Antoine WAUTERS était l’invité de France Cul­ture le 30 sep­tem­bre 2012 pour l’émission « ça rime à quoi » ( http://www.franceculture.fr/emission-ca-rime-a-quoi-antoine-wauters-2012–09-30 ) afin d’évoquer son ouvrage « Césarine de nuit » pub­lié en 2012 dans la col­lec­tion Grands Fonds des édi­tions CHEYNE. 28 min­utes d’entretien radio­phonique ne suff­isent pas à épuis­er la pro­fondeur de ce recueil de poésie ; quelques lignes de recen­sion cri­tique non plus …

Le réc­it poé­tique de la vie de Césarine se com­pose de trois par­ties non chronologiques : la genèse de l’histoire de Césarine con­stitue la par­tie cen­trale du recueil ; la pre­mière est con­sacrée à l’errance, précé­dant la claus­tra­tion large­ment dévelop­pée dans la troisième.

« Césarine de nuit » est comme un con­te qui se situerait entre la mis­ère sociale d’un Charles Dick­ens et le fan­tas­tique de « Hansel et Græ­tel » : Fabi­en et Césarine sont les deux frères et sœurs jumeaux du célèbre « Märchen », dure­ment aban­don­nés par leurs par­ents à l’âge de douze ans.

« Deux enfants, douze et douze ans, et une Vache qui se lasse et dit Non, plus pos­si­ble, non le pain manque et la viande et le vin, allez viens mon mari, on lâche la petite et le petit mor­baques, on les jette loin de nous et on vit comme avant ! » Page 59

Cepen­dant, la langue d’Antoine WAUTERS est con­tem­po­raine et nous rap­pelle que l’aliénation et la vio­lence sociale se  pour­suiv­ent de nos jours et ne sont mal­heureuse­ment pas can­ton­nées au Lon­dres du XIXème siè­cle ou au Moyen-âge mythique et fan­tas­tique resti­tué par un Grimm.

La majeure par­tie du recueil est con­sti­tuée par une nar­ra­tion extérieure et omni­sciente à peine inter­rompue par la prise de parole de cer­tains per­son­nages (qui fig­ure en italique). Toute­fois, au détour d’un poème, une for­mule inclut le nar­ra­teur et le lecteur, mais comme insen­si­bles à ce drame.

« On la croise les matins, jolie, crasseuse, et encore tard le soir et la nuit depuis les longues années qu’elle est en cage avec nous. Nous pas­sant sous les yeux. Sur les pieds. » Page 14

Au long de la troisième par­tie, même la sen­si­bil­ité de Césarine sem­ble s’amenuiser, rompant tout espoir.

« Evidem­ment que non. L’asile n’est pas un champ de coqueli­cots, et Césarine n’approchera jamais le jeune homme à la grue, l’adoré au cœur som­bre. Comme les autres elle lav­era. Comme les autres, par procu­ra­tion, elle trem­pera ses lèvres dans le thé pen­sion­naire, buvant la fumée bleue en rel­e­vant joli­ment son men­ton, qui relèvera son nez, ses lèvres, et sa petite bouche un peu trem­blante d’où tous ses mots seront chas­sés. » Page 121

Le lan­gage poé­tique laisse devin­er le sort de Fabi­en et Césarine plus qu’il ne le dévoile, si bien que le lecteur hésite à en pren­dre pleine­ment con­science. Cette indéter­mi­na­tion, voulue par le poète, ren­force la portée dra­ma­tique du recueil.

Com­bi­en de temps a duré leur errance, huit ans ?

« Vingt ans. On les retrou­ve en morceaux par­mi les pour­ri­t­ures, les égarés, les fous, jeunes gens de la berge, de la ville fendue par le fleuve. » Page 71

On devine que l’errance a égale­ment été syn­onyme de souf­france. Césarine a‑t-elle été soumise à la prostitution ?

« On brûlera Césarine. On la fera défil­er dans les rues […] On brûlera la merdeuse et on aimera l’exquise, Césarine des galas, des bou­tiques. » Page 23

Césarine s’est battue, sans doute pour se défendre, mais de quoi ?

« Il sait qu’elle a blessé un homme à la tempe, au couteau à la tempe, qu’elle a mor­du, frap­pé, cogné à vide en lais­sant dire à sa colère tout ce qu’elle, fille de rien, ne peut dire. » Page 79

Mais la souf­france de l’errance sem­ble encore douce com­parée au sort qui leur est réservé : l’enfermement dans un asile quel­conque où les deux enfants séparés se retrou­veront, mais à quelles conditions ?

« L’endroit blesse. Coupe les deux plus encore. Césarine et Fabi­en. Ils pour­ront se crois­er par­fois, oui, mais sans traîn­er, et se frôler aus­si […] » Page 93

A quoi sont con­fron­tés Fabi­en et Césarine ? A la société et la nor­mal­ité qu’elle impose, à ceux qui com­posent, qui col­la­borent avec elle, à ce « on » indéfi­ni qu’Antoine WAUTERS emploie dans son dernier poème et qui s’arroge le droit de châtier.

« On brûlera la mau­vaise graine et le mau­vais génie, l’adolescent bre­douille, le doux rêveur au fleuve, le pan­tois, les Fabi­en et les fils de Fabi­en, on brûlera les mains vides, les pier­res n’amassant mousse, Césarine légère et les frères Charles chauves, on brûlera l’étrangère et la leveuse de laine. » Page 124

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