Rodrigo Verdugo Pizarro, extrait d’un ensemble de recueils intitulés Annonces :
(Traductions du castillan au français : Denise Peyroche et Pedro Vianna)

 

CUARTO ANUNCIO

Todo lo que lle­ga a tocar cielo
Se con­vierte en esa simul­tane­i­dad que cur­va las almas
Los otros sólo lle­van la podredum­bre de las olas,
La angus­tia de los objetos.
Sí, esos mis­mos que empezamos a conocer
Cuan­do la som­bra está repeti­da de ardores
Cuan­do vivir es como desenredar las aguas
O ver cómo la arru­ga embarazada
Se mueve en el potrero cada año.
El cuchil­lo no entra, pero saca toda el agua que hay den­tro de los días
Has­ta que en ese fon­do no hay nada más que la vejez
Nada más que esa con­cil­iación que adquiere la lengua
Al posarse sobre la niebla.
Nos desa­lo­jarán de los círculos
Las áni­mas de sal reunirán toda la cólera de nue­stros ojos
Andare­mos oyen­do letanías como las del fauno que hicieron
Reven­tar en san­gre los oídos de los ani­males en el zoológico
Se esconde uno detrás de una ceniza para ver pasar los días
Ver pasar palo­mas que se pare­cen al día de los muer­tos en las islas
Bebe en los vil­lor­rios, donde las arañas des­or­de­nan la resurrección
Vuelve como el padre de las rizaduras a cada desembocadura
Vuelve después de haber­lo vis­to todo
Vuelve con una más­cara que no es ni el aire, ni el fuego
Vuelve har­to ya de tan­tas letanías, a pun­to de dina­mi­tar al fauno
Viste a los árboles de un tor­men­to virgen
Apacigua a las bal­lenas con car­dos y reti­nas desprendidas
Vuelve como el niño lobo que entraba
Con una ban­de­ja llena de un líqui­do azul
A la pieza que no tenía sue­lo, sólo las pare­des y el techo
Y volver es siem­pre como si nos cor­taran de ese mimetismo
Aho­ra los árboles ten­drán que bus­car­le otro nom­bre a la muerte
Y los vue­los no podrán esclare­cer nada
Todo hue­co azaroso se debe habitar líquidamente
Y líquida­mente habita­mos lo que va a venir
Como si nos con­cedier­an por últi­ma vez a la bes­tia seca y opaca oírle:
Que de día éramos libres
Que de noche un resorte sinie­stro nos unía.
Un espe­jo levi­ta en los cementerios:
De modo que las tum­bas de aba­jo se trasladan hacia arriba
De modo que las tum­bas de arri­ba se traslu­cen hacia abajo
Y la gente arma y desar­ma maletas.

QUATRIÈME ANNONCE

Tout ce qui parvient à touch­er le ciel
Se trans­forme en cette simul­tanéité qui courbe les âmes
Les autres ne font que porter la pour­ri­t­ure des vagues,
L’angoisse des objets.
Oui, ceux-là mêmes que nous com­mençons à connaître
Quand l’om­bre se mul­ti­plie en ardeurs
Quand vivre c’est comme démêler les eaux
Ou voir com­ment la ride enceinte
Bouge dans le pré chaque année.
Le couteau n’entre pas, mais ôte toute l’eau qu’il y a dans les jours
Jusqu’à ce que dans ce fond ne reste que la vieillesse
Rien que cette con­cil­i­a­tion qu’acquiert la langue
En se posant sur le brouillard.
Nous serons délogés des cercles
Les mânes¹ de sel rassem­bleront toute la colère de nos yeux
Nous irons enten­dant des lita­nies comme celles du faune qui firent
Éclater en sang les oreilles des ani­maux dans le zoo
On se cache der­rière une cen­dre pour voir pass­er les jours
Voir pass­er des colombes qui ressem­blent au jour des morts dans les îles
Bois dans les bour­gades, où les araignées brouil­lent la résurrection
Reviens tel le père des stries vers chaque embouchure
Reviens après avoir tout vu
Reviens avec un masque qui n’est ni l’air ni le feu
Reviens gavé par tant de lita­nies, sur le point de dyna­miter le faune
Revêts les arbres d’un tour­ment vierge
Apaise les baleines avec des chardons et des rétines décollées
Reviens tel l’enfant loup qui entrait
Avec un plateau plein d’un liq­uide bleu
Dans la pièce qui n’avait pas de sol, rien que les murs et le plafond
Et revenir c’est tou­jours comme si nous avions été coupés de ce mimétisme
Main­tenant il fau­dra que les arbres cherchent un autre nom pour la mort
Et les envols ne pour­ront rien clarifier
Tout creux de mal­heur doit être habité liquidement
Et liq­uide­ment nous habitons ce qui va venir
Comme si on nous con­cé­dait pour l’ultime fois d’entendre la bête sèche et opaque :
Que le jour nous étions libres
Que la nuit un ressort sin­istre nous unissait.
Un miroir lévite dans les cimetières :
De sorte que les tombes du bas se dépla­cent vers le haut
De sorte que les tombes du haut se reflè­tent vers le bas
Et les gens font et défont des valises.

Tra­duc­tion de  Denise Peyroche
pour La Voix des Autres (revue de poésie)

¹ En espag­nol, áni­mas. Comme dans cer­tains pays méditer­ranéens, en Grèce par exem­ple, il était courant au Chili, notam­ment à la cam­pagne, d’allumer des bou­gies là où quelqu’un était mort sur la route ou les chemins. Par­fois, des nich­es en bois, voire en matéri­aux plus solides, étaient con­stru­ites por­tant le nom du mort, la date et les raisons de son décès, par­fois même une pho­to. La croy­ance pop­u­laire affir­mait que l’esprit du mort ― qui n’avait pas trou­vé le repos éter­nel ― venait rôder autour de cet “autel”. Le mot áni­ma désigne cet esprit. Le com­plé­ment “de sel” nous empêchant de traduire ici áni­mas par “âmes en peine” ― dans l’absolu la solu­tion la plus sim­ple ― nous avons du faire appel à “mânes”…

 

SEIZIEME ANNONCE

Nous arrivâmes à la ville redoutable
Où les agneaux se bal­ançaient sur des fils de fer
Des patrouilles de langues fai­saient leur ronde, vieil­lards chauves aux capes noires
C’était notre place de tou­jours, notre cham­bre était dans un ascenseur
Après avoir véri­fié chaque recoin, échafaudé cer­taines allusions
Nous allumâmes des cierges pour le cadavre de la distance.
Nous vîn­mes pour nous couch­er, cop­uler, quelqu’un bougea le levier
Et nous descendîmes dans le souter­rain, les murs étaient différents,
Étaient cou­verts d’étagères,
Qui à leur tour étaient cou­vertes de tubes à essai sales et vides
Par une fente, on entendait des cris, on voy­ait l’ombre d’agneaux qui se balançaient
L’intermittence de ces patrouilles de langues était dans nos bouch­es et dans ton vagin.
De notre cham­bre sor­taient des allu­sions à la pierre et à l’eau,
Elles par­ve­naient dans tous les recoins de la ville.
Je vis tout de toi et tu n’étais que l’innocence de l’éclair sur le lit
Rien d’autre que la grande obscu­rité d’un parc,
Viens te dis-je, ô viens oiseau, avant que la hau­teur ne soit étranglée,
Viens à moi, me dis-tu, parce qu’après que nous nous serons aimés, les nuages
com­pren­dront la déchirure.
Quelqu’un bougea le levi­er, nous remon­tâmes, tu vis tout de moi
La grande obscu­rité d’un parc et moi bâil­lon­né sur la table utérine
Tu vis celui qui voulait par­tir, com­ment le suiv­aient ces vagues
Qu’étaient les char­p­en­tiers dorés,
Com­ment elles lui offraient d’être vu sous tous les angles à la fois,
Pour qu’il puisse ain­si préserv­er mémoire et extinc­tion comme deux vas­es distincts.
Tu vis celui qui voulait revenir, com­ment les vagues éclataient
Et sur le chemin il ren­con­trait des nids insai­siss­ables, des portes et des tatouages,
La grande obscu­rité d’un parc, mémoire et extinc­tion sur la table utérine,
Pen­dant que le sang pre­nait notre mesure.
Nous arrivâmes à la ville red­outable, vite à notre place de toujours,
Nous arrivâmes pour nous couch­er, cop­uler, voir tout de nous,
Ces allu­sions qui sor­taient de la mer,
Parce que la mer était la veille* de nos corps.
Et leur tour arrivait, eux qui nous appor­taient sur des plateaux ces têtes d’agneaux
Têtes ver­tig­ineuses, sans doute,
Goûtez à ce sang, entendait-on par les fentes
Parce que chaque fois que quelqu’un le fait le tour­bil­lon se signe
Essayez de plac­er cette tête d’agneau sur le cadavre de la distance,
Mêlez ce sang au vôtre,
Dis­aient les vieil­lards chauves aux capes noires
Pen­dant qu’on agit à nou­veau sur le levi­er, les murailles changent à nouveau
Par les fentes on entendait com­ment res­pi­rait le brouillard,
Comme si le résul­tat en était des pier­res et des eaux,
Le même que celui de nos corps quand ils dorment
Vous saurez, ô homme et femme, com­ment revenir tant
De l’ange qui griffe le fond de la mer
Que de l’innocence de l’éclair,
Ah en défini­tive de la grande obscu­rité d’un parc
Vous saurez com­ment bouger le levi­er en votre faveur,
Peut-être vos corps ne revi­en­nent-ils pas ensemble,
Juste quand les fis­sures par­don­nent ce qui se passe dedans les nuages
Et que les allu­sions encer­clent par les qua­tre côtés la ville redoutable.

Tra­duc­tion de Pedro Vianna
pour La Voix des Autres (revue de poésie)

* En espag­nol, víspera, au sens de “le jour qui précède”, “la veille”. Nous sommes con­scient que dans ce vers le mot “veille”
est ambigu, mais toute périphrase — “le jour qui précède nos corps” — ou idée proche — “les prémices de nos corps” — créerait
d’autres ambiguïtés, tout en alour­dis­sant le vers. Nous avons donc préféré garder la flu­id­ité du vers, assor­tie de la présente
note. Note du traducteur.

 

 

VEINTICUATROAVO ANUNCIO

A Angye Gaona

“Oh tan­ta ceniza, der­ra­ma­da por la satáni­ca ceniza”
Winett de Rokha

Pones espe­jos enci­ma de los pozos
Para sen­tir sed de tus cua­tro nacimientos
Des­de aho­ra las ruedas son las úni­cas ali­adas de la noche
Recuérda­lo, esta es la fies­ta que mar­chi­ta los árboles
Vienen tus cua­tro nacimien­tos por el cielo
Tú has hun­di­do tu cabeza en los pozos
Hay una cav­er­na cru­ci­fi­ca­da, desan­grán­dose por ser armadura
Estás bajo un cielo que con­funde los espejos
Suben por tus manos cua­tro nacimientos
Duer­mes sobre los espe­jos, sales con una armadu­ra a propa­gar un calvario
de algas
Has saca­do tu cabeza de los pozos
Has amaneci­do al lado de alguien que tiene cabellera de llaves
La cono­ciste en aque­l­la fiesta
Bajo astros que día y noche traf­i­can con la desnudez de los muertos
Oh sed, instruye los vasos, que los espe­jos tra­ba­jan en cada abismo,
De ahí cua­tro nacimien­tos salen ráp­i­da­mente del agua
Los vasos ado­ran la muerte
Alguien con cabellera de llaves espera ser lle­va­da por el mar,
Espera ser acep­ta­da por la rue­da mila­grosa como un ángel y su for­tu­na de hormigas
Cada mañana el mar peina su cabellera de llaves
Es cier­to que estas piedras nacen después que se apa­ga un ángel
Debes dormir sobre ellas, acarí­cialas, siente como cubren para seguir sien­do parte del círculo
Debes ten­er raíces de tor­men­ta, de esas donde todos los ritos son uno
O sino nun­ca sabrás en qué tier­ra sepul­tar a quienes no son de este mundo
O sólo un movimien­to de mares y de cie­los nos hace jinetes elásticos
Lis­tos para verte flotar deba­jo del mar, donde tu ombli­go es apren­diz de brujo
Hay que guardar un poco de sal quemada,
Para cuan­do el amanecer exhale esas estatuas
Sal­go a propa­gar un cal­vario de algas
La rue­da mila­grosa está midi­en­do la noche.
Es tiem­po que mi anil­lo establez­ca un para­le­lo con tu cár­cel arterial
Así me lo pides, cubrien­do tu ros­tro con telas y sal quemada.
Dur­mien­do sobre estas piedras
Flotan­do deba­jo del mar o bien diva­gan­do entre los árboles marchitos
Si los cabal­los cor­ren debe ser para­le­lo a nue­stro llanto
Si los espe­jos tra­ba­jan en el abismo,
Debe ser para­le­lo a ese sop­lo que amar­ra a todas las estatuas
Y las con­duce a implo­rar esa sal quemada
Instruye los vasos, oh mar, con tu ley parpadeante
Sólo en tus olas, se ram­i­f­i­can los enig­mas, se ali­men­tan los sim­u­lacros con párpados
Así está pre­con­ce­bido, tal como el sueño es la humedad de dios
Así está pre­con­ce­bido, tal como el cielo se besa a sí mis­mo den­tro de los espejos
De los cuales salen las águilas con la cabeza sumergi­da en un pozo,
Vue­lan así, sim­u­lan­do ser esas estat­uas que le hicieron cua­tro pechos a la luz,
Los cua­tro pechos que van lev­an­tán­dose en el mar,
Más, hay un anil­lo sedi­en­to rodan­do por la tierra
De pozo a espe­jo hay una donación furiosa
Quién no ha puesto su oído en algún pozo o espejo
Para saber cómo los dios­es per­siguen aque­l­la rue­da milagrosa
Ella agi­ta su cabellera de llaves, y por imi­tar­le la ove­ja amar­ra­da al parrón
Se suelta y lo der­rum­ba y huye con un cír­cu­lo innom­i­na­do en la piel
Amanecer a tu lado sólo se iguala a recon­stru­ir una fuente con nues­tras bocas
Huimos lejos sobre nue­stros cabal­los, pero tropezamos con el rayo
Y para no volver a tropezar con él
For­t­ale­ce­mos aque­l­lo que entra por las estrel­las y sale por las heridas,
Con lla­mas que pare­cen cru­ci­gra­mas, ahí en ple­na noche
Dos armaduras abrazadas son atraí­das por la rue­da milagrosa
La noche ya ha sido medida
La desnudez de los muer­tos es propiedad de la niebla
Un movimien­to de mares y cie­los innom­i­nan aun más al círculo
Las ove­jas agóni­cas tra­gan lla­mas que pare­cen crucigramas
Son amar­radas, y col­gadas nue­va­mente a los parrones
Y lan­zadas con par­rones y todo al acantilado
Para que el cír­cu­lo innom­i­na­do sea ahon­da­do, para que se abri­era y cerrara
Sin necesi­dad de un movimien­to de mares y de cie­los, así sólo
Y qué se puede traer des­de la propia ceguera,
Sino agua, agua que nos pro­tege de los espa­cios inexistentes
Donde las ove­jas cor­ren libres de cas­ta y de sac­ri­fi­cios amarillos
Y no existe nadie que con gri­tos de loca las amarre al parrón
Entonces bajamos y en cajas de ter­ciope­lo guardamos los peda­zos de aque­l­las ovejas
Y los pusi­mos al pie de los espe­jos encadenados
Donde te mirabas cada vez que regresabas de un via­je en barco
Guardamos los peda­zos de aque­l­las ove­jas en cajas de terciopelo
Para que con­stara nues­tra donación
Es la hora de sacar esas cav­er­nas de las cruces
Pon­er­les el man­to enci­ma, un beso de jinete elás­ti­co que las haga
Subirse al bal­ancín para com­pro­bar la sep­a­ración de los cie­los y los mares
Su desan­gramien­to es donación a un espa­cio inexistente
Aunque armaduras y algas se vuel­van un solo cautiverio
Tu ombli­go es apren­diz de bru­jo, cuan­do apare­cen diez o cien o más pozos rodeándote
Toda cár­cel arte­r­i­al yace de paso en los infiernos
Esperan­do que ese anil­lo vuel­va a empu­jar­la de nuevo
Tú lo sabes, después de come­ter la donación más furiosa
Ese tra­ba­jo de espe­jo es equiv­a­lente a ese anil­lo que te hizo entrar a la cár­cel arterial
Esperan­do, sólo esperan­do que el pozo sea lle­va­do por el mar,
Que se rebalse con la desnudez de los muertos
Y que aque­l­la que tiene cabellera de llaves hun­da sus uñas en las estrellas
Porque su cuer­po será de una sola vez ese altar de niebla
Donde lle­garán sin piedad los fue­gos y las aguas a cumplir con cua­tro nacimientos.

VINGT-QUATRIÈME ANNONCE

À Angye Gaona

« Ô tant de cen­dre, ver­sée par la cen­dre satanique »
                                                                                      Winett de Rokha

Tu places des miroirs au-dessus des puits
Pour éprou­ver la soif de tes qua­tre naissances
Dès à présent les roues sont les seules alliées de la nuit
Souviens‑t’en, c’est cette fête qui flétrit les arbres
Tes qua­tre nais­sances vien­nent à tra­vers le ciel
Tu as plongé ta tête dans les puits
Il y a une cav­erne cru­ci­fiée, qui saigne car c’est une armure
Tu es sous un ciel qui trou­ble les miroirs
Par tes mains mon­tent qua­tre naissances
Tu dors sur les miroirs, tu pars avec une armure propager un cal­vaire d’algues
Tu as extir­pé ta tête des puits
Tu t’es éveil­lé à côté de quelqu’un qui a une chevelure de clés
Tu l’as con­nue à cette fête-là
Sous des astres qui jour et nuit trafiquent avec la nudité des morts
Ô soif, instru­is les vas­es, car les miroirs tra­vail­lent dans chaque abîme,
De là, qua­tre nais­sances sor­tent rapi­de­ment de l’eau
Les vas­es adorent la mort
Elle, celle à la chevelure de clés attend d’être emportée par la mer,
Attend d’être accep­tée par la roue mirac­uleuse tel un ange et sa for­tune de fourmis
Chaque matin la mer peigne sa chevelure de clés
C’est sûr que ces pier­res nais­sent après qu’un ange s’est éteint
Tu dois dormir sur elles, caresse-les, sens comme elles cou­vrent pour con­tin­uer à faire par­tie du cercle
Tu dois avoir des racines de tour­mente, de celles où tous les rites sont un
Ou sinon tu ne sauras jamais dans quelle terre ensevelir ceux qui ne sont pas de ce monde
Ou rien qu’un mou­ve­ment de mers et de cieux fait de nous des cav­a­liers élastiques
Prêts à te voir flot­ter sous la mer, où ton nom­bril est un appren­ti sorcier
Il faut garder un peu de sel brûlé,
Pour le moment où le lever du jour exhalera ces statues
Je pars propager un cal­vaire d’algues
La roue mirac­uleuse mesure la nuit.
Il est temps que mon anneau étab­lisse un par­al­lèle avec ta geôle artérielle
Tu me le deman­des, cou­vrant ton vis­age de tis­sus et de sel brûlé.
Dor­mant sur ces pierres
Flot­tant sous la mer ou bien divaguant entre les arbres flétris
Si les chevaux courent, il faut que ce soit en par­al­lèle à nos pleurs
Si les miroirs tra­vail­lent dans l’abîme,
Il faut que ce soit en par­al­lèle à ce souf­fle qui attache toutes les statues
Et les con­duit à implor­er ce sel brûlé
Instru­is les vas­es, ô mer, de ta loi qui bat des paupières
Dans tes vagues seule­ment, se ram­i­fient les énigmes, se nour­ris­sent les sim­u­lacres avec des paupières
Ain­si est-il préétabli, comme le rêve est l’humidité de dieu
Ain­si est-il préétabli, comme le ciel s’embrasse soi-même dans les miroirs
D’où sor­tent les aigles la tête immergée dans un puits,
Volant ain­si, feignant d’être ces stat­ues qui ont fait qua­tre seins à la lumière,
Les qua­tre seins qui se lèvent dans la mer,
Et plus, il y a un anneau assoif­fé roulant sur la terre
Du puits vers miroir il y a un don furieux
Qui n’a pas placé son oreille sur un puits ou sur un miroir
Pour savoir com­ment les dieux suiv­ent la roue miraculeuse
Elle agite sa chevelure de clés, et pour l’imiter la bre­bis attachée à la treille
Se délivre et la ren­verse et fuit avec un cer­cle innom­mé sur la peau
S’éveiller à tes côtés vaut recon­stru­ire une fontaine avec nos bouches
Nous fuyons loin sur nos chevaux, mais nous butons sur l’éclair
Et pour ne pas buter encore sur lui
Nous for­ti­fions ce qui entre par les étoiles et ressort par les blessures,
Avec des flammes qui sem­blent des mots croisés, là, en pleine nuit
Deux armures enlacées sont attirées par la roue miraculeuse
La nuit a déjà été mesurée
La nudité des morts est pro­priété du brouillard
Un mou­ve­ment de mers et de cieux innom­ment encore plus le cercle
Les bre­bis ago­nisantes ava­lent des flammes qui sem­blent des mots croisés
Elles sont attachées, et de nou­veau pen­dues aux treilles
Et jetées con­tre la falaise avec les treilles et le reste
Pour que le cer­cle innomé soit appro­fon­di, pour qu’il se soit ouvert et fermé
Sans qu’il faille un mou­ve­ment de mers et de cieux, rien que cela
Et que peut-on tir­er de son pro­pre aveuglement,
Sinon l’eau, l’eau qui nous pro­tège des espaces inexistants
Où les bre­bis courent affranchies des castes et des sac­ri­fices jaunes
Où il n’existe per­son­ne qui avec des cris de folle les attache à la treille
Alors nous descendîmes et dans des boîtes de velours nous rangeâmes les morceaux de ces brebis
Et les plaçâmes au pied des miroirs enchaînés
Où tu te regar­dais chaque fois que tu reve­nais d’un voy­age en bateau
Nous rangeâmes les morceaux de ces bre­bis dans des boîtes de velours
Pour attester de notre don
L’heure est venue d’ôter ces cav­ernes des croix
De les envelop­per d’un man­teau, un bais­er de cav­a­lier élas­tique qui les fasse
Mon­ter sur la bal­ançoire¹ pour con­stater la sépa­ra­tion des cieux et des mers
Son saigne­ment est un don à un espace inexistant
Même si des armures et des algues devi­en­nent une seule captivité
Ton nom­bril est un appren­ti sor­ci­er, quand sur­gis­sent dix ou cent ou davan­tage de puits qui t’entourent
Toute geôle artérielle gît de pas­sage dans les enfers
Dans l’espoir que cet anneau revi­enne la pouss­er de nouveau
Tu le sais, après avoir com­mis le don le plus furieux
Ce tra­vail de miroir est l’équivalent de cet anneau qui t’a fait entr­er dans la geôle artérielle
En atten­dant, en atten­dant seule­ment que le puits soit emporté par la mer,
Qu’il débor­de de la nudité des morts
Et que celle à la chevelure de clés enfonce ses ongles dans les étoiles
Parce que son corps sera d’un seul coup cet autel de brouillard
Où arriveront sans pitié les feux et les eaux pour s’acquitter de qua­tre naissances.

Tra­duc­tion de Pedro Vianna
pour La Voix des Autres (revue de poésie)

¹ Dans l’original, il s’agit, sans doute pos­si­ble du “jeu de bas­cule” dit aus­si “tapecul” (en espag­nol : bal­ancín), où deux per­son­nes sont impliquées et non de la bal­ançoire (en espag­nol : colum­pio) au sens strict, où l’on est seul.

 

SOIXANTIÈME ANNONCE

  À la mémoire de Cecil­ia González Robles

   “On a brisé le miroir au vis­age outremer” 

                                                                Rober­to Yáñez 

 

J’ai peur de mes pro­pres échos
Le froid abîme les roues du souffle
L’in­com­pris de l’e­space effeuille la lumière
Seuls les enfants pos­sè­dent les roues du souffle
Ils fuient le froid comme des épis nasaux
Que per­son­ne ne me réponde en retour
Il y a des pleurs de pierre sur le néant
Je tombe par peur de mes pro­pres échos
Passent les saisons, passent les lueurs
Je veux remon­ter vers le monde avec les roues du souffle
Con­naître à nou­veau cette nuit
Pen­dant laque­lle les gril­lons sont géants
Les cein­tures se brisent en océans
Notre mur­mure tombe près des pleurs de pierre
Les années ne sont pas sus­pendues à nous, mais aux arbres
Nous sommes devenus souter­rains à cause de nos pro­pres échos
Nous nous sommes ôté un peu de glaise
Et nous te voyons appa­raître sous ce palmi­er stigmatisé
Nous savons alors
Quel sabot galope sur cet incendie
Quel scor­but de bal­ler­ine par­court au galop les satellites
Tu appa­rais ici, juste sous ce palmi­er stigmatisé
Quand ce qui est semé au ciel se récolte dans la vorac­ité du sang lui-même
Tu appa­rais ici et des pleurs de pierre se déversent sur le néant
Le palmi­er stig­ma­tisé se dessèche et devient un balai
Avec lequel jadis on bal­ayait les restes de toute stigmatisation
Toi, tu montes par cet escalier de griffes
Pen­dant que les pois­sons attachent l’oura­gan à ta tête
On ne t’a pas encore sor­ti ta robe de fête
C’est pourquoi un scor­but de bal­ler­ine par­court au galop les satellites
C’est pourquoi un père de cen­dre joue du piano chaque nuit
Et laisse s’é­gout­ter la cen­dre dans le piano
Pour l’ac­corder selon le mur­mure des gril­lons qui, la nuit, sont géants
Nous devîn­mes voraces à cause de ces cein­tures qui se brisent en océans
Nous avons peur de nos pro­pres échos
C’est pourquoi toutes les nav­i­ga­tions voguent au souf­fle du sang
Des pleurs de pierre se sont déver­sés sur le néant
D’où vien­nent ces pleurs de pierre
Si ce n’est du pétale qu’est la nuit sur une seule morte
Devant ce pétale nous ser­rons les lèvres
Devant ce pétale les sub­stances reculent
Devant ce pétale il n’y a pas d’anges vacants,
Il étreint le père de cen­dre, les gril­lons cesseront d’être géants
Je deviens souter­rain pour mes pro­pres échos
Je ne veux pas remon­ter vers le monde
Car les lim­ites des choses veu­lent se suicider
Et l’hori­zon doit se fon­dre avec la terre
Car nous ne savons pas de quelle sépa­ra­tion vien­nent les rivières
Les lueurs se sont enflées comme des fan­tômes de glaise
Les épis nasaux font des ron­des comme des enfants pour éviter le froid
Font des ron­des devant les roues du souffle
Tu appa­rais ici et la lumière s’effeuille
Et des pleurs de pierre se déversent chaque nuit.

   Tra­duc­tion du castil­lan (Chili) : Denise Peyroche

 

QUATRE VINGTIÈME ANNONCE

   À la mémoire de Patri­cio Valera
  

Avant que ne tombe la nuit com­plète nous étudierons les tach­es sur le mur:
   Cer­taines sem­blent des plantes, d’autres des ani­maux mythologiques”

                                                                                                                            Nicanor Parra

 

Les augures tombent avec un para­chute de paupières
Sur la pous­sière qui ne doit plus être réveil­lée chaque matin
Elles font un pas explosif qui nour­rit les pier­res tombales
Un rythme arach­néen hiverne dans nos syllabes
Quelque chose nous regarde de l’in­térieur et ce n’est pas de la poussière
Car la pous­sière a déjà fait son ultime voyage
C’est quelque chose qui vient tel un vol­ume quelconque
De ce ciel empêtré dans tant de dieux
Tel un vol­ume quel­conque depuis que nous avons emplumé l’anonymat
Les modistes tirent le meilleur par­ti de cette déten­tion du ray­on vestibulaire
Des machines ren­ver­sées frap­pent le ciel
Dieu emporte sur son dos toute cette brume
Les augures tombent avec des para­chutes de paupières
On leur a offert des porte-avions de quartz
On leur a offert les machines ren­ver­sées où notre âme est vue avant notre             [nais­sance
Eux, ils ont com­mandé aux modistes un para­chute de paupières
Elles, qui ont tiré le meilleur par­ti de cette déten­tion du ray­on vestibulaire
Ont exé­cuté la commande
Et voilà que les augures tombent
Sur cette pous­sière qui n’est pas ce qui nous regarde de l’intérieur
Ce ne sont pas les restes du jour qui frap­pent le ciel
Portés ensuite par les machines ren­ver­sées dans une décharge
Oh vibra­tion sans ciel,
Les cieux sont issus de cette beauté
Quelque chose nous regarde de l’in­térieur et ce n’est pas de la poussière
Ce n’est pas non plus cette pureté qui ne s’est pas encore habituée à son arc
La pous­sière ne doit plus être réveil­lée chaque matin
Les augures s’ap­prochent main­tenant avec leur para­chute de paupières
Une fois encore le tra­vail des modistes est impeccable
Voyez comme ils pla­nent dans l’air
Voyez le rythme arach­néen hiver­nant dans nos syllabes
Il se fait tard déjà et l’on doit mon­tr­er si les abîmes furent légitimes pour la nuit
On leur a offert un porte-avions de quartz  qu’ils pou­vaient par­faite­ment porter              [en guise de ceinturons
Et plan­er aus­si avec eux
Aujour­d’hui c’est une tanière de machine ren­ver­sée à l’in­térieur des arbres
Gar­dons le silence
Nos âmes vont dévor­er les arbres
Puis nous boirons à cette coupe de gros nuages où notre présence préserve du               [zèle des huiles
Préserve des expul­sions et des disparitions
Nous boirons à cette coupe de gros nuages qui noir­cis­sent plus encore pour que               [nous buvions
Nous boirons tan­dis que les vis­ages pleurent et ces larmes aus­si nous les buvons
Ô dieu toute cette brume que tu portes sur ton dos
Pourquoi cet éclat veut-il  sac­ri­fi­er à la mer?
Dieu tu portes sur ton dos toute cette brume et cette brume court sur ce qui ne              [peut pas te blesser
Regarde nos machines ren­ver­sées dans une tanière à l’in­térieur des arbres
Regarde les augures tombant avec leurs para­chutes de paupières
Sur cette pous­sière qui ce matin ne devra pas être réveillée
Les pier­res tombales nour­ries de pas explosifs
Qui sait pourquoi je pose des feuilles mortes sur toutes les syllabes
Je ne puis extraire tout le rythme arach­néen qui en elles hiverne
Je ne puis t’ex­traire de tout ce dans quoi tu as plongé, je ne puis laiss­er cette
   [ombre épou­van­ter toute histoire
N’im­porte quel vol­ume vient de ce ciel, oh ce ciel empêtré dans tant de dieux
Oh modistes, vous pou­vez faire quelque chose de ce volume
Dans la mesure du pos­si­ble quelque chose de sem­blable à ce para­chute de paupières
  [que vous avez impec­ca­ble­ment fab­riqué pour ces augures
Vous qui avez tiré le meilleur par­ti de cette déten­tion de ray­on vestibulaire
Dites-moi quel prix vous deman­derez et pour quand ce pour­rait-il être prêt
N’at­ten­dez pas que ces machines ren­ver­sées cessent de se retir­er à l’in­térieur des                [arbres
Ni que les augures foulent la pous­sière, ni qu’ils nour­ris­sent des pier­res tombales              [de leurs pas explosifs
Je ne veux pas finir en por­tant une telle brume sur mes épaules
Je ne veux pas de ces restes du jour qui frap­pent le ciel en deman­dant à dieu de
   [se bless­er où il ne peut se blesser
Ni en me met­tant des porte-avions de quartz pour le retour des machines               [ren­ver­sées
Ni en emplumant l’anonymat
Ni en regar­dant de l’in­térieur sans savoir
Si je suis pous­sière qu’on ne réveillera pas ce matin
Ou son dernier voyage.

     Rodri­go Ver­duro Pizzaro
     Tra­duc­tion du castil­lan (Chili) pour La Voix des Autres : Denise Peyroche

 

La Voix des Autres, revue de poésie fondée en 2004 par André Chenet, regroupe des poètes et artistes provenant d’hori­zons très diver­si­fiés, tous reliés par la puis­sance du désir d’ou­vrir des chemins frater­nels et de réduire la béance qui sépare la vie quo­ti­di­enne des aspi­ra­tions humaines les plus éman­ci­patri­ces. Le Cahi­er Cen­tral du numéro 5 daté du 21 mars 2012 est dédié à la poète sur­réal­iste colom­bi­enne Angye Gaona qui a été incar­cérée pour avoir dénon­cé le régime de la ter­reur et les crimes con­tre les droits humains dans son pro­pre pays. Par­mi les auteurs invités à par­ticiper à ce numéro très dense: Nadine Lefebu­re (qui fut une des fon­da­tri­ces de la revue clan­des­tine sur­réal­iste La Main à Plume, en 1940), Mah­moud Dar­wich (nou­velles tra­duc­tions de Kad­er Rabia), Rodri­go Ver­dugo Pizarro (Chili), Jean Pierre Faye, Emmanuelle K., Albert Anor (Suisse), Ernest Pépin (Guade­loupe), Cristi­na Castel­lo (Argen­tine), Jean-Michel Sananès, Alda Meri­ni (Ital­ie), Kad­er Rabia (Kabylie), Ghys­laine Leloup … Le n° 7 paraî­tra en octo­bre 2014. Un numéro spé­cial en hom­mage à Jean-Michel Fos­sey et à sa revue HORS JEU est en cours d’édi­tion et sera pub­lié, selon les dernières volon­tés et indi­ca­tions de Jean-Michel qui, se sachant con­damn­er par sa mal­adie, sous la forme d’une antholo­gie con­cen­trant ce qu’il jugeait de meilleur par­mi les soix­ante numéros qui ont vu le jour, entre Charybde et Scyl­la  entre 1989 et 2009.
La revue en ligne DANGER POÉSIE tient lieu de relais et de creuset aléa­toire de créa­tion à la revue imprimée.

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