ci le lieu rêvé
ultime argiles amorphes
mon­tent en cuisson
la pâte froide vernissée
prend à cœur couleur et sens

 

 

 

 

 

QUATRE TANKA SOUS CONTRAINTE

Par­mi les con­traintes imposées au tan­ka, la ver­si­fi­ca­tion est la plus évi­dente. Le poème (à par­tir du VIIème siè­cle) com­porte 31 sons (les mores) que nous avons, en Occi­dent, adap­té en syl­labes. Il est con­stru­it en cinq groupes ou lignes de 57577 syl­labes ou mores.
C’est la con­trainte de base et ce n’est pas la seule. Le tan­ka (comme le haïku, son dérivé du XVème siè­cle), doit con­tenir un mot-de-sai­son, situ­ant le poème dans un cadre tem­porel pré­cis. Il doit éviter la ponc­tu­a­tion, le proverbe, la liste de cours­es, la plat­i­tude, la pédan­terie, les rimes, la grossièreté, le vocab­u­laire tech­nique, et ce qui sort de la bien­séance. Enfin, et c’est essen­tiel : le poème doit exprimer avec sub­til­ité les sen­ti­ments, il doit avoir à la fois du sens et de la sen­si­bil­ité. Il utilise pour cela (avec du tal­ent, il va de soi) la tech­nique de la grande Césure.
J’utilise ce terme parce qu’il me sem­ble le plus appro­prié. La césure est ici la sim­ple pause dans la  res­pi­ra­tion, tran­scrite dans et par la syn­taxe ; elle se révèle le plus sou­vent dans la lec­ture à haute voix, qui fait sur­gir le(s) sens. La Césure est une rup­ture imposée, à la fois dans le sens et la forme. Elle se situe en général entre le ter­cet 575 et le dis­tique 77.  Le ter­cet décrit le plus sou­vent un élé­ment de nature, une obser­va­tion, un décor, un paysage ; le dis­tique présente une rup­ture dans le ton, un ques­tion­nement, un recul du sujet sur lui-même ou le monde, une pen­sée latérale ; la Césure crée un effet de recul ou de per­spec­tive qui donne au texte une pro­fondeur dont le haiku, pré­cisé­ment et volon­taire­ment s’est défait.
J’ai com­mencé à tra­vailler sur ce domaine poé­tique depuis une dizaine d’années. Un recueil est paru en juin 2013, bilingue, résul­tat de quelques années de recherche : TELLURIES.
J’en ai écarté les qua­tre tan­ka qui suiv­ent à cause des para­graphes qui précè­dent. Ils représen­tent une ten­ta­tive d’écriture réin­té­grée à notre cul­ture qui ne se défait pas des règles et qui ne peut les sup­port­er. On y trou­ve des ver­si­fi­ca­tions irrégulières, l’absence de mot-de-sai­son, une syn­taxe volon­taire­ment for­cée mais dans une gram­maire stricte, qui per­met le rétab­lisse­ment du sens, comme ailleurs les déclinaisons.
Pour un kajin (poète de tan­ka) strict, en rai­son de bien d’irrégularités, ces qua­tre poèmes n’en sont pas, et leur appar­ente obscu­rité les écarte du genre.
Soit. Je les con­sid­ère pour­tant comme tels. Comme une nou­velle sor­tie de la route vers un sen­tier cahotant qui mène dif­fi­cile­ment on ne sait trop où. Je revendique le droit d’expérimenter dans le même objet lig­oté et restreint à la fois la con­trainte et l’infinie lib­erté de la langue, la nôtre.

 

Ci le lieu rêvé
ultime argiles amorphes
par­tent en cuisson
pâte froide vernissée
prend à cœur couleur et sens

Terne oxyde tristes
vol­umes la main précise
ouvre l’apparence
vide sans œil et sans feu
l’hippocampe fécond glaise

Hav­oc of the fire
n’en restera mâchefer
pour gaver chaussée
libre marteau sans emprise
frappe ici ! ta flamme aiguë

Abyssale Terre
invis­i­ble futur brut
ceris­es promises
sur drailles jardinières
brûlez fières vos sabots

 

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