qui saurait arrêter ceux qui vont
d’ombre en ombre au-dedans d’eux-mêmes
regards pour rien vers nous
comme des poches vides retournées

et le silence de leurs pas
comme s’ils dis­po­saient pour eux seuls
d’un trot­toir de neige

leurs vis­ages aux vitres
appuyés retirés
trans­parence du verre et de leur nom

là où le vent n’a pas trou­vé d’arbre
c’est l’un d’eux qui tremble
d’une émo­tion de feuillage

 

(Sous des dehors, Rougerie 1995)

 

 

***

de l’eau creusée d’un rien
on retire la main qui porte
la fraîcheur au visage

un instant tout gagne en clarté
reprend équilibre

seuls des reflets vacillent
comme ce qui s’éloigne
dans la mémoire

un chemin s’ouvre
dont toutes les pierres
n’ont pas encore pesé sur l’espoir

 

(Le Temps par moments, Rougerie 1999)

 

***

pour que nous frôle la beauté de vivre
il suf­fit d’être attentif
à ce qui ne débor­de pas du jardin
petits bruits odeurs d’herbe
mer­le qui joue
avec l’œil du chat
comme avec le feu

venu de loin le vent
replie l’ailleurs sur l’ici
dans une même transparence
qui dure sans trembler
comme l’eau dans le verre

à ceux qui passent
un salut silencieux
et mer­ci de ne rien emporter

 

(Le Temps par moments, Rougerie 1999)

 

***

 

même si l’eau tombée du toit
courbe tou­jours la même branche
et qu’en nous quelque chose penche
un peu plus bas à chaque fois

nous avançons sans rien défaire
de la jeunesse que nous eûmes
mêmes désirs mal­gré la brume
qui nous dérobe des lumières

même mépris du poids du temps
sur l’horizon plat se dessine
l’humble révolte des collines
qui soulève tou­jours le vent

gouttes d’eau qui tombent du toit
branche qui plie et se relève
on en revient tou­jours au rêve
qui met le ciel au bout des doigts

et dans le bleu la main s’en va
écrire un poème au-delà

 

(Le Temps par moments, Rougerie 1999)

***

 

je garde mes jardins
leurs stat­ues sans tête
qui ont toutes
un même vis­age de ciel

je garde mes jardins
leur neige où j’écris
sans tourn­er de page

mes mains sont ici
les ailes de l’oiseau
que je leur invente
pour qu’elles me quittent
et me reviennent

tout ce que je jette
au fond de mes puits
remonte en eau claire

je dors sous mes ombres
d’un som­meil sans clé
et sa porte bat
pour que je respire
au cen­tre et autour
des jardin gardés

 

(Le ciel pas­sant, Rougerie 2002)

 

***

La manche à air.
Pas de vent dedans.
On me dit : jusqu’où irais-tu, toi sans respirer ?
Je pour­rais répon­dre que,
dans les rêves,
on monte les escaliers comme on les descend.
Ou qu’en tout chemin où je m’arrête
mon ombre con­tin­ue d’avancer.
Ou encore, qu’un pas en amène un autre
et que l’oiseau qui me soulève parfois
m’en épargne beaucoup.

 

(Chemin qui me suit, Rougerie 2011)

 

***

 

La vie ? On la porte, on la pose.
La semaine n’a qu’un dimanche,
magi­cien qui sort de sa manche,
vivantes puis mortes, des roses.

Bon, la vie c’est lourd et pour rien.
Mais depuis le temps on s’arrange.
On part de la bête vers l’ange,
avant d’arriver, on revient.

Et ils n’auront pas été vains,
ces allers-retours dérisoires :
en chemin on aurait pu croire
à de l’humain presque divin !

Reste l’humain, à ce qu’il semble.
Devant un vin qu’on tarde à boire,
par cœur on apprend sa mémoire
qui à nulle autre ne ressemble.

 

(Chemin qui me suit, Rougerie 2011)

 

***

 

Et de sa main lev­ée très haut,
elle des­sine dans l’air un cer­cle parfait,
un cer­cle dont elle est seule à retrou­ver le centre.
Elle le désigne comme s’il était son cœur
resté hors d’elle-même après la mort de l’enfant.
Et dans ce cer­cle, on voit tomber la lune
comme un bal­lon que l’enfant aurait échappé
et que per­son­ne ne peut lui rendre.
Il est nuit, elle s’en va et les étoiles qui ont choisi
son deuil pour ciel la suivent.

 

(Chemin qui me suit, Rougerie 2011)
 

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