Le Car­net de somme de Nathanaël fait suite à ses Car­net de désac­cords et Car­net de délibéra­tions. L’ensemble forme une trilo­gie, placée sous le regard d’un ensem­ble d’écrivains et de poètes, que l’on évit­era de qual­i­fi­er de « famille » con­cer­nant un écrivain tel que Nathanaël. On y croise Duras, Guib­ert, Mal­raux, Cio­ran, Genet, Lyotard, Celan, Der­ri­da, Ben­jamin, Bach­mann… Et tant d’autres qui ne sont pas nom­més. Car le tra­vail lit­téraire de Nathanaël est tra­vail en res­pi­ra­tion avec ses ren­con­tres, lec­tures bien sûr, mais pas lec­tures au sens com­mun, lec­tures vivantes ; des cor­re­spon­dances, et cela n’est pas si fréquent. Vivre ses lec­tures en dedans de soi tout autant qu’en dedans même de ce qui est lu. De cette matière qu’est Nathanaël lisant, et souf­frant, car la souf­france est ici au cœur de l’écriture, naît une œuvre à la fois intime, intimiste, pro­fonde et uni­verselle. On y croise les noms cités bien sûr, on y croise surtout cha­cun de nous, et nous-mêmes en par­ti­c­uli­er, dès que l’on accepte fugace­ment de se regarder. Ce qui n’est guère fréquent non plus. Nathalie est dev­enue Nathanaël, ce qui étonne :

« Et votre nom, insiste-t-il, en me ten­dant une main que je serre mal­gré moi. Nathanaël, dis-je, sur le point de par­tir. L’air per­plexe, il voudrait que je pré­cise : e‑l-l‑e ? Non, je réponds, et je m’en vais. »

C’est l’un des rares moments du livre où Nathanaël racon­te quelque chose. Le vécu quo­ti­di­en et non pas intel­lectuel de ce que l’on nomme étrange­ment la « ques­tion du genre / gen­der », comme l’on dis­ait autre­fois la ques­tion juive. Cela dit beau­coup, le mot qui entre dans l’air du temps.  L’irrespirable. Le reste du livre est poésie, de mon point de vue. Quête de l’au-delà de ce Je dont on croit savoir ce qu’il est, en soi, tan­dis qu’il joue à être ce que nous croyons qu’il est. Ce « Je » qui, allongé, devient un Jeu.

Poésie, ce Je qui est moi tout en étant un autre, et dans tous les cas lieu géo­graphique pré­cis de ma souf­france. C’est en cela, exacte­ment, que je lis ces lignes d’apparente prose comme étant une forme pré­cise de poésie.

Car­net de somme est un livre com­posé de « choses vues », mais non pas vues en extérieur – ou si peu – de choses vues ou entre­vues en dedans de Nathanaël, par Nathanaël. Dans l’en-soi, et naturelle­ment cer­tains pas­sages devi­en­nent des aphorismes :

 

« Nous sommes dans le temps. Cela aus­si est impensable. »

 

L’en-soi est un soi dans la douleur. Qui est ce Je ? Que reste-t-il de lui, de moi, quand il y a eu la mort ? De l’autre, de moi. De moi en l’autre, de l’autre en moi. Où es-tu ? sem­ble crier Nathanaël. Ce qui ne va pas sans révolte con­tre la bêtise du vide insignifi­ant ambiant, et l’on com­prend cela quand le monde dérive en-deçà des préoc­cu­pa­tions essen­tielles, celles de l’être et des êtres dans la con­fronta­tion intime de leurs pro­pres dif­férences, au prof­it de ce rien que l’on nomme par­fois « avoir ».

Beau­coup se joue dans le miroir de soi. Dans la dif­fi­culté du rap­port au corps, que l’on dit « mas­culin », que l’on dit « féminin », mais qu’en est-il en réal­ité ? Il y a une vio­lence ici, y com­pris sur ce vis­age que l’on affirme sou­vent por­teur de l’identité, mais de quoi en fait, qu’est-ce donc que cela « l’identité » ? Ici, écrire est une pul­sa­tion de tout le corps, y com­pris ce corps invis­i­ble vivant en dedans de la matière du Je, et l’on n’est alors pas éton­né de crois­er Pip­po Del­bono dis­ant « Tu dans­es parce que tu es con­scient de la mort », comme en écho de Pina Bausch et de cette phrase extra­or­di­naire : « Danse, danse, sinon nous sommes tous morts ».

Tout est dans le corps. Et qui s’éloigne aujourd’hui, par facil­ité, de la danse dite con­tem­po­raine est loin de toute poésie, et donc de toute human­ité. Le grand livre trai­tant de la danse con­tem­po­raine en tant que poésie reste à écrire.

Lire Nathanaël dans Recours au Poème, dont un extrait de Car­net de somme :

https://www.recoursaupoeme.fr/po%C3%A8tes/nathana%C3%ABl

 

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