem­ble de poèmes réu­nis sous le titre Impres­sions méditer­ranéennes. Le point com­mun à ces deux ensem­bles : le goût des îles, de la mer, du large… Et de l’écriture !

Thier­ry Renard renou­velle le jour­nal de voy­age, le jour­nal tout court. Il trans­fig­ure ce qui pour­rait n’être que plate accu­mu­la­tion de journées, que sèche énuméra­tion de dates ; dans Canicule et Vendet­ta où il dit son amour de la Corse (“Hier encore à Mar­seille, aujour­d’hui heureuse­ment en Corse”), il mêle bribes descrip­tives, sou­venirs, anec­dotes, lec­tures. Et réflex­ions sur la vie (“La femme, par­fois, est encore plus amère que la mer et son île de Beauté”) qui vien­nent remet­tre à leur juste place des pas­sages pure­ment infor­mat­ifs qu’on croirait sor­tis d’un guide de voy­age (“Nous quit­tons Bastel­icac­cia pour Bocog­nano, gros bourg mon­tag­nard situé à 640 mètres d’alti­tude, par­mi les pins et les châ­taig­niers”). Et ce, tou­jours sans tran­si­tion, d’un para­graphe l’autre, d’une phrase l’autre : c’est ce “simul­tanéisme” qui fait l’in­térêt de ce texte car ce n’est pas seule­ment l’île qui se dit mais aus­si Thier­ry Renard lui-même à tra­vers l’amour, l’at­ti­rance qu’il éprou­ve pour la Corse, ses paysages, ses habi­tants. Mieux, c’est un frag­ment d’au­to­bi­ogra­phie qui est livré à la curiosité du lecteur.

Les poèmes de la sec­onde par­tie sont mar­qués par la nos­tal­gie de la mer et de l’ailleurs et précédés par une sorte de pré­face dans laque­lle Thier­ry Renard se livre à un rap­proche­ment auda­cieux entre le rap et la poésie grecque anci­enne… Mais le voy­age n’est pas une idylle de tout repos car il peut être placé sous le signe de la peur : c’est ce qu’on peut lire vers la fin du recueil dans le poème La peur néces­saire : “Peur de men­er ma bar­que en soli­taire / Peur d’a­gir en mécon­nais­sance de cause / Peur d’ou­bli­er l’or­di­naire le prin­ci­pal peur / De ne pas braver tous les inter­dits…”  C’est que voy­ager, c’est se con­fron­ter à l’autre, à l’é­tranger, à l’in­con­nu tout comme à l’écri­t­ure. Une écri­t­ure présente juste­ment dans chaque poème : ” Tous les mots sont restés à quai / le mot ici le mot main­tenant”, “Au fond on ne fait que récrire / Ce qu’on a déjà dit” ou encore “Mais j’ai pour­tant le sen­ti­ment pro­fond / D’être tou­jours en train d’écrire”. C’est que Thier­ry Renard est un lecteur infati­ga­ble car, c’est lui qui le dit vers la fin du livre : “J’ai lu quelques livres dernière­ment” alors qu’il com­mence ou presque son livre par ces mots : “Je suis né dans les livres”… Aus­si ne faut-il pas s’é­ton­ner de tous ces noms d’écrivains qui émail­lent les poèmes, ne pas s’é­ton­ner des échos que son écri­t­ure éveille en nous. “Mais vivre tra­vailler tout cela fatigue” écrit-il dans Retour à Ven­timiglia. Si l’ex­er­gue placé en tête d’Une vie plus tard est une cita­tion extraite de Tra­vailler fatigue de Cesar Pavese, on ne peut alors s’empêcher de penser à Jean-Claude Izzo et à son ouvrage Vivre fatigue… Tout fonc­tionne en réseau dans ce livre qui n’en finit pas de sus­citer de mul­ti­ples échos…

Et qui se clôt para­doxale­ment sur l’écri­t­ure du silence… Mais qui est à la fois “le bon­heur des autres” et “notre immense soli­tude”.

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