Le recueil s’ouvre sur une let­tre-poème, et dans les textes qui suiv­ent, le poète con­tin­ue de s’adresser à nous.

C’est la terre.
Ne lui deman­dez rien de plus.

Il s’adresse aus­si – surtout peut-être – à ceux qui ne sont pas encore nés.

Avant de vous lever,
enfants de demain,
n’oubliez pas de laiss­er respir­er les nuages,
d’offrir vos pre­miers murmures
aux racines.

Ce sont les pre­miers vers d’un long poème. Un chant où se mêlent la vision du désas­tre en cours et l’espoir de ne pas s’y enliser.

vous êtes forts,
quelle que soit l’heure,
avec votre sang d’héritiers vulnérables
qui récla­ment leur part,
 

assez pour écouter,
où nous l’avons presque perdu,
le souf­fle
de l’air du monde
à son commencement.

Qui con­naît les enfants d’aujourd’hui, ceux que les écrans fasci­nent et éloignent du réel, sait que ce qui était hier tout naturel – l’étonnement d’un enfant – ne va plus de soi main­tenant et sera peut-être encore plus rare demain. Il y a sans doute dans ce poème une bonne dose d’utopie. Mais le poète dépose aus­si des touch­es d’incertitude. L’inquiétude qui affleure dans le recueil de Dominique Sor­rente est légitime. Elle n’est jamais sans issue.

Je lis cette phrase dans son trou noir qui me par­le de
perdi­tion
et de passage,
de tous ces jours guet­tant la moin­dre lumière.
 

C’est pourquoi il accorde sa con­fi­ance à l’enfant qui vient.

Dans sa pré­face, Jean-Marie Pelt, qui con­naît bien l’homme comme son écri­t­ure, par­le de la volon­té du poète de « sus­citer à tra­vers les mots un ré-enchante­ment poé­tique de notre regard sur le monde ». Cela sup­pose qu’il y a eu désen­chante­ment. Jean-Marie Pelt voit dans la poésie de Dominique Sor­rente un lien avec la for­mule d’Hölderlin : « Habiter la terre en poète » et donc une invi­ta­tion à ne pas oubli­er ce ver­sant, pré­cieux, de l’humaine con­di­tion. Il arrive au poète d’entreprendre de longs voy­ages, de se met­tre même en tête de remon­ter à l’origine.

C’est le temps de la fleur première

Les saisons, parce qu’elles revi­en­nent, peu­vent don­ner accès à ce qui fut. Il faut alors savoir déchiffr­er ce que le monde y a déposé, enten­dre aus­si ce qu’il tait. Ce que traque le poète se tient par­fois sous ses yeux, à portée de main.

C’est le temps de touch­er les arbres.

Les arbres sont omniprésents : racines et feuil­lages. Ils appar­ti­en­nent au verg­er, à la forêt.

Écrire dans l’angle mort
où l’enfant de tou­jours lance ses ricochets
vers l’indistinct.

Le poète est resté cet enfant qui lance des ric­o­chets et peut percevoir le souf­fle de l’air du monde à son com­mence­ment. On croise quelques anges, des elfes, un cheva­lier, un trou­ba­dour. Le plus sou­vent, c’est ce qui lui échappe qui l’attire : l’étoile, l’aigle, la lumière de l’aube, l’ombre, la brume, la lenteur… L’éphémère beauté.

Voilà qui fut
nuage, et reparti.

Quand le réel se fait labyrinthe, le poète pose des ques­tions et tente de com­pren­dre le mur­mure dans lequel se trou­vent peut-être les répons­es. Il se penche et creuse ou lève les yeux vers le ciel. Sa poésie fait écho à celle de Rober­to Juar­roz – le nom de « poésie ver­ti­cale » lui irait bien. Ou alors celui de « poésie des pro­fondeurs » que Paul Ver­meulen met en lumière dans les pages de Recours au Poème.

 

Matthieu Bau­mi­er a écrit ici un arti­cle sur l’ouvrage précé­dent, pub­lié chez le même édi­teur, et choisi quelques poèmes : https://www.recoursaupoeme.fr/critiques/dominique-sorrente-pays-sous-les-continents/matthieu-baumier

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