Il fau­dra alors que je t’arrache,
Que je déploie mes radicelles,
Tes pieds fouleront mes bois,
Ton souf­fle flétri­ra mes belles
Gram­inées plan­tées en base,
Ta bouche, ter­reur orgiaque,
Lacère ma mem­brane écorcée,
Tes pieds sar­clent ma terre,
Mon effroy­able envie appelle,
Un voile ama­rante me distrait,
Des êtres de chairs hurlants,
De rudes cognées font clair,
Brisures et sèves jaillissantes,
Je ne vois que ton corps fin,
Mes sens, fous et domptés,
M’as­sail­lent de mille douleurs,
Pen­dant que je sous­trais ta robe,
Ta brèche déli­cate s’empourpre,
Tes mains élancées se tordent,
Ton râle soudain m’écartèle,
Las, les hommes horrifiés !
Ils frap­pent mon écorce dure,
Ils déchi­quet­tent mes fusains,
Impré­ca­tions et som­bres prières,
Les hommes ten­tent de t’extraire,
De ma prise enrac­inée, ta taille
Se resserre. Tes pieds en mon tronc
S’ar­ri­ment et se ren­fonce. Ta bouche
Gémis­sante s’en­robe à mon oreille,
Ta frêle rosace inonde ma péninsule,
La nuit est venue m’emporter,
Mon souf­fle de cent ans s’abat,
Mes sèves de l’Éther mon­tent en toi,
Tes yeux se révulsent et le cri
De ta bouche déforme la forêt.
Les hommes ne peu­vent plus rien,
Tel un faune réveil­lé, j’ai dominé
Ta chair, ta ver­tu, ta parole.
Les hommes prostrés et de terreur,
Délais­sent leurs haches coupantes,
Et tan­dis qu’en mon corps tu viens
Te dis­soudre en un paysage funeste,
Les regards des hommes se tournent,
Leurs mains s’é­gar­ent l’une à l’autre,
Leurs yeux se figent, se cotonnent,
Lai­teux et aveu­gles, les Hommes
S’en­fuient, tan­dis que ta dépouille
Encore jouis­sante et sursautante,
S’ar­roche à ma chair, et nous façonne,
Telle la stat­ue de l’au­tel célébré,
Une cathé­drale sylvestre relevée.
J’ai déver­sé dans ton être mes sucs mortels,
Et voilà une dryade qui soudain se révèle.

 

 

Efflo­res­cences, Édi­tions du Menhir

image_pdfimage_print