j’écris
j’oublie de vivre

nous dit le poète Jean-Marie Cor­busier dans les pre­mières pages de ce nou­veau recueil. Un poète dont Jean-Luc Wau­thi­er a pu dire qu’il s’inscrit d’une cer­taine manière dans la lignée d’un André du Bouchet ou d’un Fer­nand Ver­he­sen, ce qui me sem­ble fort juste, au sens où ces poètes sont des veilleurs. Non pas en tant qu’hommes ou que poètes, en tant que petite flamme encore vis­i­ble au loin, dans la pro­fondeur ténébreuse de la réal­ité. Et cette petite lumière vac­il­lante réflé­chit depuis l’apparente noirceur des caves voûtées. Ici tout est intéri­or­ité, et c’est bien cela qui ouvre sur le con­cret de la mul­ti­plic­ité des univers. Car :

si le blanc est l’air
alors
tout est dit

Ou encore :

Arbres en arrêt dans le vent

comme ces congères
de l’autre hiver
con­tre le mur ont pivoté

assis
imag­in­er le fond des routes
la parole sèche

sur un retour
                   je vois plus loin

Le blanc est au cœur de la poésie de Cor­busier, une couleur qui n’est pas ici juste­ment une couleur, du moins au sens usuel du terme, plutôt l’expression de la vision – au sens alchim­ique de ce mot. Et c’est en ce sens que le blanc doit être saisi : soudain, la lumière blanche ouvre le regard et l’âme vers plus de réel, c’est un léger déplace­ment et cela suf­fit à boule­vers­er l’essence d’un être. Quand ce dernier entrevoit (enfin) la plu­ral­ité des mondes :

Ici le blanc

ici et là
tout à portée de main
éclat à nouveau

                je l’ai vu un

au bord du jour
la nuit cherche une parole

la page rompue
                            j’aurai disparu

Et plus loin :

à l’autre bout
l’aube répare l’inespéré

Pour­tant, « rien n’est atteint » pré­cise, lucide, le poète.
Car nous sommes ici et cepen­dant nous sommes déjà :

Rumeur ouverte
à ce qui est
plus loin que moi

La poésie de Jean-Marie Cor­busier ques­tionne l’à‑plat de notre regard sur un monde dont le réel est en trois dimen­sions, au moins ; ce monde qu’il nomme « le jour soulevé », ce jour qui est l’humain/temple à venir, humain édi­fié enfin. C’est cela, la vie, une saisie en trois dimen­sions. Il y a de la mer­veille en cela.

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