Décou­vrir un grand, voire un immense poète, que l’on ne con­naît pas, dont on n’avait que peu ou pas enten­du par­ler, est tou­jours une expéri­ence à la fois forte et émou­vante. Gageons que ceux qui, comme moi, auront la chance de décou­vrir la poésie de Rachel grâce à l’édition de ces deux recueils en un vol­ume par les édi­tions Arfuyen, et sous la houlette de Bernard Gras­set, ici présen­ta­teur de la poète et tra­duc­teur de l’hébreu, trou­veront ample­ment leur pitance poé­tique en ces pages. Les pages de présen­ta­tion sont très éclairantes, si bien que le mod­este lecteur que je suis décide ici et main­tenant de s’appuyer sur l’expertise de Bernard Gras­set. Notre émi­nent col­lègue ne nous en voudra pas, cela est cer­tain, lui qui est à l’évidence en forte prox­im­ité de Recours au Poème, reprenant d’ailleurs cer­tains des con­cepts dévelop­pés dans nos pages pour qual­i­fi­er la poésie de Rachel : « Dans ce recueil résonne une poésie des pro­fondeurs » (…) « Cette poésie des pro­fondeurs est en même temps une poésie de feu ». Nous sommes ici en ter­res de prox­im­ité, ter­ri­toires con­nus même. Diantre ! Bernard Gras­set nous fait l’amitié de gliss­er le con­cept même qui légitime et fonde l’existence de Recours au Poème – la défense et mise en lumière d’une poésie des pro­fondeurs con­tem­po­raine, par­ti­c­ulière­ment en France – nous ne pou­vons que nous pencher sur l’atelier de Rachel. Cet appel du pied est une joie, un tan­ti­net égo­tique avouons-le. Du reste, ceux qui voudront sat­is­faire leur (début de) curiosité (car le work est in progress) au sujet de ce con­cept de « poésie des pro­fondeurs » pour­ront agréable­ment pren­dre appui ici, en atten­dant le vol­ume qui s’annonce (douce­ment).

Out­re lire Rachel, nous apprenons bien des choses grâce au tra­vail de Bernard Gras­set, en par­ti­c­uli­er sur la biogra­phie et les fonde­ments de la poésie de la poète née au bord de la Vol­ga, puis instal­lée en Pales­tine au début du 20e siè­cle. Poète, elle fait aus­si par­tie de ces aven­turi­ers de la Terre Sainte, ceux qui ont tra­vail­lé la terre et vécu dans un Kib­boutz. Puis, touchée par la tuber­cu­lose, elle passe ses derniers instants à Tel-Aviv où elle meurt en 1931. Entre-temps, Rachel a pub­lié trois recueils de poèmes, tous traduits et édités par Gérard Pfis­ter chez Arfuyen, De loin suivi de Nébo for­mant la sec­onde livrai­son de cet ensem­ble, en atten­dant l’édition de textes et poèmes dis­per­sés. On remerciera les édi­tions Arfuyen de nous don­ner à lire « l’une des grandes pio­nnières de la lit­téra­ture hébraïque mod­erne ». Une poète dont l’œuvre est ancrée dans la Bible, mais pas seule­ment. La fig­ure de Job, forte­ment présente de page en page, quoique sou­vent de façon dis­crète, nous porte au-delà de la sim­ple Bible, ten­dant à l’expérience humaine fon­da­men­tale de la souf­france, de la douleur, mêlées d’espérance et d’amour. C’est pré­cisé­ment au creux de cette con­tra­dic­tion appar­ente, cepen­dant et humaine­ment com­plé­men­taire, que s’écrit et peut se lire la poésie de Rachel. Elle « peint la con­di­tion humaine » en par­lant d’elle, et par­le d’elle comme de cha­cun de nous en peignant la con­di­tion humaine. Une poésie qui par­le de notre tragédie d’être, de la mort, de notre rap­port à l’Etre, de prière, d’amitié, de joug, de peine, d’amour, de lumière, de la nature. De la terre. Rachel est ancrée, et sa poésie l’est tout autant, dans la terre sur laque­lle elle a tracé des sil­lons, comme autant de poèmes. Alors oui, on plongera dans les pages de cette poète des pro­fondeurs et l’on remerciera Bernard Gras­set d’avoir traduit ces textes et de nous avoir, en préam­bule, don­né une sorte de « note sur la poésie des pro­fondeurs » de Rachel.

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