Ma mémoire est en feu dans l’ombre
et brûle : brûle comme l’amadou
le marteau de ma mémoire
qui me dit que je ne suis pas, n’ai pas été
que je suis comme quelqu’un de craché
des lèvres du présent.

Je suis un nid de cendre
où vien­nent les oiseaux
pour chercher la manne de l’ombre
la flèche clouée dans le poème
le bais­er de l’insecte.

L’ombre d’un cyprès dans le froid de l’âme
aide à se sou­venir de la vie qui ne fut pas
et l’effroi pro­fond de se regarder les mains
comme si on était encore un être vivant.


LA FABLE DE LA CIGALE ET LA FOURMI

pour Antx­on-La Her­ra, avec l’affection et les excus­es de
Leopoldo

 

Le soleil illu­mine le linge mis à sécher
– un slip sale, une chemise râpée –
et un squelette bouge dans la cuisine.
Si tu veux regarder, regarde
si tu as voulu faire un spec­ta­cle de la pourriture
et gloire au ver qui ne meurt jamais.
Je suis un homme sans van­ité, et par­fois je me mouche
avec mon tire-jus.
De moi l’histoire ne saura jamais rien
mais je suis con­fi­ant, puisque dehors aboyant
nu, ses mains sai­sis­sant avec fer­meté les testicules,
trem­blant et plein de froid
je vois le sou­venir d’un homme qui eut de la vanité
et voulut con­naître le mys­tère du monde.

CE QUE STÉPHANE MALLARMÉ
A VOULU DIRE DANS SES POÈMES

Ce que le vieux a voulu dire quand déjà la dernière lampe
dans la cham­bre était éteinte
et que le soleil ne nous voy­ait pas, le ser­pent jeté
avec les excré­ments du jour dans le puits du souvenir
dans le som­meil qui efface tout, dans le rêve,
il a voulu dire le vieux que les lois
de l’amour ne sont pas les lois du néant
et que seuls étreints à un squelette dans le monde vide
nous saurons comme tou­jours que l’amour est néant,
et que le néant
étant ain­si quelque chose qui avec l’amour et la vie
fatale­ment rompt, il veut une ascèse
et c’est pour ça qu’une croix dans les yeux, et un
scor­pi­on dans le phal­lus représen­tent le poète
dans les bras du néant, du néant bouffi
dis­ant que même Dieu n’est pas supérieur au poème.

LE FOU QUI REGARDE DEPUIS LA PORTE
DU JARDIN

Homme nor­mal qui pour un moment
crois­es ta vie avec celle de l’épouvantail
tu dois savoir que ce ne fut pas pour avoir tué le pélican
mais pour rien pour être couché ici par­mi d’autres tombes
et qu’à rien sinon au hasard et à aucune volon­té sacrée
de démon ou de dieu je ne dois ma ruine.

HYPOCRITE DE LA JOUISSANCE

« Jois e Jovens n’es trichaire
e Malves­tatz eis d’aqui. »
Marcabru

Un cafard par­court le jardin humide
de ma cham­bre et cir­cule entre les bouteilles vides :
je le regarde dans les yeux et je vois tes deux yeux
bleus, ma mère.
Et elle chante, tu chantes pour les nuits pareilles à la folie,
   tu veilles
avec ta malé­dic­tion pour que je ne tombe pas dans le sommeil,
   pour que je ne m’oublie pas
et sois réveil­lé pour tou­jours face à tes deux yeux,
ma mère.

 

SOLDAT BLESSÉ DANS LE LOINTAIN VIETNAM

 

La mort a vidé mon être, lais­sé mes yeux
si doux et sex­uels comme une jungle.
Chaque fois que je me sou­viens de moi et de ces forêts
la neige du sperme baigne mon front.
L’avion m’attendait comme une menace :
à mesure que la ter­reur s’éloignait
j’ai vu le navire du sens som­br­er entre mes yeux.
Dans cette cham­bre de Wind­ham Street
je ne suis qu’un tir entre les joncs.
Ils dis­ent que là-bas dans les riv­ières, quand descend
le vent obscur de la nuit, un poisson
se sou­vient peut-être de moi.

HOMMAGE À CATULLE

 

Le cul de Sabe­nio chante
il chante et ce n’est déjà plus
la vibra­tion des serpents
(là) mais recueille­ment et mort
et mort :
Le cul de Sabe­nio chante
dans une soli­tude douce et absolue : le cul de Sabenio
dévore dans sa ron­deur le vent
et le tri­an­gle émane de durs troncs
non unquam dig­i­tum inquinare posses
comme l’hiver triste et absolu
    sec et froid
    puri­or salil­lo est
plus pur que le sel, n’attend pas
dans sa carence de temps il s’allège
je ne vis que pour le phal­lus, n’existant que pour lui
miroir qui ne sait pas être seul
mal­gré son irrémé­di­a­ble solitude.
Oh, moi, Sabe­nio j’aime ton triangle
je restreins l’amour, lieu de l’excrément¹
où règ­nent les fées écumantes
dont l’haleine me rend malade les venins visqueux
               Gaius
joyeux dans l’abîme, joyeux dans le suicide
joy of noth­ing­ness : joyeux dans le sui­cide  cattus
Oh, moi, Sabe­nio, j’aime ton triangle
qui brûle d’un feu ter­ri­ble vers le néant (joy)
néant est la joie
la joie est le néant
et dans ce tun­nel obscur
     (ioy)
qu’est ton cul, Sabenio
   oignon
nous dormirons éveil­lés dans la vision stérile
dans ce cul obscur et clair
éveil­lés pour le couteau
dans ce tun­nel obscur.
   Et les arbres (durs troncs)
ser­vaient de fonde­ment au ciel
dia­mants abhor­rés excréments
ter­ri­bles et séparés du monde
    (Embrasse ce cul)
et les sirènes bor­dant la nuit sans yeux.

Oh mère nuage qui n’as pas de poids
Per­son­ne ne prie pour nous.

 

¹ Juan Ramón Jiménez : « l’amour est le lieu de l’excrément »

« venid y seguid­nos a nosotros, que no ten­emos pal­abras para decir »
Saint-John Perse

Cet arbre est pour les morts. Pour per­son­ne d’autre que les morts.
Il grandit, tout-puis­sant sur la terre, comme un cyprès gigantesque
comme un fan­tôme que
des enfants baveux étrein­dront avec frénésie, et cri­ant comme des rats
   Scar­danel­li ! Scardanelli !
Et le sou­venir pue.
Et la vie pue, comme elle est, comme une catin
qui te regarde au moment de se couch­er, et voir entre les draps son
corps infecte
comme une catin
espérant dans un coin de rue pour tou­jours la mort
comme la ren­con­tre en tête à tête avec Jack the Ripper
avec son sou­venir, dans une cham­bre obscure, sans plus de souvenir
de l’humain qu’un poêle et des pieds et un jour­nal chiffonné.
Et que cette ren­con­tre signe ce poème,
ce fœtus d’ange, cette excuse
pour ne pas en finir aujourd’hui avec ma vie.

PROJET D’UN BAISER

Je te tuerai demain quand la lune sortira
et que le pre­mier grèbe me dira son mot
je te tuerai demain peu avant l’aube
quand tu seras au lit, per­due dans tes rêves
et ce sera comme une cop­u­la­tion ou du sperme sur les lèvres
comme un bais­er ou une étreinte, comme une action de grâce
je te tuerai demain quand la lune sortira
et que le pre­mier grèbe me dira son mot
et dans son bec m’apportera l’ordre de ta mort
qui sera comme un bais­er ou une action de grâce
ou comme une prière pour que le jour ne se lève pas
je te tuerai demain quand la lune sortira
et qu’aboiera le troisième chien à la neu­vième heure
au dix­ième arbre sans feuilles ni sève
dont per­son­ne ne sait pourquoi il se tient debout sur la terre
je te tuerai demain quand la treiz­ième feuille
tombera sur le sol de misère
et tu seras une feuille ou une grive pâle
qui revient dans le secret loin­tain du soir
je te tuerai demain, et tu deman­deras pardon
pour cette chair obscène, pour ce sexe obscur
qui aura pour phal­lus l’éclat de ce fer
qui aura pour bais­er le sépul­cre, l’oubli
je te tuerai demain quand la lune sortira
et tu ver­ras comme tu es belle une fois morte
toute cou­verte de fleurs, les bras en croix
et les lèvres clos­es comme lorsque tu priais
ou m’implorais la parole encore une fois
je te tuerai demain quand la lune sortira,
et ain­si dans ce ciel qu’évoquent les légendes
dès demain tu t’inquièteras de moi et mon salut
je te tuerai demain quand la lune sortira
quand tu ver­ras un ange armé d’une dague
nu et silen­cieux devant ton lit blême
je te tuerai demain et tu ver­ras que tu éjacules
quand ce froid passera entre tes deux jambes
je te tuerai demain quand la lune sortira
je te tuerai demain et j’aimerai ton fantôme
et je cour­rai jusqu’à ta tombe les nuits où de nouveau
brûleront dans ce phal­lus trem­blant que j’ai
les rêves du sexe, les mys­tères du sperme
et ain­si ta stèle sera pour moi le pre­mier lit
où rêver des dieux, des arbres, des mères
où jouer aus­si avec les dés de la nuit
je te tuerai demain quand la lune sortira
et que le pre­mier grèbe me dira son mot.

image_pdfimage_print