Choix de Poèmes

Par | 8 février 2016|Catégories : Blog|

 

 

 

 

Ce choix de poèmes est traduit par Nicole Pottier

 

“Con­den­sación de la luz”, Libros de Ale­jan­dría BA — 1998


Cadencia
Cómo fortalecer el borde, 
recuperar a tiempo
la urdimbre, lo oscuro,
cómo ignorar el silencio,
aquello o más allá:
lo que nunca calla.
 Cadence

Com­ment ren­forcer le bord,
récupér­er à temps
la trame, l’obscur,
com­ment ignor­er le silence,
celui-là là-bas ou plus loin :
ce qui jamais ne se tait.

               *

 

Paso a paso 
¿Volveremos a la huella que creímos borrada?
Amanece. Los viejos atisban el recuerdo.
Caminan entre geranios eternos.
Tal vez evoquen los hijos,
otros árboles ya muertos, lejanos,
aquel roble sedoso 
que encontraron apenas despegando
cotiledones de oro.
Era una sombra entre gigantes,
burbujas de magnolia,
lo secreto.
Tal vez repitan las mismas frases
y los hijos tejan redes de vapor
cuando los viejos no intenten entonar
esa olvidada melodía.
Es hora de volver a casa.
Cada tanto él se inclina y le obsequia
secas hojas este otoño.
  

Pas à pas

Revien­drons-nous à cette trace que nous pen­sions effacée ?
Le jour se lève. Les vieux entrevoient le souvenir.
Ils chem­i­nent par­mi des géra­ni­ums éternels.
Ils évo­queront peut-être les enfants
d’autres arbres déjà morts, lointains,

ce chêne soyeux
qu’ils trou­vèrent alors qu’ils venaient de décoller
des cotylé­dons d’or.
C’é­tait une ombre par­mi des géants,
bulles de magnolia,
le secret.
Ils répèteront peut-être les mêmes phrases
et les enfants tis­seront des dédales de vapeur

quand les vieux n’oseront pas entonner

cette mélodie oubliée.
C’est l’heure de ren­tr­er à la maison.
De temps en temps, lui, il s’incline
et l’au­tomne lui offre des feuilles sèches.

                  *

 

Con­den­sación de la luz 

Ya no se tra­ta de partir
sino de atrav­es­ar la propia sombra.
Como más­cara del viento
el ave ocul­ta el vacío en su vuelo.
¿Ina­si­ble vacío?
Lo que emerge hubo de no estar.

Callam­os.
Miramos el agua.
Debería haber algún modo de decir.
Tal vez lo umbrío,
deba­jo del agua,
y más allí,
todavía.  Y más.

Callam­os.
Quizás se trate de partir,
de empren­der otro viaje,
de bor­dear el tiempo.

 

Con­den­sa­tion de la lumière

Il ne s’ag­it plus de partir
mais de tra­vers­er sa pro­pre ombre.
En tant que masque du vent
l’oiseau occulte le vide dans son vol.
Vide insaisissable ?
Ce qui émerge ne devait pas être.

Nous nous taisons.
Nous regar­dons l’eau.
Il devrait exis­ter un moyen de dire.
Peut-être les ombres
dans l’eau,
et plus encore
là-bas. Plus.

Nous nous taisons.
Peut-être s’ag­it-il de partir,
d’en­tre­pren­dre un autre voyage,
de longer le temps.

***

 

 

Demu­da­do”, Aire­dis­eño edi­ciones, Buenos Aires, 2007

 

Otra sal­i­da del sol

Un abu­so del silencio 
delante de mí. 
No apren­demos que 
el olvi­do es nada más 
que el recuer­do de lo mismo.

 

Autre lever de soleil

Un abus du silence
devant moi.
Nous n’ap­prenons pas
que l’ou­bli n’est rien de plus
que la mémoire du même.

               *

De letra

La ausen­cia dice
que hay som­bra que zozobra
por la noche y bus­ca detrás de la palabra
las ruinas por donde cir­cu­la el azar
No hay tiem­po en este tiempo
cuan­do la voz es otra oculta
Dele­treamos ausencia
y no hay
Pero las voces dicen por callar
que bas­ta no decir cuán­to silencio
cuán­to cabe
que no había letra
de sobra
para el nom­bre del padre
de vocal que hace
preposi­ción del abandono
que no dice bas­ta que no
hijo puro espíritu santo

No hay letra para decir no vida
La muerte es otra cosa

 

De la lettre

l’ab­sente dit
l’om­bre qui chavire
la nuit et cherche der­rière le mot
les ruines par où cir­cule le hasard.
Il n’est de temps en ce temps
quand la voix est une autre dissimulée.
Nous épelons l’absence
mais elle n’est pas.
Les voix dis­ent pour se taire
qu’il suf­fit de ne pas dire com­bi­en de silence
ni ce qu’il contient
qu’il n’y avait pas de lettre
en trop
pour le nom du père
de voyelle qui se fait
pré­po­si­tion de l’abandon
pour ne pas dire que cela suffit
sans fils pur ni esprit saint

Aucune let­tre ne dit la non-vie
La mort c’est autre chose

*

Las tablas de la ley

A Del­fi­na Goldaracena

Hay niños como águilas
que inven­tan las gar­ras del tiempo
y tienen las manos como florci­tas austeras.
No con­fi­a­ba madrecita en mis versos
de man­an­tial de agua ines­per­a­da. Desdecían
el escrúpu­lo del hom­bre que sueña
y no da de beber
para ser tam­bién madrecita tuya
y de todos los cie­los de extramuros.
Pero un aire mundano
entor­pece este ince­sante letargo
y la pal­abra es un ale­teo de colibrí.
Yo tra­to madrecita de contar
cuán­tas veces se mueven las alas
en un solo min­u­to. Cansa mirarlo.
Si parece una estat­ua de arco iris
que liba su mis­mísi­mo cuerpito.
Yo soy lo que hice, lo que hago ahora
den­tro de los sig­los que no vienen.
No hay división div­ina diva
madrecita tu ter­nu­ra de horas que con­sumen el futuro.
Nací para serte madre.
No me dejes morir
como el agua que huye río abajo
eter­na entre las piedras y el sol.
No te quemes con este destier­ro a destiempo.
No deste­jas la mor­ta­ja que hicieron mis manos
cuan­do labra­ba la huer­ta de los hijos.
En las mon­edas que guar­da la tier­ra está la palabra.
Y no dirá nun­ca qué soy
cómo llegué al mun­do, cómo me fui.

 

Les tables de la loi

A Del­fi­na Goldaracena

Il existe des enfants tels des aigles
qui inven­tent les griffes du temps,
leurs mains sont comme de petites fleurs austères.

Ma petite mère ne croy­ait pas en mes vers
de source d’eau inat­ten­due. Ils contredisaient
le scrupule de l’homme qui rêve
mais ne donne pas à boire
pour être aus­si ta petite mère
et de tous les cieux hors les murs.
Mais un air mondain
entrave cette inces­sante léthargie
et le mot est le bat­te­ment d’aile d’un colibri.
J’es­saie petite mère de compter
com­bi­en de fois les ailes bougent
en une seule minute. Le regarder fatigue.
On dirait une stat­ue d’arc-en-ciel
buti­nant elle-même son très petit corps.
Je suis ce que j’ai fait et ce que je fais maintenant
dans les siè­cles qui ne vien­nent pas.
Pas de divi­sion divine diva
petite mère ta ten­dresse des heures con­som­mant le futur.
Je suis née pour être ta mère.
Ne me laisse pas mourir
comme l’eau fuyant en aval
éter­nelle entre les pier­res et le soleil.
Ne te brûle pas à cet exil à contretemps.
Ne défais pas le linceul que mes mains tissèrent
quand je labourais le jardin des enfants.
Dans les mon­naies que garde la terre se trou­ve le mot
Et il ne dira jamais ce que je suis
com­ment je suis venue au monde, com­ment je suis partie.

***


 

 

“Sin­taxis del nudo” (aire­dis­eño, Buenos Aires, 2013)

 

Sin­taxis del nudo

Hay nudos entre hombres
que desa­tan sus manos
y nadan como vul­gar alimento
de los peces.
Allí no can­tan sirenas
y el mun­do es un gesto siniestro
de agua y hombre
de vue­los inde­centes que no dicen adiós

Son manos ten­di­das para otros
que no recu­per­aran el cuerpo
de la ausencia

hom­bres manos tientos

nudos llanos
o tal vez el haz de guía que no basta
para lle­varnos a la gloria
de nadar con­tra la corriente
o sudar para decir pan
como benévo­lo alimento

Nadie nada
entre la vida o la muerte
como anudamien­to fla­co y débil
que consuela

Tal vez haya un modo nuevo:
algún día
un her­mano con la piel abierta
donde decen­cia signifique
menos cuer­pos que esperen el día
del juicio final

 

Syn­taxe du noeud

Il y a des noeuds par­mi les hommes
qui détachent leurs mains
et nagent comme de la vul­gaire nourriture
pour poissons.
Aucune sirène ne chante là
et le monde est un geste sinistre
d’eau et d’homme
de vols indé­cents qui ne dis­ent pas adieu.
Ce sont des mains ten­dues vers les autres
qui ne récupèrent pas le corps
de l’absence

hommes mains circonspects

Noeuds plats
ou encore le noeud de chaise qui ne suf­fit pas
à nous men­er à la gloire
de nag­er à contre-courant
ou de suer pour dire le pain
comme bénév­ole alimentaire

Rien ni personne
entre la vie ou la mort
comme nouage faible et mauvais
qui console

Il y aura peut-être une nou­velle manière :
un jour
un frère à la peau ouverte
où la décence signifierait
moins de corps atten­dant le jour
du juge­ment dernier

 

                  *

Refle­jos de los nudos del tiempo

Sogas como arcos de oro bailan en la noche
La gar­gan­ta de las horas es una cuer­da estrellada
que hace la multiplicación
de los panes y los peces
La noche y su rig­or azul
me con­vo­ca jun­to a los engrana­jes de la máquina.
La miro des­de el espejo
tib­ia y cor­rec­ta como una madre
que ama­man­ta su presa
Miro cómo se van entre­cruzan­do los dientes
igual que una fiera hace andar el mun­do a tarascones
No hay nobleza que deten­ga el azar

Lo jus­to cabe en la pal­ma de una mano

 

Reflets des noeuds du temps

Des cordages comme des arcs d’or dansent la nuit
 La gorge des heures est une corde étoilée
qui fait la multiplication
des pains et des poissons
La nuit et sa rigueur bleue
me con­voque ain­si que les engrenages de la machine.
Je la regarde depuis le miroir
tiède et cor­recte comme une mère
qui allaite sa proie
Je regarde com­ment les dents s’entrecroisent
tout comme une bête sauvage fait marcher le monde à coups de morsures
Aucune noblesse n’ar­rête le hasard

Ce qui est juste tient dans la paume d’une main

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Choix de poèmes

Par | 16 octobre 2015|Catégories : Blog|

 

Brévi­aire de sel  (chem­ine­ment en baie d’Audierne)

 

Je marche dans la parole plurielle
D’un pays de haut vol
Qui m’enveloppe au-delà de moi-même
Dans l’ivresse des paluds et les vents

En ce théâtre de grèves et de dunes
Aux rap­pels inces­sants des vents et des lunes
La mer ravale sa bave
Dans une épilep­sie de baleine

Errer, les sens et le corps en éveils
Bre­tagne que je cherche
Avant de me per­dre dans ce monde
D’antiquaires, de folkloristes

Sur la grève la nuit des veuves de marins
Déam­bu­lent dans le silence, s’évaporent à l’aube
Les marées empor­tent leurs pas
Les vents leurs douleurs

La vie se mesure dans le hard rock permanent
Des vagues au tumulte des talus bas
Des chemins languissants
Aux cahote­ments de char­rette invisible

La coag­u­la­tion de l’hiver
L’apoplexie des fer­mes reti­en­nent le temps
Avec la corne­muse des goélands
Quand se taisent les grandes orgues des tempêtes

Les pier­res imi­tent les ani­maux la nuit
Chaque tail­lis sem­ble avancer sournoise­ment vers soi
Les roseaux comme de fines flûtes de cristal
Captent les vents dans un silence chantant

Une oie sauvage sur­git des entrailles de la tourbe
Pour fil­er droit dans un rai de lumière
Ange fac­teur qui livre au ciel
La sup­plique des suicidés

Les mou­vances des vagues ne sont-elles
Que des prières perpétuelles ?
Revenir ici dans le vacarme sourd et continu
Ecouter la longue res­pi­ra­tion du monde

Je marche dans la parole plurielle
D’un pays de haut vol
Qui m’enveloppe au-delà de moi-même
Dans l’ivresse des paluds et des vents 

Extrait du livre Brévi­aire de sel, Les Édi­tions Sauvages, 2013 et du DVD Live à l’Archipel, Foues­nant (à paraître), musique de Yvon­nick Penven.

 

***

 

LA GWERZ¹ DU VENT

 

J’irai vent
tel l’élytre
dans ton exil
         visiter 
tes songes lapidaires
en des fuites intemporelles,
des dimen­sions labiles,
         impalpables.

Pier­res et os
dans l’invisible
         s’accouplent  
        minéralisent 
mon sourire
         d’une microparticule 
                                   de rocher.

Ma peau se desquame
pour le vent
que la pluie sème
aux sil­lons des printemps.

Nuages de points
dans le ciel
que le vent chasse
de ses phrases…
          migrateurs.

Main­tenant jamais,
bien­tôt toujours,
pourquoi suis-je aimanté
          au sol, 
pour courir
dans la présence
          des ancêtres ?

Vent tu sais
la chan­son macabre
de la longue nuit d’hiver,
la can­deur de nos images
sur tes ailes de vit­res fines.

Tu ne peux
saisir l’éclair,
tu t’octroies
          sa gestation.

Les tem­pêtes
célèbrent les soumissions
dans leurs orgues
où s’écartèlent
         les phalènes.

Les esprits
se draguent
dans ses orgies de ciel iodé
où des craies
s’inscrivent… mouettes.

Vent tu t’enivres
dans les ports crépusculaires
d’une gwerz de rouilles.
Tu lègues aux astres
          ton mépris.

Tu attis­es
les yeux de braise
pour empourprer
         la cape nocturne.

Des lam­beaux d’arbres
flagellés
sup­plient la terre
         de leurs doigts.

J’irai vent
tel l’élytre
dans ton exil
         visiter 
            tes songes lap­idaires…  en des fuites intemporelles,
                des dimen­sions labiles,
                    impalpables

 

Extrait de Les Ronces bleues, Blanc Silex édi­tions, 1998, Les Édi­tions Sauvages, réédi­tion aug­men­tée, 2013 et du disque CD Ma seule terre, Aval Avel prod. 2014, musique de Yves Manchec.

¹. Bal­lade, com­plainte, mélan­col­ie en breton.

 

***

 

Le ruis­seau

 

Filet de vie
du ruisseau
coule, coule
limpi­de, fragile
musique frêle
sous les branches
qui tapis­sent l’eau
de l’automne silencieux

Le temps s’écoule
calme, serein
transparent
sur l’onde
timide et claire
qui respire à peine
pour ne pas froisser
l’air si pur

Une demoi­selle bleue
sor­tie de l’invisible
bat ses élytres
où s’arrête le temps
aucune pesanteur
ne sem­ble l’habiter
elle se dilue
dans la brise

Dans ce havre
hors du monde
nul froissement
rien que le doux filet
qui coule, coule
limpi­de, fragile
vers nulle-part
car ici même

telle­ment fluet
que coule, coule
depuis des lustres
le filet d’eau
indif­férent, régulier
il éternise l’instant
quand de la source
nous buvons l’éphémère

Extrait de Paroles pour les silences à venir, Les Édi­tions Sauvages, 2015.

 

***

 

Par l’absence

 

Par le fil de soie
dans le chas de l’aiguille
je tis­serai le rien
du silence fragile

Par le vent doux
je m’envolerai
en un mot d’amour
souf­flé dans le cou

Par l’absence
je serai sans être
une sim­ple caresse
au creux des songes

Par le souvenir
je visiterai
de quelques larmes
les fleurs de ma vie

Par le rêve
je serai histoire
qui s’envolera
dans les pollens

Par effrac­tion
j’habiterai en vous
de mes poèmes
en cellulose

Par oubli
je serai libre
pous­sière d’étoile
dans la multitude

Extrait de Paroles pour les silences à venir, Les Édi­tions Sauvages, 2015.

 

***

 

Je viens de la gwerz ¹

 

Je viens de là, je viens de la gwerz,
du pays de la char­rue qui creuse le sillon
du chant ancestral,
comme un saphir atone
où sur­v­o­lent les mou­ettes glaneuses
couinant les octaves des labours
en gob­ant les lom­brics dans la fête du ciel.

Dans les rumeurs, la glèbe sourit
d’une parole d’ombre et de lumière
quand fleu­rit la moisson.

L’épi mûr est une note de musique
en autant de complaintes
que de douces promesses
dans les vio­lons et les harpes des vents.

Les sen­teurs d’herbe, de mousses,
les vagues jaunes d’été
ont lais­sé place à la rosée d’automne.
Pas d’autre levain
pour la vieille chan­son des champs
que les fumerons dans l’âtre au cidre nouveau
lorsque le sar­rasin en cuisson
réjouit l’enfant aux yeux noisette.
Le faucheur alors peut rêver
sous l’aile de l’engoulevent
en autant d’ailes que de clameurs à venir.

Dans la mélan­col­ie des grandes plaines,
à l’horizon des colzas,
s’asseoir sur une souche,
écouter la gwerz qui s’envole
quand craille la corneille
dans le crépite­ment du soir.

Au mitan du jour,
ça récolte, émonde et pétrit,
l’étable vide respire
alors que le fruit mûr écoule son suc
dans le sang des chemis­es retroussées
pour un juste retour à l’humus
avec la per­le de sueur
bouclant le col­lier des âges.

De la graine aux fer­ments d’incertitudes,
le blues suinte de par les pores
quand les riffs des tempêtes
s’invitent dans la danse
et que volent pétales de branches
comme autant de médi­a­tors de gui­tares agitées
dans la gouaille du diable.

Jabadao² du grand désastre,
rut des tour­bil­lons fous,
qui emporte toi­tures et enchantements,
réduit en tas d’allumettes les appentis,
les loch³  et les doux repaires des trêves,
c’est la gwerz qui s’énerve sur son parchemin.

Je viens de là, je viens de la gwerz,
du fin fond des lan­des et des pluies,
je suis de fro­ment et de luzerne,
de piz­za, de nems et de palmiers
sous les ban­nières du rock, du jazz et du blues,
je suis un nègre boud­dhiste, slave et indien
qui sec­oue le Gwen-ha-du au pas de ses santiags
qui chante ses orig­ines dans le métis­sage des maïs,
des vents apa­trides et des ban­nières universelles.
Je suis de saxo, de bom­barde, de kora,
de chu­penn 4, de per­fec­to, de djellaba,
je n’oublie pas le fer­ment de ma Bretagne,
patrie du rejet des intégrismes,
peu­ple de voyageurs aux mul­ti­ples diasporas
qui con­naît plus qu’ailleurs la valeur de l’accueil
car il se sait venu de la gwerz.

Extrait de Paroles pour les silences à venir, Les Édi­tions Sauvages, 2015. Musique de Yvon­nick Penven.

 

¹. Gwerz : chan­son bre­tonne sous forme de bal­lade, com­plainte que l’on peut com­par­er au blues ou au fado. Dans la tra­di­tion, les gwerzioù sont des bal­lades chan­tées a capel­la, à tonal­ité triste, voire tragique.
². Jabadao : danse bre­tonne tra­di­tion­nelle­ment pra­tiquée dans l’ouest et le sud-ouest de la Cornouaille. Sarabande.
³. Loch : cabane, hutte, niche.
4. Chu­penn : veste en Breton.

 

***

 

Ange de feu

 

De la route de Sacramento
souf­flait la ville blanche,
brouil­lard du Pacifique,
Frisco, frisquet,
monte au ciel de ses onze collines.
L’ange déchu a mor­du la poussière,
de camions en wagons,
ce paria saoul et mystique,
de « race solaire »,
rim­bal­dien jusqu’au désespoir,
a grat­té la pureté
sur la route du glas ¹
de cac­tus en pom­pes à essence,
vers l’Ouest utopique.

Divin sur le promon­toire de la ville
il scrute la lumière d’Oakland
mâchon­nant du raisin sec.

Le clochard de la nuit be-bop
à North Beach,
dans les brumes de marijuana,
invente Jean Genêt
avec des larmes chaudes de benzédrine.
Jazz hot de mots scandés,
de sax en métaphores,
Lester Young et visions de Cody,
le peau rouge bre­ton aux jeans errants
s’es­souf­fle jusqu’à l’aube
rêvant du Vieux Mexique.

Tu auras beau gravir les Rocheuses
chères à Gary Snyder,
attein­dre le ciel, le dharma,
la per­le rare n’est pas pour toi,
barde dévoreur d’infini
au clair de lune.

De tous ces Four Ros­es de mess­es enfumées
jusqu’à ton ascèse à Big Sur,
le chemin mène à la mer
et ta sym­phonie céleste, inachevée,
a enten­du les pois­sons par­ler breton.

Petit Prince de Lowell,
poète beat, béatifié,
vagabond d’amours jetables,
men­di­ant de vie,
con­tem­pla­teur de la démence absolue
de ce monde ORGANISÉ.

Ramasseur de mégots tièdes
sur l’as­phalte pisseux,
cette société a broyé ton humilité
bien plus que les tôles incarnées
de James Dean.

Par­tir pour te fuir à l’ouest de toi-même,
suceur d’é­toiles, rêvassant
en grig­no­tant dans une foire
du maïs gril­lé, une bière à la main.

Dormir, ange soliloquant,
avec le chant des grillons
jusqu’au prélude des oiseaux,
le Voy­age de Céline dans la poche.

Com­pul­sif devant le clavier des mots,
tu as le tem­po des bat­teurs ardents
dans les caves de dingues.
Tu couch­es ta bible
en con­tre­point des notes
toi le rêveur debout
sur l’hor­i­zon­tale partition
de ta Désolation.

Tu as puisé dans la fumée
l’âme pro­fonde de la nuit.

Jack Ker­ouac, beat­man zen,
« dés­espéré lucide », idéaliste
a rem­pli son sac d’amitiés,
Bur­roughs, Gins­berg, Cassady,
dans un long chant tumultueux
et l’odeur crue du poivre
des errances épiques  et des jazz black,
vite comme le jazz,  vite comme je Jack
dans la nuit occidentale,
transcendantale,
gros coeur extatique,
vers l’Ouest, on the road again…

Extrait de Ameri­ka blues, Les Édi­tions Sauvages, 2009 et du CD-DVD Vents solaires, Édi­tion d’Artiste/Aval Avel prod. 2008. Musique de Yvon­nick Penven.

 

 

***

Octo­bre à Montréal

 

Mon­tréal cou­ve un murmure
d’hiver blanc,
érables, cèdres rouges et jaunes
déroulent leurs dernières vapeurs automnales.

Ici et là des octogé­naires-cas­quettes à visières
cir­cu­lent en char­i­ots électriques,
faisant sautiller leurs bedaines
puis par­tent souper à 18 heures.

Le temps est souple,
la non­cha­lance se dilue
dans les sourires, les regards inquisiteurs.
Je bois Molsonex
dans un bar à télé : chiant !
Je vais lire Épiphanie
poèmes d’ Alexan­dre Faustino
dans un petit parc-crottes de chien
dédié à Charles Sandwith¹.

Les mon­des s’imbriquent
dans la tru­cu­lence du Québec
entre chi­ac² et joual³,
frenchy ok,
moi le bre­ton dont on a extir­pé la langue
avant même la naissance,
je me laisse bercer
dans ce « coin » où fluctue
les dif­férences dans l’uni,
la poésie des langages.

Mon­tréal métissée
s’avance vers l’anglophonie
comme jadis le bre­ton vers la France !!?
Où va le rythme de mes entrailles
si j’oublie ses accents
de terre gutturale ?

Ici dans le Centre
ça chante en ren­dant la monnaie,
ça s’hétéroclitise
et…de jeunes hommes priapiques
dansent sur les scènes des bars
pour messieurs buveurs de bières.
Des épous­es respecta­bles, des quidams
dans les rues rectilignes
promè­nent l’ordinaire de leur quotidien
tan­dis que deux gonzess­es se roulent des pelles
devant un taxi impatient.
Un vent de lib­erté s’échappe
de la rue Sainte-Catherine
vers le quarti­er chinois
où des cadres soliloquent
à leurs cellulaires…comme partout,
inexorablement…

À même la rue, la nuit tombée,
quelques couchages respirent,
recou­verts par des chiens husky et autres,
d’où sor­tent des têtes en bonnets
(par­fois jusqu’à – 30 dit-on).
La mis­ère ne peut être pire que la misère !

Un sem­blant de « L’Été des Indiens »
me caresse le front, je chantonne
« Je reviendrai à Mon­tréal » de Charlebois
comme pour jus­ti­fi­er mon départ.
Parc  Émi­lie Gamelin,
six jeux géants d’échecs,
ça joue sous les regards éberlués
de quelques voyageurs en partances
alors qu’une appren­tie Joni Mitchell
folksingue de sa voix aigre d’amerlock made in USA.

L’air humide du Saint-Laurent
me rape la gorge-pastilles au miel,
jolies filles en tee-shirt moulant
face à mon écharpe,
j’y perds mon latin…et mon breton.

Gare de bus pour l’aéroport Trudeau.
Lourd de bouquins mon sac,
des frus­tra­tions, le cœur gros
et mon sirop d’érable oublié à l’hôtel.
Décidé­ment je ne m’accorde aucun cliché
(toutes mes pho­tos seront ratées).
Mon­tréal insoumise, libre et subversive,
je te reviendrai chercher le sirop
de l’histoire…

Extrait de  Ameri­ka blues, Les Édi­tions Sauvages, 2009.

 

¹. Ch arles Sand­with Camp­bell : Ch (1858–1923) célèbre avo­cat, philanthrope.
². Chi­ac : idiome par­lé dans le sud-est du Nouveau-Brunswick.
³. Joual : langue des bums et des faubourgs mon­tréalais, pro­pre à toutes les dis­tor­sions syntaxiques.

 

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Choix de poèmes

Par | 30 août 2015|Catégories : Blog|

 

 c’est au matin dans le parc
après la rosée dans la
reverdie de la lumière
une brume comme si
un feu cou­vait sous la terre

 

*

 

solu­tion

une solu­tion qui fermente
par­mi l’odeur des levures
(les mal­ter­ies sous le vent)
puis se dis­sipe et te laisse
seul, au milieu des vertiges

 

*

 

orage

un san­glot à fond de gorge
un orage qui fermente
et amasse des fureurs

trois gouttes vont s’écraser
sans rafraîchir ta peau
sans aér­er le temps

 

*

 

in altum

cri que tu lèves
quand — ciel trop haut forces épuisables -
il ne faudrait que
baisser
et que toute ta chair soit un cri
qui plonge

 

*

 

la pluie a lavé ciel terre
si tu pou­vais bel orage
rabat­tre comme les poussières
ce front et noy­er les fièvres
mortes du ressentiment

 

*

 

pétri de nuits et de larmes
qui se cuit dans la lumière
au four obscur de la chair
romps-moi ce cœur comme un pain !

 

*

 

à som­met de colline et de jour
(et ce n’est pas midi) il y a
en face à mi-hau­teur de montagne
une lune par­faite­ment ronde et
grosse (et la voilà qui ne prend plus
ses justes dis­tances, c’est fascinant)

ce flanc de la mon­tagne et ces roches
ces arbres nus ces prés de l’hiver
ce ciel peut-être tout cet air couleur
de bor­deaux ; la lumière vineuse
qui répand une coupe de vertige
sur la terre et nos jours, ou de gloire ?

 

*

 

Grünewald

sol­dats cul­butés ou ten­tant l’appui
d’une lame désor­mais vaine
sépul­cre béant d’où il surgit
comme délivré des pesanteurs
(mais il faut voir l’ef­fort des jambes)
bras écartés paumes ouvertes
à élargir la lumière
bouil­lon­nement du linceul
qui se défait sur fond de nuit
et va plus défini­tif qu’au­cune victoire
claquer

 

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Choix de poèmes

Par | 21 juin 2015|Catégories : Blog|

 

chaque fois c’est
la même chose :
on se retourne vers le banc
où à l’instant d’avant
on était encore assis
comme s’il fal­lait y reprendre
un bagage oublié
ou
un sim­ple mot
tombé là par inadvertance
mais le regard a beau remon­ter un peu
à contre-voie
entre coquelicots
& herbes folles
tou­jours se consomme
la même perte éperdue
de soi-même

au moment pré­cis où
les choses se met­tent enfin
à bouger
on est étreint par une hési­ta­tion soudaine
un instant
on ignore même si l’on part
ou si c’est le voisin qui s’en va
&
de ce fait
abrités sous le boucli­er du ciel trop bas
on ne sait plus où l’on en est
ici & là
dans les reflets multiples
qui se répondent
&
s’annulent

dans la trans­parence empressée
de ce qui passe
sans trop peser
d’un seul coup
tout se met à bouger
gen­ti­ment à bouger
dans le gris du décor
le convoi
& l’autre convoi
s’ébrouent
ain­si que le quai
& les bagages qui l’encombrent
& les pas­sagers qui atten­dent leur tour
& le gris du ciel aussi
&
dans ce va-et-vient d’images
celui qui part
&
celui qui reste
se con­tentent de regarder tourn­er le monde
l’un & l’autre
éter­nels pas­sagers de l’équivoque

ici
très vite
la vie devient double
il y a dedans
& dehors
& ça fait drôle cette frontière
qui
sépare & lie en même temps
comme si on disait
« on passe & on ne passe pas »
dans la même phrase

de la vie
on s’en rap­proche pourtant
on s’y devine un peu
fan­tôme ou spectre :
œil pour œil
dent pour dent
dans le même temps
mais absent du dedans
celui qui est là
dehors
hors de nous
& hors de tout

au fond
ce serait commode
de savoir s’il partage
nos émo­tions & nos étonnements
s’il a la même mémoire des choses
& de tout ce fatras que
silencieusement
on a mis en tas
dans les greniers
de rencontre

on voudrait lui demander
à l’autre
s’il ne peut pas nous aider à
faire le tri
à tout remet­tre en ordre
pour déploy­er un peu d’exactitude
dans ces gravats
où tout
s’emmêle sans distinction

mais le reflet refuse
d’être autre chose
qu’un dupli­ca­ta imposé
par cela
qui va inven­tant le monde
le dédou­blant patiemment
d’un aiguillage
à l’autre
& multipliant
ses fantômes
parce qu’ils sont nom­breux ceux qui
voy­a­gent avec nous
emmurés dans le vide
filant & se défilant
vis­sés aus­si à leur image

illu­sion des formes avachies
dont l’œil rend compte
en même temps
qu’il sent ce qu’il a engendré
hors la marche du train

reste la ban­quette sur laque­lle vient se repos­er le regard fatigué par
l’impermanence de ses certitudes


dans la vitre
je vois une main qui écrit
je dis
ce n’est que ma main
ma main recopiée
ma main qui écrit
& qui se voit recopiée
redressée par la courbure
du verre
ma main qui écrit nerveusement
de gauche à droite
& dans l’autre sens
qui écrit ce que je ne parviens plus
à déchiffrer
qui sait ce que je ne sais plus
& qui écrit je ou il sans savoir
qui est qui
sans plus savoir qui je suis
ou qui elle suit
lente­ment défaits
tous les deux
par cette courbure
atten­tive au moin­dre geste
mais étrangement
mensongère

 

 

À chaque jour suf­fit son poème – son petit paquet de mots débités à la va comme je te pousse dans le long étire­ment des heures qui hési­tent à dire leur nom

À chaque jour suf­fit son poème dans la ville ravaudée de pluie et de pièces rap­portées d’on ne sait où

À chaque jour suf­fit son poème jeté sur la lande pour éclair­er nos pas nos pau­vres pas d’hommes qui nous mènent comme ils peu­vent d’un bout à l’autre de la nuit

 

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Choix de poèmes

Par | 28 février 2015|Catégories : Blog|

 

AUX BRAISES DE L’ENTRELACS INITIAL

L’ex­plo­ration du temps à recu­lons par une série d’emboîtements qui font penser à des miroirs est un trem­plin qui per­met d’autres bonds, d’autres plongées qu’une fausse réponse per­due. La pre­mière de ces plongées s’ef­fectue dès la fin du pre­mier écho incantatoire.

 

*

LE CRÉPUSCULE VACILLANT

I

c’est ici
cathé­drales d’eau
elle font frémir les précipices

l’é­corce prométhéenne se fige encore
un phénix naî­tra des ter­rains vagues
des ruines d’un son­net d’huître

 

II

le venin des astres mord le rubis fondant

éclo­sion d’une main
le mime s’écroule

 

III

dans les entrailles d’une étoile un emblème de péril

 

*

 

LA GERMINATION DES SQUELETTES

Toute cel­lule est entière­ment entourée d’une mem­brane et con­tient un cyto­plasme d’ap­parence agréable dans lequel flot­tent nos utopies.
Les objets du quo­ti­di­en fondent l’un dans l’autre, échangent leurs qual­ités sen­si­bles, retrou­vent entre eux plusieurs voies de com­mu­ni­ca­tion semi-liquides.

Les hiéro­glyphes imprévus traduisent l’altéra­tion de la brume,
sus­ci­tent d’autres phénomènes atmo­sphériques prodigieux ou inquiétants,
mais leur cycle repro­duc­tif est con­di­tion­né par la con­tra­dic­tion sociale.

 

*

 

LES RACINES DU MASQUE

sur un dessin de Pas­cale Dubé

 

dans la val­lée médusée
à l’o­rig­ine intense et mortuaire
la pierre inquiète se cou­vre le visage
pour demeur­er cloîtrée longtemps
par­mi les divinités souterraines

 

*

 

JORGE CAMACHO

J’ose cracher sur la mort et je mords le cachot de la joie
Mes mâchoires cassent la cage d’os

Le chaos jauge la roche du mage

 

*

 

L’AUBE PÉTRIFIÉE

à Jacques Lacomblez

les parures du vent
la sève des glaciers
la rosée du vitrail
les bac­téries fos­sil­isées sous la fine écorce cristalline
                               inter­ro­gent le voyageur immobile

 

*

 

GUY ROUSSILLE

la mer et le vol­can s’u­nis­sent au cen­tre de chaque corolle
le dia­gramme d’un fruit s’ou­vre aux érup­tions luxuriantes
le ciel éclot dans l’océan d’une libellule

 

*

 

JORGE KLEIMAN

Au large de son île natale, les immeubles labyrinthiques appa­rais­sent et dis­parais­sent comme des éclats de verre sur la table, ou comme le ray­on­nement d’une noyade.

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Choix de poèmes

Par | 17 février 2015|Catégories : Blog|

 

(Η γήρανση του πληθυσμού σε σχέση με τη συνταξιοδότηση.)
Le vieil­lisse­ment de la pop­u­la­tion par rap­port à la mise en retraite.

 

La vie a de ces montées !
Après, un genre de ter­mi­nus ou d’arrêt
et ensuite le vide. Beau­coup veulent
s’envoler, mais ils restent vis­sés à terre.
Ils exer­cent dif­férents métiers
avec des mou­ve­ments sem­blables. Ils font des enfants
et des maisons. Très peu – une part infime –
demeurent des enfants. Ils cachent
leurs jeux dans le placard.
Le soir ils les mon­trent au démon
qui les suit. Celui-ci rit
avec bon­té, révélant une rangée
de dents blanch­es. Alors que les années passent,
ils sèment des musiques dans leur champ
en regar­dant secrète­ment l’auvent du
ciel, où Dieu créait
des jardins sus­pendus, en fonc­tion de son humeur.
Sans ver­gogne les portes
des caiss­es d’assurance se ferment
— parce que le temps ne se mesure en rien.
Un nuage noir recou­vre la ville.
Les lumières bais­sent, les ombres s’épaississent.
Les hor­loges comptent en se trompant.
Et mon esprit est accroché
à toi, for­mant un angle droit
avec le passé.

Yian­nis Kon­dos, in L’hypoténuse de la lune, Éd. Kedros, 2002.
Tra­duc­tion © Marie-Lau­re Coul­min Koutsaftis

 

 

 

L’orphelinat des mots (Lun­di Pur)*
Το ορφανοτροφείο των λέξεων (Καθαρή Δευτέρα)

 

Dans des salles obscures, des draps blancs
dor­ment des mots grecs anciens d’origine.
Un peu oubliés, un peu plaintifs
ils atten­dent des doigts ten­dres qui les embrassent,
des mères qui les allait­ent, un père qui les cajole.
Ils remuent non­cha­la­m­ment dans leurs lits.
Ils jouent dans la cour : à la balle, à cache-cache
et avec dif­férents instru­ments de musique en cuivre.
Ils ne s’enfuient pas, ils atten­dent patiemment
leur tour d’être adop­tés. Ils boivent bien
leur encre le matin,
ils racon­tent leur his­toire et profitent
du cli­mat tem­péré des phrases
et des ter­mi­naisons. Quelques-uns
plus tard por­tent le noir
et entrent au couvent.
Tous sor­tent dans la vie, se frottent
à la langue, pren­nent des couleurs ou
se con­sument dans le haut-fourneau de chaque jour.
Leurs gènes sont immortels
et ils évolu­ent. Quelques-uns sont décapités
par des épées nég­li­gentes ou par vengeance.
Pour­tant ils repoussent aus­sitôt dans l’esprit.
Petite herbe ton­due tes paroles,
je les entends dans mon som­meil et je jubile.
La bouche dans les œuvres de Samuel Becket
expulse : phras­es, lave, pierres.
Elle par­le et veut communiquer
— vien­dra un fleuve de mots
et il nous noiera.
Les mots sont des four­mis et ils emmagasinent
mes­sages, sig­ni­fi­ca­tions et patrie.
Graviers, sable et eau qui court
dans le ciel, et nous là-dessous
nous crions au mir­a­cle, et Dieu
nous jette des mots en plus.
Nous man­geons, nous nous ras­sa­s­ions et nous parlons.

Garde chez toi des mots en liberté,
pour qu’ils te gazouil­lent, que les man­dariniers partent 
du par­adis et que les voisins soient jaloux.

C’est aus­si sim­ple que ça

.

Yian­nis Kon­dos, in L’hypoténuse de la lune, Éd. Kedros, 2002.
Tra­duc­tion © Marie-Lau­re Coul­min Koutsaftis

* Pre­mier jour du Carême.

 

 

L’accent aigu des amoureux
Ο οξύς τόνος των ερωτεμένων

 

Il neig­era de l’incertitude.
Tu ser­reras les doigts
et tes mots couleront
larmes sur le sol.
Le paysage se déplac­era parallèlement
et la nos­tal­gie du voy­age t’envahira.
Le temps t’as touché à fleur de peau.
— Tes bais­ers de cannelle –
Le paysage s’écroulera
sans un bruit dans le jardin.
Tout sera comme avant :
velours et plus-que-parfait.

Yian­nis Kon­dos, in L’hypoténuse de la lune, Éd. Kedros, 2002.
Tra­duc­tion © Marie-Lau­re Coul­min Koutsaftis

 

 

 

Instan­ta­nés de la peur, extraits.

Le petit, le minus­cule, le point.
C’est le noir qui nous recou­vre et nous unit.

*

Quelque part il fait nuit.
Quelqu’un descend l’escalier de fer,
celui qui tourne, avec une lampe.
Il va vers la lumière du jour à venir.

*

De la pous­sière tombe, quand grin­cent les poutres
du ciel.
Ça nous blan­chit les cheveux.
Non que ce soit une catastrophe,
sim­ple­ment les années passent.

*

Quelque part se cache ton silence.
Allumette enflam­mée, prête à m’incendier.

*

Com­ment l’après-midi perd ses couleurs.
De l’humidité sur un mur qui s’obscurcit :
et tombent les plâtres, les bonne-nuits
et les tempêtes.

*

à Andréas

Quel sauvage ce temps.
On le met en cage
et on l’apprivoise.
Après, dans la maison :
il court, il joue et dort.
Soudain, un jour, il se souvient
de sa vie en liberté
et il nous dévore.

*

Quelles mon­tées, pour attein­dre la mort.
Quels paysages desséchés, quels fleuves noirs,
quelles neiges.
Pour­tant, au fur et à mesure qu’on approche pieds nus
du par­adis, on voit les pre­mières vignes
et tout est oublié – dis­ait un enfant
à un autre.

*

à Thanas­sis

Ah ! Nous devien­drons tous poussière.
Et com­ment vais-je te retrouver
dans le labyrinthe du paradis.

 

in Instan­ta­nés de la peur, Éd. Kedros, Athènes, 2006.
Tra­duc­tions pub­liées dans Ce que sig­ni­fient les Ithaques, 20 poètes grecs con­tem­po­rains, antholo­gie bilingue, Bien­nales des Poètes en Val-de-Marne, 2013, ©Marie-Lau­re Coul­min Koutsaftis

 

 

Η ελάχιστη δύναμη
La force infime

Le petit gazon de mars ressem­ble à tes yeux.
Il n’y a pas d’explication. Comme ça, arbitrairement :
comme des rasoirs, des brins qui tri­co­tent des contes.
Il change de couleur selon les heures et l’angle de la lumière.
On le pié­tine, on le coupe,
mais il pousse et son exubérance effraie le dragon
qui nous men­ace de sa res­pi­ra­tion de feu
et de ses dents tranchantes.

 

Yian­nis Kon­dos, in La ville élec­trisée, Éd. Kedros, Athènes 2008. Tra­duc­tion © Marie-Lau­re Coul­min Koutsaftis

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Choix de poèmes

Par | 6 février 2014|Catégories : Blog|

 

I dag såg eg

I dag så eg
tvo månar,
ein ny
og ein gamal.
Eg har stor tru på nymånen.
Men det er vel den gamle.

 

Aujourd’hui j’ai vu

Aujourd’hui j’ai vu
deux lunes,
une nouvelle
et une vieille.
J’ai grande con­fi­ance en la nou­velle lune.
Mais c’était sûre­ment la vieille.

* * *

 

Ein havmåse

Ein havmåse
var du, og at du
skulde enda slik!
Dei andre let­tar i stormen,
du stend att på eit skjer og skrik.

 

Une mou­ette

Être née
mou­ette, et
finir ainsi !
Les autres là-haut pla­nent dans l’orage,
et toi, per­chée sur ton écueil, tu t’égosilles.

* * *

No er min hug still

No er min hug still
Etter byl­g­ja slo.
Ørnane heim stig
Med blo­da klo.

 

Main­tenant mon cœur est calme

Main­tenant mon cœur est calme,
la vague a fini de frapper.
Les aigles ont repris leur vol,
leurs griffes tout ensanglantées.

* * *

Eg ser du har lært

Eg likar
at du
brukar
få ord,
få ord og
stutte setningar
som driv
i ei skurbye
nedet­ter sida
med ljos og luft
imillom.
Eg ser du har lært
å rigla upp
eit ved­lad i skogen,
godt å leg­g­ja det
i høgdi
så det turkar;
legg ein det lågt og langt,
ligg veden og røytest.

 

Je vois que tu as appris

J’aime bien
que tu
utilises
peu de mots,
peu de mots et
des phras­es courtes
qui descendent
en averses
jusqu’au bas de la page
en lais­sant entre elles
de la lumière et de l’air.
Je vois que tu as appris
à faire
un beau tas de bois dans la forêt,
à le mon­ter haut
pour qu’il sèche bien ;
si tu le ranges trop bas et trop long,
ton bois va pourrir.

* * *

Klunger

Rosene har dei sunge um.
Eg vil syn­g­ja om tornane
og roti, — ho kleng­jer seg
hardt um berget, hardt som
ei mager gjentehand.

 

La rose sauvage

On a chan­té les roses,
moi je veux chanter les épines
et la racine – celle qui s’agrippe
fort à la mon­tagne, fort comme
la main d’une jeune fille maigre.

* * *

I dag kjende eg

I dag kjende eg
at eg hadde laga eit godt dikt.
Fuglane kvi­t­ra i hagen då eg kom ut,
og soli stod blid yver Bergahaugane.

 

Aujourd’hui je sais

Aujourd’hui je sais
que j’ai fait un bon poème.
Les oiseaux piail­laient au jardin quand je suis sorti,
et le soleil était doux sur les collines de Berga.

* * *

Når eg vaknar

Når eg vak­nar, høgg
ein svart ramn i hjar­ta mitt.
Skal eg aldri meir vakna
til hav og stjer­nor, skog­ar og natt,
mor­gon med fuglar?

 

Quand je m’éveille

Quand je m’éveille, un cor­beau noir
bat dans mon cœur.
Je ne m’éveillerai donc plus jamais
à l’océan, aux étoiles, aux forêts, à la nuit,
aux matins pleins d’oiseaux ?

* * *

Daudt tre

Skjori har flutt,
ho byg­gjer ikkje i daudt tre.

 

L’arbre mort

Envolée, la pie !
Elle ne con­stru­it rien dans un arbre mort.

* * *

Enno er det tid

Det er gam­le skuggar
du syng for,
skug­gar av
deg sjølv.

Ufødde syn­er trugar
din dag, – når
skal du gjeva
dei liv?

Enno er det tid,
mein­er du,
– graset er enno
grønt.

 

Il est encore temps

C’est pour de vieilles ombres
que tu chantes,
des ombres de
toi-même.

Des visions jamais nées menacent
tes jours, – quand
leur donneras-tu
vie ?

Il est encore temps,
dis-tu,
– l’herbe est encore
verte.

* * *

Den gam­la dik­taren har laga eit vers

Den gam­la dik­taren har laga eit vers.
Og han er glad, glad som ei siderflaske
når ho um våren har sendt
ei buble frisk kol­syre upp
og er um å spren­ga korken.

 

Le vieux poète a écrit un vers

Le vieux poète a écrit un vers.
Et le voilà con­tent, con­tent comme une bouteille de cidre
quand le print­emps y fait monter
une petite bulle de gaz
et que le bou­chon va sauter.

* * *

Ljåen

Eg er so gammal
at eg held meg til ljå.
Stilt syng han i graset,
og tankane kan gå.
Det gjer ikkje vondt heller,
seg­jer graset,
å fal­la for ljå.

 

La faux

Je suis si vieux
que je m’appuie sur ma faux.
Dans l’herbe elle chante en silence, 
et mes pen­sées vont leur chemin.
Et ça ne fait pas mal,
dit l’herbe,
de tomber sous la faux.

 

Tra­duc­tion : Anne-Marie Soulier
A paraître aux édi­tions PO&PSY 2014

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CHOIX DE POEMES

Par | 26 octobre 2013|Catégories : Blog|

 Con­tri­bu­tion d’Anne-Marie Soulier

MORIBONDE

 

Je suis debout devant le squelette d’une femme. Il est tout grêle, de la même taille que moi et enfer­mé dans une vit­rine. Entre quelques-unes des côtes s’étalent encore les restes de ce qui ressem­ble à un cuir fin, trans­par­ent. Les os des hanch­es ont la forme de coupes. Leur nom latin, os ili­um, est écrit directe­ment dessus en noir. Ils ont peut-être abrité un fœtus, me dis-je. Elle, en
tout cas, a été un fœtus autre­fois, pro­tégé par les mêmes ailes. Mais il y a longtemps. Avant que les os ne dur­cis­sent, que les fontanelles ne se met­tent à pouss­er, et la chair à croître. Elle a dû penser à cela.
Quand la peau était encore ten­due, et qu’elle avait une bouche. Qu’un jour elle serait allongée dans la terre, que des racines de cyprès viendraient s’insinuer entre ses radius, et que ceux qui l’avaient aimée se tiendraient debout devant sa tombe. Il n’en a pour­tant pas été ain­si. Par­don, dis-je tout haut.
Je me détourne, hon­teuse. Passe lente­ment devant l’hippopotame empail­lé à l’œil rusé, la grande grille d’os sus­pendue à une baleine bleue, et sors.
Reste debout, mes pieds de squelette sur l’escalier froid. Regarde les arbres, la terre et le ciel.
Evite de ren­con­tr­er le regard som­bre de quelqu’un d’autre. Arrange mon vis­age en plis obéis­sants, et retiens mes pen­sées par une bride si ten­due qu’elles n’ont aucune chance de s’affoler dans leur petite cham­bre, dans leur peu de temps.

 

 

 

MORIBUND

 

Jeg står foran skjelet­tet av en kvinne. Det er spinkelt, like høyt som jeg og lukket inne i en
glass­mon­ter. Mel­lom noen ribbein strekker det seg fremde­les rester av noe som lign­er tynt,
gjen­nom­sik­tig skinn. Hofte­beina er skål­formede. Det latinske navnet, os ili­um, står skrevet
direk­te på dem med svart skrift. De kan ha skjer­met ut et fos­ter, tenker jeg. Hun har i
hvert fall selv vært fos­ter engang, beskyt­tet av slike hoftevinger. Men det er lenge siden. Før beina hard­net, fontanellen grodde igjen og kjøt­tet vok­ste ut. Hun må ha tenkt på det.
Den gang huden ennå var stram og hun hadde en munn. At hun en gang skulle ligge i jor­da og at røt­tene til sypress­er, skulle kile seg inn mel­lom spole­beina hennes og at de som hadde
els­ket henne skulle stå ved graven. Slik ble det alt­så ikke. Jeg er lei for det, sier jeg høyt.
Snur meg beskjem­met bort. Passer­er lang­somt den utstoppede flod­hesten med det lure øyet
og den store, opphengte bein­grinden etter en blåh­val, før jeg går ut.
Står på skjelet­tføt­tene mine på den kalde trap­pa. Ser på trærne, på jor­da og himmelen.
Unngår å møte noens mørke blikk. Leg­ger ansik­tet i beherskede fold­er og hold­er tanken i en så stram tøyle at den ikke får en sjanse til å gå amok i sitt lille rom, i sin korte tid.

 

                                 I pio­nér­tiden, Aschehoug, Oslo 1994

 

Å VÆRE BLIND, MEN Å SE I EN GLIMT

Jeg har lyt­tet tålmodig til beskriv­elsene av verden.
Jeg har latt meg under­holde av de lange leg­en­dene om form,
om farger.Men ingen kan for­føre meg. Jeg eier kun­skaper om
forskjellen mel­lom hud og jern. Jeg kjen­ner til det særskilte
slek­t­skapet mel­lom vann og silke. Jeg hersker over en galakse
som bare har ett uut­fors­ket område ; den varme klodet bak ditt
øyelokk.
Der­for har jed bestemt meg. Når den omvendte ver­den byr seg
fram, skal jeg ikke gjøre annet enn dette :
Holde ditt hode fast og reise inn i lan­det du kaller Iris.

Opplyst kan jeg vende tilbake.
Bereist.
En jordomseiler
En blind seer.

       I pio­nér­tiden, Aschehoug, Oslo 1994

 

ETRE AVEUGLE, MAIS VOIR EN UN ECLAIR

J’ai écouté patiem­ment les descrip­tions du monde.
Je me suis lais­sé entretenir des longues légen­des sur les formes,
les couleurs. Mais nul ne peut m’abuser. J’en sais beau­coup sur
la dif­férence entre la peau et le fer. Je recon­nais la parenté
par­ti­c­ulière entre l’eau et la soie. Je règne sur une galaxie
qui n’a qu’un seul domaine inex­ploré : la planète tiède der­rière ta
paupière.
C’est pourquoi je suis bien décidée. Que le monde inver­sé vienne à
s’offrir, je ne ferai rien d’autre que ceci :
Tenir ferme ta tête, pénétr­er au pays que tu nommes Iris.

Eclairée je peux m’en retourner.
Arpen­teuse du monde.
Nav­i­ga­trice des terres.
Voy­ante aveugle.

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FUGLER

serafiske
med glin­sende drakter
betrak­ter de våre fjær­løse lemmer
men søk­er oss aldri
for vi er kropper;
eksilets sted i verden

       I pio­nér­tiden, Aschehoug, Oslo 1994

 

OISEAUX

séraphiques
en cos­tumes luisants, les yeux noirs,
ils obser­vent nos mem­bres sans plumes
mais jamais ne nous recherchent
car nous sommes des corps :
le lieu de l’exil dans le monde

 

 

FREMSTØT FRA PROLETARIATET

Det kjennes som om jeg har blått blod i årene
jeg tilhør­er nok aris­tokrati­et, jak­ter rev og hare
leg­ger land under meg, hold­er hoff inntar gal­leri­et og pukker på min rett,
men pro­letaren Død fot­føl­ger meg
det smeller: et vådeskudd, streifer meg bare
det røde blodet avs­lør­er meg, det ytter­ste laget mitt svir
Og adel­skapet står i dobbelt fare
der­for dekker jeg fort til såret,
så lett det har vært å unnslippe
tenker jeg, inntar plassen min igjen
og til tross for at jeg siden bare gir ut små almisser,
skrumper den svære, for­muende framti­da inn.

       Døgn­drift, Aschehoug, Oslo 1998

 

OFFENSIVE DU PROLETARIAT

J’ai bien l’impression d’avoir du sang bleu dans les veines,
c‘est sûr, j’appartiens à l’aristocratie, je chas­se le renard et le lièvre,
j’acquiers des ter­res, je tiens une cour,
j’occupe la galerie et fais val­oir mes droits,
mais la Mort pro­lé­taire me suit pas à pas,
soudain, déto­na­tion : sim­ple coup de semonce, juste une égratignure,
le sang rouge me trahit, ma couche extérieure brûle,
voilà ma noblesse dou­ble­ment en danger,
alors, vite, cou­vrir la blessure,
je m’en suis tirée facilement
me dis-je en reprenant ma place,
et bien que depuis lors mes aumônes soient maigres,
le puis­sant, le riche avenir rétréc­it sans cesse.

 

GUDINNERAPPORT V

 

Ute blafr­er en svær far­makope, arkene er spredd for alle vinder
se, her er ett, blåst høyt opp under mønet. Det klistr­er seg til veg­gen og
jeg hen­ter det inn med stort besvær, tørk­er det foran ovnen, leser
den halvt utviskede resepten:

Å tilberede et pul­ver for lin­dring av vis­nende tid

Trykk et bilde av dron­ning Nefer­ti­ti til ditt bryst.
Ikke tenk på den glat­te huden hennes
munnens bue, de høye kinnbeina, den jade­grønne hodepryden
bare lukk øynene og trykk det til ditt bryst.
Hvis noe drysser ned nå, er det pul­veret — til å inntas eller strøs.

Jeg lukker øynene, åpn­er dem igjen, ser nøye etter, står det virke­lig dette
eller har jeg tatt feil igjen.

      Titan­porten, Gylden­dal, Oslo 2001

RAPPORT DE DEESSE V

Dehors flot­tent les pages d’un énorme codex, feuil­lets offerts à tous les vents
tiens, en voilà un, envolé tout là-haut  sous le faîte. Il se colle con­tre le mur et
je le récupère à grand-peine, le fais séch­er devant le poêle, lis

cette recette à demi effacée :

Pré­pa­ra­tion d’une poudre pour adoucir les flétris­sures du temps

Presse sur ta poitrine un por­trait de la reine Néfertiti.
Ne pense pas à sa peau douce,
ni à l’arc de sa bouche, à ses hautes pom­mettes, à sa coiffe de jade
ferme les yeux c’est tout et presse-le sur ta poitrine.
Si tu sens tomber quelque chose, c’est la poudre — à ingér­er ou à répandre.

Je ferme les yeux, les rou­vre, regarde de près, cela est-il vrai­ment écrit
ou bien me suis-je encore trompée.

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GUDINNERAPPORT VII

Jeg hør­er noen snakke om at Paris har slitt seg og er blitt sett svevende over en skolegård i Fin­land. Det over­rasker meg ikke, jeg har alltid ment at metropo­lene omsider vil løsne og dri­ve nor­dover mot de store deltaene i fin­sk Lappland.
Ryk­tet ans­porer meg til å lese rel­a­tivitet­ste­orien, men jeg forstår lite og ingent­ing klip­per i stedet av håret mitt, det er mørkt og fint og fullt av min­eraler og sporstof­fer så jeg leg­ger det på jor­den i grønnsakbe­det og går i rett lin­je tilbake til året 1410 slenger meg i gres­set for det er som­mer og jeg er i min beste alder og Hades er heldigvis et sted i antikken.

      Titan­porten, Gylden­dal, Oslo 2001

 

 

RAPPORT DE DESSE VII

J’entends quelqu’un dire que Paris a rompu ses amar­res et qu’on l’a vu plan­er au-dessus d’une
cour d’école en Fin­lande. Cela ne me sur­prend pas, j’ai tou­jours pen­sé que les métropoles
finiront par se détach­er pour dériv­er vers le Nord, vers les grands deltas de la Laponie finlandaise.
La rumeur m’incite à lire la théorie de la rel­a­tiv­ité, mais je n’y com­prends vrai­ment rien, et au lieu de ça je taille dans ma chevelure, elle est belle et som­bre pleine de minéraux de traces de matière alors je l’étale sur la terre du car­ré de légumes m’en retourne tout droit vers l’an 1410 me jette dans l’herbe car c’est l’été et je suis dans la force de l’âge et l’Hadès, heureuse­ment, un lieu quelque part dans l’Antiquité.

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GUDINNERAPPORT VIII

Jeg er i ver­den­sriket nå, er midt imel­lom mid­de­lalderen og år tre tusen
det er en fin tid,  jeg har en høy rang, er skinnkledd, rit­uell, smalskuldret
har kon­troll over armadaen og led­er­stilen min er ulik gen­eralenes; den er vin­glete avven­tende. Jeg tar ofte pauser, åpn­er og lukker et rødt lakkskrin nok­så umo­tivert fik­ler med nøk­lene, fik­ler med hov­ed­pla­nen, gnir og gnir på et stykke lyst rav og lar meg avlede av at Bot­ti­cel­li også førte seg med stil, at han malte lyset nøyak­tig slik det så ut da det kilte seg fast i et atri­um i hjem­byen hans eller viklet seg inn i Flo­ras blom­stersmykkede hår — dette lyset som har fore­grepet min tid­salder, som er alde­les uforan­derlig og jeg hør­er etter når det fortelles om de kjente sjøs­la­gene, om Atlas, om rå styrke, om den gang et barnebarns barn spiste opp en hel tallerken hirse. Jeg vok­ter på instink­tene, lysende flekker i det mørke kropp­skos­mos, men alt til sin tid, nå gjør jeg omsider anrop, stå vakt om oss:  Ratio, ratio og ratio! Det er så mange hjelpere; stein­hog­gerne, vev­erne og laserin­geniørene, jeg sam­ler dem om meg, del­er ut felt­sen­ger. La oss sove under åpen him­mel, la oss feire midt­som­mer sam­men, la oss være venner.

      Titan­porten, Gylden­dal, Oslo 2001

 

RAPPORT DE DÉESSE VIII

Me voici dans le roy­aume du monde, à mi-chemin entre le Moyen Âge et l’an trois mille,

cette époque me plaît, je suis une per­son­ne de haut rang, vêtue de cuir, rit­uelle, aux  épaules minces,

je con­trôle l’armada et mon style de com­man­de­ment dif­fère de celui des généraux :  hésitant,

prêt à tem­po­ris­er. Je fais des paus­es fréquentes, j’ouvre et referme sans vrai motif  un écrin de laque rouge,

joue avec mes clefs, avec le Grand Plan, frotte encore et encore un morceau d’ambre  clair et me

laisse dis­traire par l’idée que Bot­ti­cel­li lui aus­si avait son élé­gance, qu’il peignait la lumière exacte­ment comme elle

venait se planter dans un atri­um de sa ville natale ou s’enchevêtrer dans la chevelure ornée de fleurs

du Print­emps – cette lumière qui a anticipé mon siè­cle, qui est absolument

immuable, et je tends l’oreille lorsqu’on par­le des batailles navales célèbres, d’Atlas,

de force brute, du jour où un arrière-petit-enfant a englouti une pleine assi­et­tée de millet.

Je sur­veille les instincts, ces petits points lumineux dans le noir cos­mos du corps, mais tout vient à son heure

et je ter­mine par un appel, veillez bien sur nous : ratios, ratios, tou­jours des ratios ! Les secours

ne man­quent pas, tailleurs de pierre, tis­serands, ingénieurs laser, je les rassem­ble autour de moi, distribue

des lits de camp. Dor­mons sous le ciel ouvert, fêtons ensem­ble la Saint-Jean, soyons amis.

 

 

VEV, MANGEL

Hva er dette, hud­man­gel, horn­man­gel, blodmangel? 
Du går oppreist, stanger og stanger, er bleik og rispet og avsindig, for det er ned­lagt for­bud mot en for hur­tig pas­sas­je, et for­bud mot å dø
og noen lover hold­er deg i tømme, de er de eneste realitetene og loven om å leve til du dør, loven om at du lever for­di det er en grunn til det, er hov­edloven og det er
den strengeste
og lov­giv­eren plager deg, opphold­er deg, og du selv hold­er deg lydig, går hit og dit stryk­er deg langs ukene, årene, går oppreist, fall­er når det er stup­mørkt og påkrevd
og du lukker deg inn og ut, til for eksem­pel for­mø­drene, til tiden da lysene brant, da livet var for­spillet til et uen­delig og uover­skuelig løp, men akku­rat langt nok
og krop­pen var min­dre da, vevet så hvitt og ikke helt viklet ut av mors vev, nå er hun tilbake til stjernene, og hennes mor er også hos stjernene, og elskerne deres kan det bare spekuleres om, om liden­skapen nå er blitt frit­tfly­tende og om det er til det bedre? 
for vevet vis­er seg bare å være til låns, mod­ervevet er borte, olde­mor­vevet, kjærestevevet er borte, ditt er det eneste som er igjen, utvokst, nesten vis­nende og det er ikke snakk om å forstå, det er ikke snakk om å kreve noe, for eksem­pel varighet eller å få førstevevet tilbake, eller å få løfter om evighet.

      Titan­porten, Gylden­dal, Oslo 2001

 

TISSU, MANQUE

De quoi s’agit-il, manque de peau, manque de corne, manque de sang ?
Tu vas bien droite, donnes des coups de corne, encore, encore, livide égratignée déli­rante car il est stricte­ment inter­dit de franchir trop vite le pas­sage, inter­dit de mourir
et il est des lois qui te brident, elles sont les seules réal­ités et la loi de vivre jusqu’à ce que tu
meures, la loi qui t’oblige à vivre parce qu’il y a une rai­son à cela, est la loi fon­da­men­tale et c’est la
plus forte
et le lég­is­la­teur te tour­mente, te retient, et tu t’entretiens toi-même dans l’obéissance, tu vas et viens, frôles au pas­sage les semaines, les années, tu vas bien droite, tu tombes sous les con­traintes ou lorsque l’obscurité est un gouffre
et tu pass­es d’un état à l’autre pour retourn­er par exem­ple aux aïeules, au temps où brûlaient les lumières, où la vie était le prélude à un bond sans fin aux lim­ites invis­i­bles, mais juste de la bonne longueur
et le corps était plus petit alors, et le tis­su si blanc et pas encore dégagé du tis­su de la mère, main­tenant elle est retournée aux étoiles, et sa mère elle aus­si est par­mi les étoiles, et de leurs amoureux on ne peut rien savoir, que se deman­der si leur pas­sion s’épanche enfin libre­ment et si cela vaut mieux ?
car le tis­su finale­ment n’est qu’un prêt, dis­parus le tis­su de la mère, le tis­su de l’aïeule, dis­paru le tis­su du bien-aimé, il ne reste que le tien, devenu trop petit, presque fané et il est vain de vouloir com­pren­dre, vain d’exiger quoi que ce soit, ni durée par exem­ple ni retour au tis­su pre­mier, ni promess­es d’éternité.

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KJÆRE GUILLAUME APOLLINAIRE

Om hun­dre år er all ting glemt, unntatt: mon cœur pareil á une flamme renversée
for hjertet skal ikke dekkes til og ikke noe skal ha kallenavn, alt skal tre fram i sin naturlige velde; krage­bein, skul­derblad, hofteskål, bryst­bein og
hjerte etter hjerte skal bli omvendte flam­mer, i rødt og gult skal de brenne og vi
skal virvle, være jor­dens frem­ste dervis­jer – udødelige, til alt beg­yn­ner å falle rundt oss: snø, kro­n­blad, aske
men vi skal virvle – tilmålt, lenge og vi skal bestride at hjertene er blitt
formins­ket, grelt mis­far­get, stilis­ert og modernisert
å tro på det ville være en av de mange feilene –
ja, kan­skje selve kardinalfeilen.

      Titan­porten, Gylden­dal, Oslo 2001

 

CHER GUILLAUME APOLLINAIRE

Dans cent ans tout sera oublié, sauf : mon cœur pareil à une flamme renversée
car rien ne doit cou­vrir un cœur, et rien ne doit avoir de nom pro­pre, tout doit avancer de par sa force naturelle :
clav­icule, omo­plate, fos­se ili­aque, ster­num et
cœur après cœur doivent devenir des flammes ren­ver­sées, brûler en rouge et jaune, et nous
devons tournoy­er, être le pre­mier rang des der­vich­es de la terre – immor­tels, jusqu’à ce que tout se mette à tomber autour de nous : neige,
pétales, cendres,
mais nous devons tournoy­er – longtemps, mal­gré le temps comp­té, et con­tester que les cœurs aient été
dimin­ués, peints de couleurs trop vives, styl­isés et modernisés
croire cela serait l’une des nom­breuses fautes –
oui, peut-être bien la faute cardinale.

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VI HAR KANSKJE SOVET OSS GJENNOM LIVET

Vi har kan­skje sovet oss gjen­nom livet
flakket søvng­jenger­ak­tig omkring fra kjærlighet til kjærlighet
mum­let oss inn i språkets allmakt
drømt oss mot virke­ligheters utkant
glidd ut av døgnet, ut av decenniet.

Kan­skje skal vi våkne opp på dødens terskel med asurøyne
med alle som­renes gul­loblater i munnen
vil­lig gi oss selv tilbake til jor­den i gave
ja, vi vet det med sikker­het nå: framti­den skal få oss
de umælende fårene og de varmekjære sikadene skal vitne om det og
fra offer­st­edets høyeste punkt
skal svart­trosten, uten en flekk av synd
syn­ge og synge.

      Par­adis­ef­fek­ten, Gylden­dal, Oslo 2003

 

NOUS AVONS PEUT-ÊTRE TRAVERSE LA VIE EN DORMANT

Nous avons peut-être tra­ver­sé la vie en dormant,
som­nam­bules errant d’un amour à l’autre,
bafouil­lant notre admis­sion dans la toute-puis­sance du langage,
nous rêvant nous-mêmes jusqu’aux bor­ds de la réalité,
glis­sant hors du cycle des jours, hors de la décennie.

Nous nous réveillerons peut-être au seuil de la mort avec des yeux d’azur,
avec dans la bouche les oboles d’or de tous les étés,
pour docile­ment nous ren­dre à la terre, comme un cadeau,
oui, nous en sommes sûrs main­tenant : l’avenir nous prendra,
en témoigneront les mou­tons sans paroles, les cigales épris­es de chaleur, et
du plus haut du lieu du sacrifice
le mer­le, pur de tout péché
chantera, chantera.

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JEG OPERERER PÅ MITT EGET HJERTE
ETTER PLANSJENE I DE GAMLE ANATOMIBØKENE

Jeg oper­erer på mitt eget hjerte etter plan­sjene i de gam­le anatomibøkene.
Det blir et søl som ven­tet, patetisk, og når jeg får et øye­b­likks offentlig
opp­merk­somhet snakker jeg inn i en mikro­fon om at varul­ver er en utdøende
rase, om at Tran­syl­va­nia ikke lenger er med i den europeiske union, om Bleulers
nomen­klatur og utidi­ge kryssek­saminer­inger, om at håret er som en høys­takk, og at
elskerne mine…
Noen stop­per meg her og tørk­er opp og hold­er hen­dene mine fast, men
etter­på fort­set­ter jeg med å fortelle:
At alt i virke­ligheten er så lett å utholde, ekstasen eller helt van­lige magre år
å være alene, å være dron­ning, å abdis­ere, å kro­ne seg selv
å abdisere…

      Par­adis­ef­fek­ten, Aschehoug, Oslo 2003

 

J’OPERE MON PROPRE CŒUR
D’APRES LES PLANCHES DES VIEUX BOUQUINS D’ANATOMIE

J’opère mon pro­pre cœur d’après les planch­es des vieux bouquins d’anatomie.
Comme prévu, il y a là-dedans une saleté à faire pitié, et quand j’obtiens un moment d’attention
du pub­lic  j’annonce au micro que les loups-garous sont une race
éteinte, que la Tran­syl­vanie a quit­té l’Union Européenne, je par­le de Bleuler de sa
nomen­cla­ture et des con­tre-inter­roga­toires inop­por­tuns, je dis qu’une chevelure est pareille à une meule de foin, et que
mes amants…
Ici quelqu’un m’arrête éponge le tout et me tient solide­ment les mains, mais
ensuite je me remets à raconter :
Qu’en vérité tout est telle­ment facile à sup­port­er, l’extase comme l’ordinaire des années maigres
être seule, être reine, abdi­quer, se couron­ner soi-même
abdiquer…

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DET ER HIT JEG ER KOMMET,
OG JEG VENTER MEG INGENTING

Det er hit jeg er kom­met, og jeg ven­ter meg ingenting
ikke lykke, ikke å forstå evigheten.
Vil bare sette ut stedets og tidens søkker
puste så lenge det er nødvendig
holde ett og ett for­mu­lar opp mot lyset.
For krop­pen har slitt seg igjen
er lastet med hjerne­masse, kalk og galle
den fly­ter til lands og til vanns mot ver­dens utkan­ter og
sult tvinger meg til slutt til å spise stjerner.
Jeg eter dem rå.
Det er den sjuende dagen, på fir­ma­mentet står ennå noen urørt tilbake
et stykke av Vir­go og heldigvis hele Coro­na Borealis.
Kon­so­nan­tene står i sine bokser, tal­lene i sine rekker,
men alt dette er usikkert, elek­trisiteten gnistr­er langs
kob­berveiene, i mag­ne­sium­brikkene og sølvn­odene og
vi er blindpassasjerer.

Jeg klar­er å stotre frem: jeg elsker deg.
De fordøyde stjernene lyser opp mage­sekken og del­er av bekkenbeinet.
Jeg tar deg i hån­den, hold­er om hodet ditt.
Er du blind, spør jeg, har døden slått deg blind.
Selv er jeg blitt nesten stum av å reise slik.

      Par­adis­ef­fek­ten, Aschehoug, Oslo 2003

 

 

JE SUIS PARVENUE JUSQU’ICI, ET JE NE M’ATTENDS A RIEN

Je suis par­v­enue jusqu’ici, et je ne m’attends à rien,
ni au bon­heur, ni à com­pren­dre l’éternité.
Je veux seule­ment laiss­er descen­dre le petit plomb du lieu et du moment
respir­er aus­si longtemps que nécessaire
regarder à la lumière un for­mu­laire après l’autre.
Car mon corps s’est à nou­veau épuisé,
alour­di de la masse du cerveau, de cal­caire et de bile
il flotte sur terre et mer jusqu’aux con­fins du monde, et
la faim pour finir me con­traint à manger des étoiles.
Je les avale crues.
C’est le sep­tième jour, au fir­ma­ment il en reste quelques-unes d’intactes
un morceau de la Vierge et heureuse­ment toute la Couronne Boréale.
Les con­sonnes debout dans leurs boîtes, les chiffres bien en rangs,
tout cela reste incer­tain, l’électricité fait des étin­celles le long
des chemins de cuiv­re, dans les atom­es de mag­né­si­um et les nœuds d’argent, et
nous sommes des pas­sagers clandestins.

J’arrive à bal­bu­ti­er : « Je t’aime ».
Les étoiles digérées éclairent mon estom­ac et quelques par­ties du bassin.
Je te prends par la main, je tiens ta tête entre mes doigts.
Je demande : « Es-tu aveu­gle, la mort t’a‑t-elle ren­du aveugle ?
Moi-même ce voy­age m’a ren­due presque muette.

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PLUTSELIG VELTER SOLEN INN I HUSET,
GUL, VARM OG MEKTIG

Plut­selig vel­ter solen inn i huset, gul, varm og mektig.
Lyder kom­mer som bestilt fra jor­dens indre eller fra den emal­je­fargede himmelen:
en høy sopransak­so­fon, noen meis­er, tele­fo­nen som ringer og stem­men din er helt lik en hekse­dok­tors. Den kur­erer meg over lange avs­tander og opp fra jor­den skyter spirene, jeg leg­ger føde­varene fram: dadler, kål og druer. Jeg gjør et slags karsens tegn, brekker løs stilk­er av basi­likum og salvie. Sten­gler og blad er saft­spente som om det skulle være tidlig som­mer, og jeg bland­er urter og egg, er sul­ten igjen, får aldri nok av denne tilbakeven­dende hungeren.

      Par­adis­ef­fek­ten, Aschehoug, Oslo 2003

 

 

SOUDAIN LE SOLEIL SE PRECIPITE DANS LA MAISON, CHAUD, DORE, PUISSANT

Soudain le soleil se pré­cip­ite dans la mai­son, chaud, doré, puissant.
Des bruits sur­gis­sent comme sur l’ordre des entrailles de la terre, ou du ciel aux couleurs d’émail :
un saxo sopra­no aigu, quelques mésanges, la son­ner­ie du télé­phone, et ta voix, tout à fait celle d’un rebou­teux. Elle me guérit par-delà de longues dis­tances, de la terre jaillissent
des pouss­es nou­velles, j’étale des vivres autour de moi : dattes, choux, raisins. Je les bénis d’un signe de cresson,
brise des queues de basil­ic et de sauge. Tiges et feuilles sont gorgées de sève comme au
début de l’été, et je mélange des herbes et des œufs, j’ai à nou­veau faim, je ne peux me ras­sas­i­er de cette faim revenue.

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KUBBER DAGGERTER HUGGERTER

… KUBBER DAGGERTER HUGGERTER HAKKER REVOLVERE SVOVELSYRE KNIVER ØKSER HELLEBARDER CYANID BATONGER DOLKER HAGLER KANONER LANSER  RIFLER KÅRDER  DRIVMINER  SABLER BAZOOKAER  FLORETTER  KULESPRØYTER ATOMBOMBER  KARABINER  SIGDER GIFTGASS  MUSKETTER  TORPEDOER  KRUMSABLER SPRETTERTER  NAPALM FLINTBØSSER HÅNDGRANATER  LUFTPISTOLER DDT MAGNETMINER MITRALJØSER TANKS  MASKINGEVÆR  LANGBUER  SJØMINER  MUSKEDUNDRE  MAUSERE

…stemmes­pal­ten, lærhu­den, lym­feknuter, kapil­lærsløyfer, lende­hvirv­lene, meniskene syn­ovialled­dene, lille­hjer­nen, gli­a­celler, binyre­barken, Bow­manns kapsel, månebenet, pupillen, urin­ledere, neseskilleveg­gen, bakhode­lap­pene, blind­tar­men, hal­sar­te­rien, kraniehulen, portve­nen, Merkels skive, jom­fruhin­nen, vis­dom­stennene, under­tungek­jerte­len, kre­mas­ter­muske­len, tårebenet, sinusknuten, tarm­beinslen­de­muske­len, reg­n­bue­hin­nen, eustachiske rør, pyra­mide­lap­pen, mitralk­laf­fen, kilebenet, hjerteposen, kuleledd, ribbe­brusk, isse­lap­pen, pul­sår­er, skred­der­muske­len, indre ankelknoke…

SENNEPSGASS HARPUNER BRANNRØR LANDMINER SLEGGER  NØYTRONBOMBER ARSENIKK PANSERGRANATER GILJOTINER DYPVANNSBOMBER JAKTKNIVER GRANATKARDESKER MACHETER FLAMMEKASTERE  HYDROGENBOMBER LUFTVERNKANONER SALONGGEVÆR KRYSSERRAKETTER SALPETERSYRE KØLLER BAJONETTER KAMPVOGNER STILETTER SLAGSVERD KASTESPYD STOKKER SLYNGER LANSETTER   SKALPELLER   NERVEGASS   KLASEBOMBER …

      Par­adis­ef­fek­ten, Aschen­houg, Oslo 2003

 

BILLOTS DAGUES COUTELAS

… BILLOTS  DAGUES  COUTELAS  PIOCHES  REVOLVERS  ACIDE SULFURIQUE  COUTEAUX  HACHES
HALLEBARDES  CYANURE  GOURDINS  POIGNARDS  CHEVROTINES  LANCES  CARABINES
RAPIÈRES  MINES FLOTTANTES  SABRES  BAZOOKAS  FLEURETS  MITRAILLETTES  BOMBES ATOMIQUES
ESCOPETTES  FAUCILLES  GAZ ASPHYXIANTS  MOUSQUETS  TORPILLES  CIMETERRES  CATAPULTES
NAPALM  FUSILS À SILEX  GRENADES À MAIN  PISTOLETS À AIR  DDT  MINES MAGNÉTIQUES
MITRAILLEUSES  TANKS  FUSILS-MITRAILLEURS  ARCS  MINES SOUS-MARINES  TROMBLONS  MAUSERS

… la glotte, le derme, gan­glions lym­pha­tiques, nœuds capil­laires, les vertèbres lom­baires, les ménisques,
les artic­u­la­tions syn­oviales, le cervelet, cel­lules gliales, glan­des sur­ré­nales, cap­sules de Bow­man, l’os lunaire,
la pupille,  ure­tères, la cloi­son nasale,  les lobes occip­i­taux,  l’appendice,  la carotide,
la cav­ité crâni­enne, la veine porte, le disque de Merkel, l’hymen, les dents de sagesse,
les glan­des sub­lin­guales,  le mus­cle cré­mas­ter, les glan­des lacry­males, le nœud sinusal,
le mus­cle psoas, l’iris,  trompes d’Eustache, le lobe pyramidal,
les valvules mitrales, l’os cunéi­forme, le péri­carde, artic­u­la­tions sphéroïdes, car­ti­lages costaux, le lobe par­ié­tal, les artères,
le grand adduc­teur, la mal­léole interne…

GAZ MOUTARDE  HARPONS  LANCE-FUSÉES  MINES TERRESTRES  MARTEAUX-PILONS  BOMBES À NEUTRONS  ARSENIC
GRENADES ANTICHARS  GUILLOTINES  TORPILLES SOUS-MARINES  COUTEAUX DE CHASSE  SHRAPNELLS
MACHETTES  LANCE-FLAMMES  BOMBES À HYDROGÈNE  CANONS ANTIAÉRIENS   CARABINES DE FOIRE
MISSILES ANTI-CROISEURS   ACIDE NITRIQUE   BAÏONNETTES TANKS  STYLETS 
GLAIVES  JAVELOTS  CANNES  FRONDES  LANCETTES  SCALPELS  GAZ PARALYSANTS 
BOMBES EN GRAPPES…

 

 

JEG KAN HVA TID SOM HESLT BLI GREPET AV EN PLUTSELIG
UDØDELIGHETENS GALSKAP

Jeg kan hva tid som helst bli grepet av en plut­selig udøde­lighetens gal­skap og
også bli besatt av alle de liv som til nå er gått med.
Besatt av at jeg selv har over­levd, av dagene som eter de elsk­ende opp
av den uop­phørlige avlyt­tin­gen av krop­pens røde indre.
Jeg er blitt gal, men er beskyt­tet mot nor­davin­den og er omgitt av varsler.
Kneskå­lene er fylt av sølv og blod­vann. En nattmester mess­er og en mamma
står bøyd over meg.
Om dagen er håret hennes dekket av et tranebær­far­get skjerf.
Om nat­ten henger det ned i ansik­tet mitt mens hun våk­er over meg, og det er nå
mens jeg som novise lig­ger og prøver ut mitt frem­tidi­ge død­sleie, det er nå
i den korte stun­den det var­er før hun ten­ner en lampe og det glimter
i en inn­fat­tet stein hun bær­er i øret, at vars­lene tar form.
Det er her i sonen mel­lom barn­dom­men og guds rike at hun gir tegn til nattmesteren og liv­giv­eren, og rom­met utvider seg på ny til et større rom
der jeg skal våkne opp og forelske meg igjen, forlove meg.

      Par­adis­ef­fek­ten, Aschehoug, Oslo 2003

 

 

JE PEUX N’IMPORTE QUAND ETRE SAISIE
D’UNE FOLIE SOUDAINE D’IMMORTALITE

Je peux n’importe quand être saisie d’une folie soudaine d’immortalité et même
pos­sédée par toutes les vies qu’à ce jour j’ai frôlées.
Pos­sédée par l’idée d’avoir survécu, par les jours qui dévorent les amants
par l’écoute inin­ter­rompue du rouge dedans du corps.
Je suis dev­enue folle, mais je reste pro­tégée du vent du nord et entourée d’avertissements.
Mes rotules sont emplies d’argent et de sérum. Un veilleur de nuit dit la messe et une maman
se tient penchée sur moi.
Le jour ses cheveux sont cou­verts d’un foulard couleur d’airelle des marais.
La nuit ils tombent sur mon vis­age quand elle veille sur moi, et c’est maintenant
tan­dis que novice allongée j’essaie mon futur lit de mort, c’est maintenant
juste avant qu’elle n’allume la lampe qui fera luire
la pierre ser­tie qu’elle porte à l’oreille, que l’avertissement prend forme.
C’est là, dans cette zone entre l’enfance et le roy­aume de Dieu, qu’elle fait signe au veilleur de nuit
au don­neur de vie, et à nou­veau la pièce s’élargit et devient une vaste chambre
où je vais m’éveiller pour tomber amoureuse encore, me fiancer.

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UNDERVEIS MÅ JEG HA SNUDD OM PÅ TALLENE

Under­veis må jeg ha snudd om på tal­lene og automa­tisk og med sikker skrift har jeg skrevet 3002 i stedet for 2003. Jeg tar det uten videre som et tegn på at det vil bli sant at vi skal være der sam­men, en aprildag ett tusen år fram i tid.

Jeg skriv­er april 3002. Skjærene hold­er et spetakkel over trær og hus­tak. Far­gen på det nye gres­set er eldgam­mel, men det leg­ger sitt unge pig­ment rundt oss. Det er like etter de store rev­o­lusjon­er. Vi har over­levd og har lært så mye, blant annet hvor­dan vi kan være for­bun­det. Vi risik­er­er fremde­les at det vil være lysår mel­lom oss, men avs­tandene vil kunne overvinnes i løpet av sekun­der og ved hjelp av tankens klarhet og hjertets renhet.

For sikker­hets skyld man­er jeg der­for allerede mine og dine atom­er inn i en ny inkar­nasjon, for jeg vil ikke gå glipp av dise fram­tidi­ge forbindelsene, av skjærenes elleville lek under den enorme vårhim­me­len, av at ver­den ennå vil strutte av liv.

      Par­adis­ef­fek­ten, Aschehoug, Oslo 2003

 

 

EN COURS DE ROUTE J’AI DU INVERSER LES CHIFFRES

En cours de route j’ai dû invers­er les chiffres et automa­tique­ment et d’une main sûre j’ai écrit 3002 au lieu de 2003. J’y vois tout de suite le signe que cela sera vrai, que nous serons là, ensem­ble, un jour d’avril d’ici mille années.

J’écris en avril 3002. Les pies chahutent par-dessus le toit et les arbres. La couleur de l’herbe nou­velle est très anci­enne mais étale autour de nous son pig­ment tout neuf. C’est juste après les grandes révo­lu­tions. Nous avons survécu et appris tant de choses, entre autres com­ment préserv­er nos liens. Nous risquons tou­jours d’être séparés par des années-lumière, mais les dis­tances pour­ront se vain­cre en quelques sec­on­des à l’aide d’idées claires et de cœurs purs.

Alors à tout hasard j’envoûte sans tarder mes atom­es et les tiens dans une nou­velle incar­na­tion, car je ne veux rien man­quer de ces liens futurs, des jeux des pies folles de joie sous l’immense ciel de print­emps, d’un monde qui encore regorg­era de vie.

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ARVESTYKKET CCXCVIII
Første metafy­siske ekskursjon

Hva er det jeg ser? Spør meg ikke, jeg kan ikke redegjøre for det.
Jeg får et nytt anfall, tennene klaprer, knærne svik­ter og jeg er heller ikke denne gan­gen direk­te livstruet, men fall­er til jor­den i syn­er og kram­per og med vrengte øyne. 
«Hal­lo, vet du hvilken dag det er i dag? Kan du si navnet ditt? Kan du bevege tærne?»
er det noen som rop­er når jeg kom­mer til meg selv igjen.
Jeg svar­er ikke på det heller, forstår at jeg må gi opp min per­son­lige historie.
Den er delvis utvisket, delvis så tilsølt at den ikke kan pre­sen­teres, over­sprøytet som den er av fråde og drømmer.
Jeg blir i stedet en kon­ver­titt som går fra hus og grunn. Gjør dik­tet helt hjemløst
for at det først skal kunne streife langt og deretter fortelle en verdenshistorie.

Jeg opp­gir alt for at det skal kunne berette, og om det er aldri så stotrende hjelpeløst
lar jeg det frei­dig tale og vise fram sitt sanne gam­melmodi­ge hjerte.
Hvis ikke, er det ikke lev­edyk­tig, hvis ikke kan du aldri se det, og det må du; det må være kjærlighet ved første blikk, enten du vet hva det snakker om eller ikke
enten du noensinne har els­ket eller ikke, – jeg men­er: dik­tet skal, med sin naive kur­tise, lang­somt tvinge deg i kne og umerke­lig berøve deg for­nuften, og deretter skal det man­gle under huden din for resten av livet, som en frastjålet hemmelighet.

       psi, Aschehoug, Oslo 2007

 

HERITAGE CCXCVIII
Pre­mière excur­sion métaphysique

Ce que je vois ? Ne me le demande pas, c’est impos­si­ble à rapporter.
J’ai une nou­velle attaque, mes dents claque­nt, mes genoux se dérobent, et cette fois non plus ma vie n’est pas
directe­ment men­acée, mais je tombe à terre, avec des visions, des cram­pes, les yeux révulsés.
« Houhou, sais-tu quel jour on est ? Tu peux dire ton nom ? Tu peux bouger les doigts de pied ? »
me crie quelqu’un quand je reviens à moi.
Je ne réponds pas à ça non plus, je com­prends que je dois renon­cer à mon his­toire personnelle.
Celle-ci est en par­tie trop floue, en par­tie trop souil­lée pour être présentable, éclaboussée qu’elle est d’écume et de rêves.
Au lieu de ça je deviens une con­ver­tie qui aban­donne sa mai­son et sa terre. Fait son poème sans aucun domicile
afin qu’il aille errer très loin, et revi­enne racon­ter une his­toire du monde.

Je me défais de tout pour qu’il puisse se dire, et même s’il bégaie, s’il reste pitoyable,
je le laisse par­ler franche­ment et mon­tr­er son vrai cœur de brave.
Sinon il ne vivra jamais, sinon tu ne pour­ras jamais le voir, et il le faut pour­tant : il faut que ce soit
l’amour dès le pre­mier regard, que tu sach­es ou non de quoi il parle,
que tu aies déjà aimé ou non – je veux dire : le poème doit, en te faisant sa cour naïve,
te met­tre lente­ment à genoux et insen­si­ble­ment te priv­er de rai­son, et pour finir porter le manque
sous ta peau pour le restant de tes jours, comme un secret volé.

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ARVESTYKKECCCVIII
Kjærlighetens gjerninger I

At noe har impreg­n­ert meg en gang for alle og gjort meg udødelig, er nå blitt klart for meg.
Det kan være som­meren, eller kan­skje er det heller en ustadig lykke som omsider har brent seg inn i meg med sin korte, sviende stikkflamme.
Jeg snakker med de døde om dette.
De sam­ler seg rundt meg, under­søk­er den mørke løden i huden min, ser meg inn i øynene, bekrefter mine antagelser.
Ute står kongslys oppreist og antent. Kat­tene stryk­er for­bi, bland­er seg i samtalen.
Alt blafr­er; de dype skyggene, den tynne bal­daki­nen over oss.

       psi, Aschehoug, Oslo 2007

 

HERITAGE CCCVIII
Œuvres d’amour I

Que quelque chose m’a imprégnée une fois pour toutes et m’a ren­due immortelle, voilà qui m’est devenu très clair.
Ce peut être l’été, ou bien plutôt un bon­heur insta­ble qui a fini par venir brûler en moi avec sa courte flam­mèche cuisante.
J’en par­le avec les morts.
Ils se rassem­blent autour de moi, exam­i­nent la teinte som­bre de ma peau, me regar­dent au fond des yeux, con­fir­ment mes suppositions.
Dehors se dressent des tiges de molènes tout allumées. Des chats vien­nent se gliss­er par là, se mêlent à la conversation.
Tout vac­ille : les ombres pro­fondes, le mince bal­daquin au-dessus de nous.

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ARVESTYKKE CCCXI
Ver­dens lys

Like ømt som om det skulle være navnet til dem jeg har els­ket, for eksempel
Leon, John eller Noël, hvisker jeg ordet: Neon.
Jeg står mel­lom skarpe grein­er, er kan­skje uten mål og mening og
klærne mine er fargeløse og oppre­vet, men jeg er i et pastel­lak­tig humør.

All venn­lighet som har streifet meg har lagt seg rundt meg som fjær og dun i krat­tet, jeg svaier mens håret fil­tres inn i tornene og lufta er stinn av ion­er – for dette er ved havet.  Lun­gene fylles med oksy­gen, neon og heli­um og ganen blir dyprød, galle­blæren antake­lig møn­je­far­get eller skit­ten oker, men skjæret fra solnedgan­gen over sjøen bedøver meg virke­lig. Så drysser lys fra Melkeveien inn over regio­nen og svaler, seine etterkom­mere av fug­lene fra ter­tiær­tiden, stu­per ut fra mønene, flyr i brå kast mel­lom tidslagene.

Jeg puster så dypt inn at neon over­føres fra lun­gene via hjer­nens euforiske vin­dinger direk­te til kol­bene der gass blandes, og der­fra til lysskil­tet over bygnin­gen der du til­feldigvis bor. «Jesus» står det der, «Jesus, ver­dens lys». Kan dette være mulig? Agnos­tik­erne og ateis­tene stop­per litt opp under skil­tet før de smilende går videre, arm i arm, og snart brer nat­ten seg. Mør­ket slår ned den due­blå skum­rin­gen, men ingent­ing uven­tet skjer, bare stjern­er fall­er. «Hvis stjern­er fall­er og sol­er slukn­er, må du selv bli et lys,» for­man­er jeg der jeg står mel­lom buskene og lar his­to­riens gode gjerninger smitte over på mitt aksel­ererende liv.
Bakken er dekket av som­merens lange gress, men jeg leg­ger meg ikke ned ennå, for en kraftig etter­vekst når meg helt til skul­drene, støt­ter meg opp der jeg står og mum­ler i utkan­ten, en selot med bren­nende blikk.

      psi, Aschehoug, Oslo 2007

 

HERITAGE CCCXI
Lumière du monde

Aus­si ten­drement que s’il s’agissait des noms de ceux que j’ai aimés, par exemple
Léon, John ou Noël, je chu­chote le mot : Néon.
Je me tiens debout entre des branch­es acérées, peut-être sans but ni sens et
mes vête­ments sont des hail­lons décol­orés, mais je suis d’humeur pastel.

Toute l’amitié qui m’a frôlée s’est déposée sur moi comme plumes et duvets dans un buis­son, je vac­ille quand mes cheveux s’enchevêtrent aux ronces et l’air est bour­ré d’ions – car on est près de l’océan.
Mes poumons s’emplissent d’oxygène, de néon et d’hélium, mon palais devient pour­pre, ma vésicule bil­i­aire prob­a­ble­ment rouge mini­um ou ocre sale, mais la lueur du couch­er du soleil sur la mer m’abasourdit pour de bon.
Alors la lumière de la Voie Lac­tée se répand sur la con­trée et les hiron­delles, tar­dives descen­dantes des oiseaux du ter­ti­aire, s’élancent des faîtes, s’envolent en jets rapi­des entre les bat­te­ments du temps.

Je respire si pro­fondé­ment que le néon passe directe­ment de mes poumons, via les méan­dres euphoriques du cerveau, aux alam­bics où se mêlent les gaz, et de là à l’enseigne lumineuse au-dessus de l’immeuble où par hasard tu habites. « Jésus », y lit-on, « Jésus, lumière du monde ». Est-ce pos­si­ble ? Les agnos­tiques et les athées s’arrêtent un peu sous l’enseigne avant de con­tin­uer leur route en souri­ant, bras dessus, bras dessous, et bien­tôt la nuit s’étend. L’obscurité ter­rasse le cré­pus­cule bleu pigeon, mais rien n’arrive d’inattendu, seules des étoiles tombent. « Si les étoiles tombent et le soleil s’éteint, c’est à toi d’être lumière », me dis-je pour m’exhorter, debout dans les buis­sons, et je laisse les bonnes œuvres de l’Histoire con­t­a­min­er ma vie en accélération.
La pente est cou­verte des longues herbes de l’été, mais je ne m’y couche pas encore, car une pousse puis­sante monte jusqu’à mes épaules pour me soutenir, et je reste debout près du bord, zélote mar­mon­nante au regard brûlant.

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ARVESTYKKE CCCXXXV
Exper­i­men­tum Cru­cis I

Jeg forsøk­er å skrive ver­den frem, intet min­dre enn verden.
Anstren­gelsen favn­er nesten alt, men fugle­or­de­nen med sitt
galak­tiske spenn unnslip­per, og der­for her­jer dik­tet grunnen
knuser rekke­føl­ger og ord­klass­er og forsøk­er å stige
mens jeg ryd­der, vin­geløs og jordbundet.

Men fug­lene skjel­ner ikke mel­lom ord og kur­rrhh og tall og seg selv,
de foren­er alt i et kek kek kek kek keeaah eller prrrt kabrik prrrt kabrik
i en benådet flukt fra babel eller fra hvilket som helst sted der men­nes­ket har
mis­tet språket eller ord har rasert eller dik­tert, og
fug­lene er mer dis­tink­te enn noe jeg vet om,
med sine myn­di­ge opprop kut­ter de døgnet over i tre, fem, atten skin­nende enheter:
Kekekekeke woika­woika­woi­ka — kom til dette treet, til denne matematiske
skolen, opp­bløtt av dugg og brukket av lys, der lar­vene lær­er mer og
mer om sin meta­mor­fose i en ubereg­nelig lign­ing; skal de bli lik sommerfuglen
eller skal de bli mat til sangfugler?

Reven gjester, kalkulerer, lusker
varsleren adder­er, løfter alt til neste nivå og Corvus corax flyr inn en
ny formel for denne dagen med tre korp, korp, korp, og blåfu­gler multipliserer
kaykay kaykaykay kaykaykya helt til fakul­tetet er god­kjent og
sta­bilis­ert rett vest for reiret, der opp­spytt fra ugler tre­f­fer skog­bun­nen og del­er seg
i verdi­ge frag­menter av mus­eskjelett og harehår.

Og lyset løs­er forme­len så lett, så lett, for
lys = lys, og
dagene går over til å ha seks og tjue timer,
årene svir­rer betatt rundt sine største måner.

Vakrere kan det ikke bli,
mer viten­skapelig kan det ikke bli.

      Mens Hig­gs­bosonet gnag­er, Aschehoug, 2011

 

 

HERITAGE CCCXXXV
Exper­i­men­tum Cru­cis I

J’essaie de faire appa­raître le monde en l’écrivant, rien de moins que le monde.
Cet effort englobe presque tout, mais le règne des oiseaux avec son
enver­gure galac­tique y échappe, et le poème rav­age les bases
écrase les ordres et les class­es et tente de monter
tan­dis que je fais le ménage, privée d’ailes, retenue au sol.

Mais les oiseaux ne font pas de dif­férence entre les mots, kur­rrhh, les chiffres et eux-mêmes,
ils unis­sent tout en un kek kek kek kek keeaah ou prrrt kabrik prrrrt kabrik
en un flot bien­heureux venu de Babel ou de tout lieu où l’homme a
per­du le lan­gage, où les mots ont arasé ou dic­té, et
les oiseaux sont plus dis­tincts qu’aucune chose que je connaisse,
leurs appels impérieux coupent le jour en trois, cinq, huit unités scintillantes :
Kekekekeke woika­woika­woi­ka – viens‑t’en à cet arbre, à cette école de
math­é­ma­tiques, trem­pée de rosée, rompue de lumière, où les larves en appren­nent de plus en
plus sur leur méta­mor­phose dans une équa­tion insol­u­ble : seront-elles papillons
ou repas d’oiseaux chanteurs ?

Le renard s’invite, cal­cule, s’éclipse
la pie-grièche addi­tionne, élève le tout d’un cran et le Corvus corax apporte une
nou­velle for­mule pour ce jour-là avec trois korp, korp, korp, la mésange bleue multiplie
kaykay kaykaykay kaykaykya jusqu’à ce que sa fac­ulté soit recon­nue et
sta­bil­isée juste à l’ouest du nid, là où les crachats des hiboux atteignent le sol de la forêt et s’éparpillent
en frag­ments pré­cieux de squelettes de souris et de poils de lièvre.

Et la lumière résout la for­mule sans peine aucune, car
lumière = lumière, et
les jours finis­sent par avoir vingt-six heures,
les années tour­nent boulever­sées autour de leurs plus gross­es lunes.

Plus beau, c’est impossible.
Plus sci­en­tifique, c’est impossible.

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Choix de poèmes

Par | 23 juin 2013|Catégories : Blog|

Ces six poèmes de Paul Pug­naud sont extraits de l’œuvre du poète pub­liée par les édi­tions Rougerie. Recours au Poème remer­cie Olivi­er Rougerie de l’autorisation de les reproduire.

L’œuvre, impor­tante, de Paul Pug­naud, encore trop mécon­nue, doit être remise en lumière. Plusieurs per­son­nes com­men­cent à s’atteler à cette tâche, dont sa fille, Sylvie Pug­naud. Recours au Poème s’inscrit dans cette démarche. De notre point de vue, Paul Pug­naud est un poète important.

La majeure par­tie de l’œuvre du poète est disponible auprès des édi­tions Rougerie.

 

 

 

Ecoute la fontaine
Jail­lie de la mémoire
S’écouler dans la nuit
À tra­vers les vivants

Son ruis­selle­ment draine
Le chant pro­fond des pierres
Mais arrête le temps

 

 

extrait de Ombre du feu, édi­tions Rougerie, 1979

 

*****

 

 

Un labyrinthe où le silence
Est seul à guider notre marche
Nous mène dans la nuit

Le moment paraît mal venu
D’appeler un sec­ours qui ne vient plus

 

 

extrait de Aride Lumière, édi­tions Rougerie, 1983

 

*****

 

 

Un nuage éclairé
Par sa pro­pre lumière
Déclenche un incendie
Qui fera le tour de la terre

 

extrait de Aride Lumière, édi­tions Rougerie, 1983

 

 

 

*****

 

LES MOTS ONT FROID dans la mémoire des hommes
Quand la tête de chien du souvenir
Hume la laine rêche de la terre

Jamais les voix perdues
Ne vien­nent murmurer
Ce qui ne sera plus
La plainte où jaillissait
Toute l’horreur du monde

Un homme est à l’affût
Sur les crêtes du vent
Il écoute la pierre
La pous­sière et le sable
Il écoute la mer
Mais son cœur est muet

 

 

extrait de Minéral, (1970, prix Artaud), repris dans Poèmes choi­sis, édi­tions Rougerie, 1996

 

 

 

*****

 

Au con­tact de l’éclair
L’eau se change en rocher

Une flamme couronne
Ce tri­om­phe des pierres

Sur son pour­tour elle rallume
Les bûch­ers   soulève leurs cendres

Frayant la route à tes désirs
Une étin­celle a reculé
Les lim­ites de la lumière

 

 

extrait de Ombre du feu, édi­tions Rougerie, 1979 

 

 

*****

 

Accoudés aux bal­cons du soir
Nous con­tem­plons la fuite
D’un monde en par­tie oublié
Les grandes forêts abattues
S’écoulent au rythme des fleuves
Et vont s’accumuler
Dans les bar­rages où le jour et la nuit dorment
Nous atten­dons d’autres saisons
Plus favor­ables où le fleuve
Fer­tilise la plaine
Le retour n’est pas prévisible
Même si le soleil appelle et crie
Pour arrêter ceux qui dépassent
Le rythme trop lent de la vie

 

 

extrait de Aux portes inter­dites, édi­tions Rougerie, 2005

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