(Odysseas Elytis)
     

Pas loin d’ici, un vol d’insectes qui chantent à tue-tête dans la nuit des planètes. La réal­ité pour rien, comme un jardin de sang séché, celui du crabe et de ses petites ombres. Légu­mineuses oublieuses, tar­entelles et jeunes filles, den­telles du venin.

Je reviens vers l’oubli, celui des oiseaux las, le grand oubli rouge comme on dit que le fer est rouge, que la mer est rouge, que les nuits les plus ten­dres sont celles qu’on attend à la fenêtre. Comme le cœur est rouge de sang qui fume jusqu’au ciel. Comme une tête blessée est un cœur.

D’ailleurs, on se lève sans bruit, et c’est la mort qui chu­chote à l’oreille. On se couche dans le ciel, et c’est le ciel qui va. On se tue pour moins que ça : hordes, traîneaux des polkas, le givre sur les lèvres de la dame, les draps blancs et frais.

Le phoque qu’on préfère est revenu au cen­tre du monde. Dis­ons que l’amertume est une couleur qui sonne, le long du ruis­seau, dans l’abandon de minu­it —con­ju­ra­tions obstinées : l’indulgence des planètes vaut bien un vol d’insectes.

Atroce indul­gence : si les pho­ques ne meurent qu’à con­trecœur, les insectes s’effrayent du mal­heur des pier­res. Alors, c’est la fin des car­cass­es, les patins sur la glace, et l’horizon qui passe.

Il y a encore l’illusoire vertèbre qu’on joue à pile ou face, le jeu d’osselets avec l’ombre ; l’acide blessure, les oreilles du loup.

L’ombre c’est un chien, peut-être. L’ombre aboie, son venin bleuit dans le tho­rax de la nuit. Ça n’aboie qu’à dix-neuf heures, avec le départ des ciels, les cloches dans la tête. Cloches du ciel, bais­ers d’adieu, sex­es rêveurs.

Je ferme les rideaux : l’océan est en retard,  on l’attendra à la cuisine.

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Yeux de pierre fri­able, la ville des enfants : les syl­labes, nos années, la chan­son­nette des sables noirs. Voici les linges de l’amour, ils brû­lent entre les ponts qui bril­lent. Vers l’estuaire, où dort la tête. La tête dort debout, la tête est coupée, elle n’a plus de musique entre les dents.

Ça trem­ble et ça n’a qu’un nom, le seul qu’on prononce au fond du jardin, près du puits. Comme le nom du cheval au petit muse­au, du cheval qui s’endort en rêvant à la fin des temps.

 

 

« Le monde est un autre » — L’Escampette, 2013.
 

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