Jamais je ne voudrais rede­venir enfant

Tudor Arghezi

 

   Ce vol­ume est traduit et présen­té par Benoît-Joseph Cour­voisi­er, spé­cial­iste de la poésie roumaine, et récent tra­duc­teur d’un recueil de Matéi Vis­niec aux édi­tions Bruno Doucey (À table avec Marx). Il faut d’emblée not­er la qual­ité de l’ensemble, tra­duc­tion et présen­ta­tion, con­cer­nant cet opus de Tudor Arghezi, immense poète roumain décou­vert puis enfoui à divers­es repris­es au sein de la « république des let­tres » française. Cour­voisi­er démarre sa présen­ta­tion ain­si : « La per­son­nal­ité de Tudor Arghezi et l’importance de son œuvre poé­tique sont encore peu con­nues en France. Il est, à côté d’Eminesco [Mihai Emi­nes­cu], le plus grand poète de la Roumanie et l’un des plus mar­quants d’Europe. L’anthologie que nous présen­tons, si brève qu’elle soit, n’a d’autre but que de cor­riger une sin­gulière injus­tice. » Ces mots, placés en ouver­ture de la pré­face du vol­ume con­sacré à Tudor Arghezi en 1963 dans la fameuse col­lec­tion « Poètes d’Aujourd’hui » des édi­tions Seghers, peu­vent être repris tels quels cinquante ans plus tard, car l’œuvre du poète, jamais rééditée en France depuis cet ouvrage, n’a tou­jours pas trou­vé l’audience qu’elle méri­tait ». Et en effet Tudor Arghezi est un poète majeur, au moins à l’échelle de la poésie roumaine, ce que Cour­voisi­er pré­cise en une jolie for­mule : [il] « embrasse d’un geste poé­tique à la fois le vol de l’ange et le coup de pied de l’âne », ceci pour expliciter les trans­for­ma­tions apportées par le poète à la langue poé­tique de son pays. Plus loin : « Car il s’agit pour cette poésie que l’on dit trop sou­vent divisée, écartelée entre chant de pas­sion et chant de haine, entre louange et anathème, de pein­dre le pas­sage et d’embrasser le monde en un seul mou­ve­ment, loin de tout dual­isme et de tout hypostase ». On se saurait mieux dire.

Tudor Arghezi est le pseu­do­nyme d’un homme qui avait une enfance à régler avec son père (l’abandon) et la pau­vreté, con­séquence directe de la soli­tude de sa mère. Le choix de ce nou­veau nom ne s’est pas fait en un jour, Arghezi aban­don­nant des morceaux de son nom d’origine au fur et à mesure qu’il dévelop­pait l’atelier de son écri­t­ure. Reste que la face som­bre de cette enfance aide sans doute à saisir la part elle-même som­bre de cer­tains de ses poèmes.

 L’homme est né en 1880, a dû aban­don­ner ses études (aban­don, pau­vreté encore), se faire moine ortho­doxe pour quelques années. Entre temps, il a été remar­qué par le poète sym­bol­iste Alexan­dru Mace­don­s­ki, en 1896, et a pu grâce à lui pub­li­er ses pre­miers poèmes (seize en tout) dans une impor­tante revue, Liga Ortho­doxa. Cela mar­que le début de sa « car­rière lit­téraire ». Après 1918, le poète est très engagé, tant sur le plan poli­tique que sur le plan lit­téraire con­damné pour « paci­fisme » et pour avoir pub­lié dans des jour­naux favor­ables à l’Allemagne, Arghezi fait son pre­mier séjour en prison, cette pre­mière fois en com­pag­nie d’onze autres intel­lectuels, la plu­part écrivains ou jour­nal­istes. Il n’y allait pas de main morte : « Avec chaque nou­veau-né est créée la quan­tité d’explosifs néces­saire à son élim­i­na­tion ». Le poète n’en a pas ter­miné avec la guerre et la prison puisqu’il sera de nou­veau incar­céré en 1943, cette fois en riposte à ses pam­phlets écrits con­tre… cette même Allemagne.

Le pre­mier recueil de poèmes de Tudor Arghezi a paru en 1927, il avait alors (et déjà) 47 ans. Ce sont Les mots jumeaux. Sa poésie avait cepen­dant déjà large­ment été pub­liée en revue, lui don­nant une forte notoriété. Les revues, cela comp­tait beau­coup au siè­cle dernier. Vic­time de la cen­sure, il doit se retir­er de la vie lit­téraire en 1947, et ce jusqu’à 1955. Il meurt en 1967. Sa poésie est à découvrir. 

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