HAÏTI

 

in La peau et autres poèmes. Édi­tions Seghers. Paris.2006

 

Sur cette terre sans repos
Indi­ens exterminés
Africains transplantés
L’horreur recommencée

Sur cette terre sans repos
Dis­parais­sent sans écho
Pro­jets à peine éclos
Menteurs tou­jours dispos

Sur cette terre sans repos
Gestes et souf­fle éperdus
Miel et fiel confondus
La vie comme pourfendue

Sur cette terre sans repos
Cousue de cicatrices
Offerte aux sacrifices
La mémoire se hérisse

Dans le scin­tille­ment du langage
Avec des mots de sang, d’orage
Sans peur, sans rancœur,  sans tapage
L’homme vif trans­met son héritage

Passé sondé sans préjugé
Hauts faits juste­ment célébrés
Géno­cides, pil­lages dénoncés
L’his­toire jail­lit transfigurée 

      
in Au pipirite chan­tant et autres poèmes. Édi­tions Mau­rice Nadeau. Paris. 1995

 

Au pipirite chan­tant le paysan haï­tien a foulé le seuil du jour et
        des­sine dans l’air, sur les pas du soleil , une image d’homme en
        croix étreignant la vie
        Puis bénis­sant la terre du vent pur de ses vœux, après avoir
        salué l’azur trem­pé de lumière, il arrose d’o­rai­son la montagne
        oubliée, sans faveur, sans engrais
Au pipirite chan­tant pèse la men­ace d’un retour des larmes
Au pipirite chan­tant les heures sont sus­pendues aux lèvres
        des plantations

Si revient hier que ferons-nous ?

Et le paysan haï­tien enjambe chaque matin la langue de l’aurore
       pour tuer le venin de ses nuits et rompre les épines de ses
       cauchemars
Et dans le souf­fle du jour tous les loas sont nommés

Au pipirite chan­tant le paysan haï­tien, debout, aspire la clarté,
        le par­fum des racines, la flèche des palmiers, la frondaison
        de l’aube
Il déboute la mis­ère de tous les pores de son corps et plonge dans 
        la glèbe ses doigts magiques
Le paysan haï­tien sait se lever matin pour aller ensevelir un songe,
        un souhait
Sur des ter­rass­es vêtues de pour­pre il est hap­pé par la vie, par les yeux
         des caféiers, par la chevelure du maïs se nour­ris­sant des feux
         du ciel
Le paysan haï­tien au pipirite chan­tant lève le talon con­tre la nuit et va
         con­ter à la terre ses mis­ères dans l’an­i­ma­tion d’une chandelle
Et son oreille croit plus à la patience des végé­taux qu’au vertige
         du geste, à l’in­sur­rec­tion des herbages qu’aux prodiges
         du sermonnaire
Car il méprise la mémoire et fab­rique des projets
Il révoque le passé tressé par les fléaux et les fumées
Et dès le point du jour il con­te sa gloire sur les galeries fraîches
         des jeunes pousses

 

in Au pipirite chan­tant et autres poèmes. Paris. Édi­tions Mau­rice Nadeau. 1995

 

Cir­con­venir l’aurore
Et repass­er le temps
Press­er les heures choyées par la brise du bonheur
Comme le fleuve nour­rit ses poissons
Et la forêt ses futaies

Le temps de dire le jour
Ce qu’on découd la nuit

Le temps de coudre la nuit
Ce qu’on délie le jour

Le temps de contempler
Les rides sere­ines de la foi
Les orgues sacrées de la loi
Le temps d’écouter dans cette pâle insom­nie la voix étouf­fée de la vie

 

in Brais­es de la mémoire. Paris. Édi­tions de Janus. 2009

 

Sur la terre, à la fois berceau, havre et tombeau
Je marche
Le talon levé con­tre la misère
Qui flétrit toute vie et ensevelit toute passion

Sur la terre, lieu de ma nais­sance, sub­stance de ma chair
Cou­voir et cercueil
Je con­stru­is un tem­ple en l’honneur du passé

Sur la terre, folie et raison
Hama­da et oasis
Je tisse une écharpe haute en couleurs

Sur cette terre de pulpe et d’ossements
D’oraison et d’incendie, de robots et d’ascètes
La fureur des hommes nour­rit les jardins du ciel

Sur cette terre, cimetière des erreurs humaines
Néces­sité que le châtiment
Réal­ité que la pénitence

Mais la puis­sance de l’imagination
L’ardeur de la prière
La vigueur de la foi
Réveil­lent l’espoir 
Col­orent l’avenir

in Brais­es de la mémoire. Paris. Édi­tions de Janus. 2009

 

À petits pas
Les formes du cré­pus­cule s’évanouissent
L’homme et l’arbre ten­dent le front
L’aube grisante voile l’enfer

Cette joie de vivre éclate
En feuilles, en pétales, en couleurs
Elle monte tel l’ange
Érec­tile par notre seul regard
À la cadence de nos vœux
S’envole
Portée par la flamme du désir
Par le sourire tou­jours repris de l’avenir
Elle libère les cœurs
Fidèles à ses promesses
Acquiesçant à ses éclairs, prêts à la moisson
Accom­pa­gne ceux qui
Déçus par les saisons
Se remem­brent dans l’oraison

À petits pas
L’espérance imprègne paroles et gestes
À petits pas
L’espérance imag­ine, stim­ule, édifie
Rien ne lui est impossible
À nous ses serviteurs
Il advien­dra selon notre foi
L’espérance, à la fois apparence et essence 

Poème extrait de La Terre in Élé­ments. Paris. Édi­tions de Janus. 2008

 

La terre, féconde et nourri­cière, tou­jours généreuse
En per­pétuelle activ­ité, maîtresse de toute vie
Demeure à l’o­rig­ine de toute chose
Sa grandeur ne tient pas seule­ment à sa convivialité
Mais à l’or­dre qu’elle impose dans le chaos ou la pluralité
La terre comme la femme crée l’homme
Mais plusieurs ter­res se parta­gent l’univers
Terre meur­trière et terre d’immortalité
Terre de déso­la­tion et terre promise
Terre pûre et de rétribution
Terre de rédemp­tion comme la terre d’Haïti
Terre sacrée et sacrifiée
Terre mys­tique et scarifiée
Mais aus­si terre de lumière et de prédiction
Garante du ser­ment du Bois Caïman
Elle propul­sa Tou­s­saint à la tête d’esclaves traités comme des bêtes
Cette terre de nais­sance du pre­mier état nègre du monde
Oui, c’est une terre éton­nante, cette terre d’Haïti
Elle accueille et sus­cite tant de mystères
C’est le pays des morts vivants
Pays où s’en­raci­nent des légendes
Où nais­sent de très grandes aventures
Où jail­lis­sent des cris qui ébran­lent les préjugés
C’est le pays d’un homme qui fut à lui seul une nation
C’est le pays de Tou­s­saint Louverture
L’homme des commencements
L’homme-phare au verbe prémonitoire
En me ren­ver­sant on n’a abat­tu que le tronc de l’ar­bre de la
        lib­erté des noirs, mais il repoussera par ses racines car
        elles sont nom­breuses et pro­fondes ʺ
La racine trait d’u­nion entre la terre et l’eau
Per­met à la vie de voy­ager aérienne
L’eau pénètre le sol
Dans ce roy­aume des morts, lieu muet et clos
Indif­férent aux mes­sages var­iés venus du ciel
Elle engen­dre et pro­tège la sub­stance même des espèces végétales
La terre boit pour s’amol­lir, s’alanguir
Et s’ou­vrir aux con­voitis­es des arbres prêts à l’assaut
Toute brèche souter­raine invite à la reproduction
Appelle à la per­pé­tu­a­tion des graines, des semences
La terre une et multiple
Mère, géni­trice et gar­di­enne de tout ce qui respire
La terre mul­ti­plie les dif­férences et les ressemblances
Risquant par­fois de créer la con­fu­sion ou l’anarchie
Comme si elle voulait alert­er le cœur de la connaissance

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