Le courage est d’avancer avec nos peurs. Contre elles, aussi. Le courage est d’oser sonder les plus infimes particules de nos craintes ensemencées et entretenues par nos bourreaux réels et symboliques, au plus profond de nos trempes et en notre souffle. Le courage est d’engager l’implosion de nos obsessions, nos drames, nos doutes et nos hésitations. Les aborder, les affronter, les interroger, les remuer, pour s’affranchir de leur poids, en décomposant leur sombre attelage. Sans cela, la peur est l’enclos qui assiège notre volonté de vivre et d’accomplir nos rêves. La peur, cet ennemi intime et redoutable qui se nourrit de notre renoncement, devant l’inconnu, l’incompréhensible. La peur est cette inertie implacable qui nous frappe et neutralise nos projets de révolution et d’aboutissement, nos envies de délivrance et d’appétence.
La plus pénible des guerres est sans doute celle que nous livrons à nos peurs, à chaque instant que nous entreprenons notre renaissance, à chaque pas accompli vers l’éclosion de notre existence. Il me semble même laborieux d’entamer la vaillance envers des démons concrets, avant de s'émanciper de ses peurs les plus intimes et sibyllines. Etre libéré de soi-même permet d’entendre le monde et de saisir sa force et son enchantement. Ses maux déliés, ses hantises défiées, ses craintes scindées, ses troubles émondés, on peut alors envisager la vie résolument, savoureusement. De commettre toutes les audaces effrontées qui nous ramènent aux battements de la vie, sur les orées du bonheur. Sans inquiétude, ni ambiguïté.
La poésie est la frontière de tous les éclats, en soi, et en le Monde. Depuis longtemps, les poètes nous exhortent à retourner vers nous-mêmes pour éclairer les nôtres, les guider, leur offrir la vie en partage et l’espérance en devoir. Et lorsque nous écoutons les poètes, nous atteignons la compassion de nos rêves les premiers, les plus élémentaires et les plus divins.
Mais, les hommes aiment se faire peur. Ils se domptent, se jaugent, s’affrontent, se tentent, se défient, s’accusent et s’abusent. Depuis la nuit des temps. Et une peur provoquée engendre plus de peur et inaugure la violence. La peur rend agressif, menaçant, aveugle, insensible, prêt à exploser, dans l’excès, dans l'outrance, dans l’entêtement, dans le préjugé, dans l’injustice et dans la contagion. Le désarroi absolu.
Que d’énergie perdue, depuis le premier matin du monde, à élire des conquérants absolus, à inventer des despotes tenaces, à ériger des bourreaux, les nôtres. A leur livrer nos poings liés et notre verbe fragmenté ! De peur et d’effroi nous commettons l’indu et l’ignoble envers nous-mêmes. En premier lieu. Nous nous empêchons d'incarner nos desseins, de s’aimer et d’aller vers l’autre. Nous nous faisons obstacle et nous étouffons nos émois et l’éventualité du bonheur. En lisières identitaires, la tentation de la peur fait loi, souvent, offrant l’illusion protectrice et dépuratrice. L’on s’arme alors de peur en bouclier, pour jouter toute autre identité que la sienne. La combattre si nécessaire. Et quand les identités se craignent et se cherchent, elles finissent par se trouver et s’accorder dans le chaos.
Il s’agit donc de renverser la méprise des choses. La chose de la peur. Si cela parait irréversible, on peut commencer par essayer. Faire comme si l’autre n’était pas forcément l’ennemi. Mieux, il pourrait être l’ami. Et pourquoi pas le frère ? Tant de fois la famille symbolique s’avère plus efficace, car elle échappe à aux injonctions de l’héritage et de la mémoire. Ainsi, nous nous choisirons, sciemment, nous nous adopterons pour creuser les sillons de la conciliation cordiale, pour tenter de vivre ensemble. Simplement. Paisiblement. Même momentanément. Réapprendre la curiosité de l’autre et même l'inspiration de sa présence. Envisager la cohésion, l’œuvre commune. Une belle alternative à la morosité, à la défiance, à la dépression, au malentendu du chauvinisme, au délire du fanatisme. Vaincre le rejet de l’autre comme on parvient à vaincre la peur de soi.